L’activité de Notre Atelier Commun se poursuit dans le domaine de la formation et de la recherche.
L’Ecole du terrain
L’association a mis en place un centre de ressources en ligne, “l’École du terrain”, fondée en 2022. On peut y consulter “le récit des expérimentations qui ont eu lieu sur le territoire national et pas uniquement par la Preuve par 7 car beaucoup d’acteurs et de collectivités locales sont à l’œuvre pour inventer de nouvelles manière d’habiter”. Y seront accessibles des données juridiques, techniques, mises en open-source. Ce site contributif vise à amplifier le mouvement, à créer une culture commune autour d’un urbanisme vivrier et appropriable par toutes et tous, et à démarginaliser ces pratiques. “Documentant des projets choisis et des démarches singulières, dont les jurisprudences ont transformé les cadres culturels, économiques, administratifs et réglementaires, il est un lieu ressource pour inspirer d’autres acteurs et actrices”.■ M.L.
Avec la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, titulaire de la chaire Humanités et Santé au Conservatoire des arts et métiers, Notre Atelier Commun aborde les questions liées aux liens entre l’urbanisme et la santé, sociale et mentale. Notre atelier Commun et la Chaire de philosophie à l’Hôpital, ont initié un programme de “recherche en actes” autour de la notion du soin en architecture et en urbanisme avec le “Laboratoire des délaissés”. Ce programme a pour but de décortiquer les expérimentations à l’œuvre en rassemblant nos écoles de pensées et nos actions.■ M.L.
Au sein d’un réseau qui milite pour les pédagogies de terrain, la Preuve par 7 travaille également à renouveler l’enseignement de l’architecture et de l’urbanisme en développant un grand nombre de collaborations avec le monde de la recherche.
Elle mène des travaux communs avec la chaire EFF&T Expérimenter, Faire, Fabriquer & Transmettre, labellisée en 2020 par le ministère de la Culture au sein de l’ENSA Paris la Villette, avec laquelle elle a, par exemple, coorganisé un séminaire intitulé Design & écologie rationnelle.
Les urbanistes de la PP7 sont également proches des travaux du philosophe Alexandre Monnin, qui enseigne la “redirection écologique”, discipline qu’il a cocréée à l’ESC Clermont Business School. Avec lui ils s’interrogent sur les notions d’attachement et de renoncement, telles qu’elles sont à l’œuvre lorsqu’il s’agit, par exemple, de renoncer à ce qui faisait l’identité parfois économique d’un territoire pour la rediriger alors que le réchauffement climatique vient tout bouleverser.■ M.L.
Le constat d’une dévitalisation des centres-villes n’est pas nouveau. La difficulté d’intervenir dans les tissus anciens a conduit à créer l’ANAH dès 1975 et l’outil des opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) en 1977. Mais avec les usages modernes et les injonctions liées aux objectifs de transition écologique, leur abandon serait inéluctable sans une politique forte de la puissance publique. Dans la dynamique des programmes nationaux Action cœur de ville et Petites villes de demain, la DGALN a expérimenté sur les îlots anciens dégradés son offre de service des Ateliers Flashs. Retour sur les apprentissages et innovations à mettre au compte de cette modalité originale de l’ingénierie territoriale mise à disposition des collectivités locales.
La mort des centres-villes n’est pas une fatalité. Vitrines fermées, façades dégradées, logements vacants, sont parmi les plaies connues que partagent nombre de villes moyennes françaises 1 . Dans les centres anciens, aux ruelles étroites, au bâti d’un autre âge, c’est la double peine. Les usages d’aujourd’hui n’y sont tout simplement pas possibles. Comment sauver le tissu ancien dégradé, concilier patrimoine et modernité, préservation et développement ? Le lancement de la deuxième session du programme national action cœur de ville 2 est l’occasion de se saisir d’urgence de cette question et des réponses qui ici et là ont pu être apportées.
Les communes de Saint-Gaudens (Haute-Garonne, 11 664 hab), Saverdun (Ariège, 4 815 habitants), Blois (Loir et Cher, 46 660 habitants), Vitré (Ille-et-Vilaine, 18 603) et Mende (Lozère, 12 336) ont ainsi pu expérimenter une démarche innovante d’ateliers fin 2021, intitulés “ateliers flashs” (cf. encadré) organisés et financés par l’État.
Les cinq collectivités ont fait l’objet d’une sélection rigoureuse : la qualité de la note problématique préalable, la capacité d’évolution de l’îlot retenu pour devenir le démonstrateur d’une intervention en profondeur, la stratégie urbaine de revitalisation du centre-ville, la mobilisation des élus, de la DDT et leur intention d’associer étroitement l’architecte des bâtiments de France – les ABF sont des partenaires essentiels pour accompagner l’évolution dynamique du patrimoine et améliorer sa valeur d’usage – comme les opérateurs d’acquisition-réhabilitation du territoire, sont autant de critères qui ont présidé au choix des sites.
Avec l’aide de concepteurs, architectes et urbanistes, chacune de ces communes a pu bâtir une feuille de route de rénovation sur un îlot ancien démonstrateur. Si cette contribution peut paraître modeste face aux puissantes dynamiques de dévitalisation urbaine, les élus et acteurs réunis autour de ces ateliers décrivent tous des prises de conscience majeures et saluent les idées et pistes d’actions innovantes qui sont ressorties.
Le plan guide de Saint-Gaudens
Dans la commune de Saint-Gaudens, c’est l’entrée de ville rue Victor Hugo avec 44 parcelles qui était ciblée. Cette ancienne artère commerçante souffre d’une vacance de 60 % des commerces et 40 % des logements. L’atelier a proposé un “diagnostic en marchant” avec tous les acteurs concernés3 pour partager les problématiques de l’îlot. Cécile Castelle, directrice du développement territorial à la Communauté de communes Cœur et Coteaux du Comminges salue “le travail de scénarisation réalisé pour formaliser un projet de transformation de l’îlot Victor Hugo sous la forme d’un plan guide”.
Le Plan Guide s’inscrit en parfaite continuité avec les actions déjà entreprises par la collectivité pour la reconquête de son centre-ville, comme le lancement d’une OPAH sur le Pays Comminges Pyrénées, le Contrat “Bourgs-Centres” signé avec la région Occitanie en 2019 ou encore l’opération de revitalisation du territoire lancée en juillet 2020. Il constitue aussi la première réflexion d’intervention à l’échelle d’un îlot entier et une matière utile pour le lancement en cours de l’OPAH renouvellement urbain (OPAH-RU) actée par l’opération de revitalisation de territoire (ORT). “Le recrutement du bureau d’étude en charge de l’OPAH-RU est fait depuis la fin d’octobre 2022 et les études pré-opérationnelles sont en cours, précise Amandine Montréjeau, chargée de mission ORT à la communauté de communes. L’îlot Victor Hugo est inclus dans le périmètre de l’OPAH-RU et pourra bénéficier des aides additionnelles de la collectivité 4. D’après le bureau d’étude, les propriétaires se pressent au portillon”.
Rêver pour mieux passer à l’action opérationnelle
À Saverdun, petite ville de près de 5 000 habitants située dans le piémont ariégeois, la réflexion a porté sur l’un des trois îlots dégradés en entrée sud du centre ancien, l’îlot Barry. Le diagnostic réalisé par l’atelier de l’Ourcq a mis en évidence leur surdensité, la dégradation et l’insalubrité de l’habitat, la forte vacance des logements et des commerces, la faible connaissance des outils à disposition pour intervenir et enfin l’insuffisante maîtrise foncière par la collectivité. Pour Philippe Calleja, maire de la commune depuis 2021, l’atelier flash fut “un véritable détonateur pour passer à l’acte”.
Le site est pourtant déjà identifié dans le périmètre prioritaire d’une OPAH-RU signée en 2019 5. Tout comme Saint-Gaudens, Saverdun est engagée dans le dispositif “Bourgs-Centres” financé par la région Occitanie. Il est enfin concerné par une ORT multisites portant sur la ville-centre de Pamiers et les deux pôles d’équilibre de Saverdun et Mazères, depuis 2020. L’ambition de l’atelier flash était justement d’accélérer la mise en œuvre opérationnelle du projet de reconquête du centre ancien par une action de démonstration à l’îlot.
Là encore, la méthodologie de l’atelier a permis d’affiner considérablement la connaissance de l’intérieur des îlots. “Nous avons fait l’analyse des typologies de bâtiments et l’inventaire des interventions possibles, résume Charly Crochu, architecte urbaniste à l’Atelier de l’Ourcq. Par exemple relier et agrandir les vides pour ménager des espaces verts de proximité, remembrer les jardins pour que chaque logement puisse en avoir un petit, réunir des immeubles pour augmenter les surfaces habitables, démolir en cœur d’îlot pour faire entrer la lumière ou encore inventer de nouveaux usages pour les rez-de-chaussée inactifs”. Le concepteur a par ailleurs salué les efforts déjà entrepris par la ville pour rénover ses espaces publics. Car c’est parfois le déclencheur d’une transformation de l’habitat privé. “On habite un logement, une rue et un village”, rappelle Charly Crochu. Les interventions publiques sur l’allée du Balouard et la création d’une place-jardin devant l’école du quartier ont ainsi provoqué la rénovation des maisons de particuliers attenantes.
Selon la DDT de l’Ariège, l’atelier flash constitue un outil très efficace pour accompagner les collectivités et faire émerger des dispositifs d’ingénierie territoriale. “C’est une excellente étape de sensibilisation qui donne à rêver, estime Olivier Monségu, chef de service aménagement à la DDT. L’atelier flash permet de mettre tous les acteurs du projet autour de la table sans souci des prérogatives”. Dans le cas de Saverdun, il a notamment permis de former la toute récente équipe municipale aux enjeux des îlots anciens dégradés. “Les élus ont réalisé la nécessité d’utiliser les outils coercitifs “habitat” sur le centre ancien, poursuit Olivier Montségu. Ils ont accepté de lancer une étude d’opportunité RHI-THIRORI qui a été réalisée en 2022. L’étude a finalement écarté ce montage, mais la collectivité s’est mise en ordre de bataille pour trouver les financements de son renouvellement urbain”. Une dynamique est donc lancée. L’élaboration en cours d’une convention unique petite ville de demain qui intègre aussi la convention Action cœur de ville et l’ORT valant OPAH-RU en témoigne.
Du plan guide à l’îlot en passant par le drone…
La même équipe de concepteurs est intervenue sur le centre ancien de Vitré, remarquable par sa qualité architecturale et ses maisons à colombages. Mais l’atelier de l’Ourcq a pointé d’emblée les tares associées à ce bâti patrimonial : “très peu de lumière, imbrication des logements – avec par exemple une chambre qui appartient à l’immeuble d’à côté, vétusté des bâtiments dont certains sont en ruine”, détaille Charly Crochu. À cela s’ajoute l’absence de maîtrise foncière par la collectivité sur l’îlot Poterie retenu par l’atelier flash.
Comment intervenir concrètement alors que les études s’amoncellent à toutes les échelles mais que l’action publique peine à se structurer ?
“Il faut partir du potentiel de transformation du tissu urbain pour donner de la qualité générale au quartier, répond l’architecte urbaniste. Avancer par le projet, plutôt que d’attendre les problèmes et les actions correctrices associées”.
L’atelier de l’Ourcq s’est donc attelé à cibler les points noirs du centre-ville afin de construire une stratégie d’ensemble et d’identifier les îlots prioritaires d’intervention. Des fiches réalisées par îlot, ainsi que des études de faisabilité, permettent d’alimenter in fine un plan guide.
Mais pour en arriver là, un diagnostic fin est nécessaire. “Une belle façade peut cacher un bouge, résume Charly Crochu, alors que dans le tissu pavillonnaire, tout est facile à observer”. Sur Vitré, le recours à des drones a été essentiel pour obtenir des vues aériennes et compléter le diagnostic sans entrer dans les îlots : un gain de temps considérable pour un coût abordable, d’après l’agence.
Pour planifier l’action à l’échelle des îlots, une approche stratégique à 3 niveaux a été proposée par le concepteur : à l’échelle de plusieurs unités foncières (ce qui suppose un remembrement et donc le pilotage par la collectivité), de l’unité foncière à enjeux (avec un triptyque achat, réhabilitation et revente qui implique la collectivité ou des particuliers) et de l’unité foncière secondaire (la collectivité jouant là un rôle incitatif et de suivi).
Sur l’îlot Poterie, l’agence de l’Ourcq pose deux principes fondamentaux pour intervenir : d’abord “faire du vide”, pour redonner de l’air, de la lumière, un extérieur – un principe valable pour l’intervention en tissu ancien en général. Ensuite, adopter une méthode de phasage des interventions à plusieurs entrées, pour que le projet évolue au gré des opportunités foncières et des débouchés des négociations avec les propriétaires privés.
La municipalité a montré un vif intérêt pour ce travail qui permet d’“identifier les interventions à l’îlot susceptibles d’avoir un effet de levier sur le reste du tissu ancien”, se souvient Charly Crochu.
Une maquette au 200e pour imaginer l’avenir
L’agence de l’Ourcq, également choisie pour animer l’atelier flash de Mende, a conduit une démarche similaire mais centrée sur un îlot de 400 m², l’îlot Chaptal. Avec une demande très précise de la mairie : imaginer de grands logements familiaux aux normes d’accessibilité, de grands commerces et un grand espace de jeux intérieur en rez-de-chaussée.
Le choix de cet îlot ne doit rien au hasard. Retenue au programme Action cœur de ville en 2018, signataire d’une ORT en 2019 et engagée dans un atelier national des territoires sur le thème des “Villes patrimoniales” sur la période 2018-2019, la collectivité dispose d’une stratégie robuste de revitalisation de son centre ancien. Une étude sur le foncier a notamment été produite en 2020 – bureau d’études Patriarche – sur proposition de l’atelier national, afin d’identifier des îlots prioritaires pour requalifier le centre, parmi lesquels l’îlot “place Chaptal”.
Pour autant, les besoins exprimés par la mairie sur cet îlot se sont avérés difficilement compatibles avec la capacité d’architecture. Ce que résume d’une formule Charly Crochu : “c’est la morphologie du bâtiment qui commande l’usage, pas l’inverse”. Or, cet îlot de 7 parcelles est constitué de maisons à échelles de 3 étages et de seulement 20 m² d’emprise au sol.
Pour imaginer la recomposition du bâti, l’agence a réalisé une maquette au 1/200e à partir des plans de géomètre et de l’altimétrie des planchers. Un outil collaboratif qui permet de travailler en volume l’architecture et de composer ou décomposer l’ensemble pour tester des scénarios d’évolution.
L’avis d’un ABF aura été déterminant pour avancer : il a permis de détecter une maison en ruine et un commerce en rez-de-chaussée, tous deux voués à la démolition. L’ouverture du cœur d’îlot a donc été proposée, occasion parfaite pour y implanter un jardin. Mais aussi pour envisager le remembrement du parcellaire (passant de 7 à 3 parcelles), la reprise des accès aux rez-de-chaussée et pour repenser les typologies de logement ou encore les façades. Une nouvelle construction devant ensuite permettre le raccordement avec les niveaux des constructions existantes.
Sur toutes ces propositions, l’agence de l’Ourcq n’a pas eu de retours par la suite. Un cas de figure classique après un atelier flash, d’autant plus compréhensible que l’aménagement opérationnel relève du temps long.
Mais il arrive parfois que l’atelier flash, au-delà d’idées neuves et de pistes d’actions concrètes, parvienne à enclencher une dynamique pérenne. C’est le cas de celui qui s’est tenu dans la ville de Blois.
Une “pièce nature” pour un îlot démonstrateur de la ville durable
Dans cette cité royale des bords de Loire, l’habitat ancien est chargé d’histoire et soulève d’emblée des enjeux de patrimoine. Le choix du POLAU – Pole Arts et urbanisme – comme mandataire pour y animer un atelier flash n’est donc pas étonnant, fort de son approche spécifique de l’urbanisme culturel. Entouré de plusieurs partenaires – Pratiques Urbaines, Zefco, le POLAU a développé une approche et des propositions très originales pour imaginer l’évolution du centre ancien (c.f. “l’intelligence collective au service des îlots anciens dégradés”).
La plus étonnante est celle de la “pièce-nature” : puisque la compacité du tissu ancien ne permet pas d’offrir un espace extérieur à chaque logement en son sein, le POLAU a proposé de l’imaginer en dehors. Une parcelle de 30 m² au moins serait mise à disposition de chaque famille du centre ancien volontaire, sous la forme d’une location longue durée, dans un espace naturel maîtrisé par la collectivité ou une toiture, accessible en moins de 20 min à vélo.
Ces travaux ont été accueillis avec enthousiasme par les élus. Ils ont par ailleurs permis de saisir l’opportunité de l’AMI “Démonstrateurs de la ville durable”. Et ce n’est pas le seul effet direct de l’atelier flash : son modèle a été le début d’un essaimage à l’échelle du département (c.f. encadré).■
Florent CHAPPEL
Encadré : 3 questions à Martine Pommier autour du montage de l’atelier flash de Blois
Martine Pommier est cheffe du service aménagement et urbanisme à la DDT du Loir-et-Cher. Forte de son expérience acquise avec l’atelier national des territoires sur Romorantin 1, elle a été la cheville ouvrière de l’atelier flash de Blois en 2021. Elle répond à nos questions sur les enjeux de sa mise en place à Blois et son intérêt pour accompagner une dynamique de revitalisation de centres anciens sur le département.
CAUE, notaires, propriétaires, agences immobilières, ABF, association des commerçants, bureau d’études en charge de l’ORT, entreprise de travaux… [↩]
elles représentent un montant total de 5 M€ et flèchent des items précis comme la réalisation d’accès indépendants aux étages, la démolition d’annexes pour faire entrer la lumière ou réaliser un jardin, la création d’espaces extérieurs ou le changement d’usage d’un local vacant depuis plus de 5 ans [↩]
Martine Pommier est cheffe du service aménagement et urbanisme à la DDT du Loir-et-Cher. Forte de son expérience acquise avec l’atelier national des territoires sur Romorantin 1, elle a été la cheville ouvrière de l’atelier flash de Blois en 2021. Elle répond à nos questions sur les enjeux de sa mise en place à Blois et son intérêt pour accompagner une dynamique de revitalisation de centres anciens sur le département.
Diagonal – Quel travail de préparation cet atelier a-t-il nécessité, avant la venue des concepteurs ?
Martine Pommier – Un gros travail amont avait été conduit par la DDT avec l’UDAP [Unité départementale de l’architecture et du patrimoine, service du ministère de la Culture] pour collecter des informations sur l’îlot démonstrateur à retenir. Cela comporte l’exploitation des fichiers fonciers et des visites de terrain. Puis un travail a été engagé avec l’équipe de conception retenue une fois connue – l’équipe constituée autour du POLAU, avant leur venue et la tenue de l’atelier proprement dit. Le tout étalé sur environ 3 mois.
Quel impact cet atelier flash a-t-il eu à l’échelle de Blois et au-delà ?
Le CAUE a recopié et dupliqué la méthode pour l’appliquer aux 17 lauréats du programme petites villes de demain (PVD) du département. Ce format est très apprécié des élus. Sur Blois même, le départ inopiné du chargé de mission action cœur de ville a malheureusement grippé la dynamique engagée. Le projet d’îlot démonstrateur de la ville durable dispose de 3 ans d’incubation seulement dont la première aura peu produit…
L’atelier flash se conjugue-t-il à d’autres démarches locales visant la requalification de son tissu ancien ?
Tout à fait. Blois est lauréat du programme Action cœur de ville (ACV) depuis 2018 et fait l’objet d’une opération de revitalisation du territoire (ORT) depuis 2019. L’annonce des ateliers flashs sur le sujet centre ancien m’a tout de suite évoqué le cas de Blois pour son secteur de plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) avec son château et sa partie médiévale. Le chef de projet ACV a donc saisi la balle au bond !■
L’atelier flash est une offre d’ingénierie territoriale conçue pour accompagner les collectivités locales et les porteurs de projets sur des questions d’urbanisme et d’aménagement. Ils sont adaptés pour débloquer des situations complexes dans un temps restreint et impliquant un nombre réduit d’acteurs, par comparaison avec l’atelier national des territoires.
Quel est son financement ?
Chaque atelier flash est piloté par la DDT(M) ou DREAL locales, et financé à 100 % par la DGALN, par le biais d’un accord– cadre multi-attributaires à bons de commandes (2019-2021 pour le premier, 2021-2025 pour celui en vigueur). Il mobilise l’un des 3 groupements titulaires et leurs équipes pluridisciplinaires, dont les mandataires sont l’Atelier de l’Ourcq, le POLAU – pôle arts & urbanisme et l’agence Ville Ouverte, pour un coût d’environ 20 k€.
Quel en est le processus ?
Un atelier flash thématique peut durer 3 à 6 mois. Il comporte d’abord l’élaboration d’une note de problématisation co-élaborée par la collectivité et les services déconcentrés de l’État. Sur cette base, l’équipe de concepteurs sélectionnée rédige une note d’enjeux en amont du travail de terrain. Puis elle organise avec les services de l’État une session de 2 à 3 jours d’ateliers avec l’ensemble des acteurs clés concernés. Après une restitution à chaud des ateliers, l’équipe prestataire remet une feuille de route aux acteurs du territoire (enseignements, esquisses de projets, actions à mener).
Comment apprécier son impact ?
L’évaluation des ateliers flashs n’est pas obligatoire, une façon de respecter l’esprit de décentralisation qui anime cette offre de service. Pourtant, un besoin de capitalisation est remonté du terrain au fil des 79 ateliers flashs tenus depuis leur lancement en 2019. Organisation en réseau et ou encore animation d’un site internet dédié sont parmi les pistes avancées pour collecter les apprentissages et démultiplier les enseignements des ateliers flashs.
L’association Notre Atelier Commun a été soutenue par la direction générale de l’architecture du ministère de la Culture et la direction générale de l’aménagement du logement et de la nature (DGALN) du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires par une première convention financière pour la période 2018-2020. Une seconde convention-cadre de partenariat a été signée, entre les deux ministères en avril 2021″. Pour entrer en transition, affirme le document, les territoires, et tous leurs acteurs, doivent inventer de nouveaux modèles de production et d’aménagement, de consommation et d’usages qui tiennent compte des milieux vivants et des paysages et soient à l’origine de nouveaux liens de solidarité…”.
Les deux ministères ont en commun de “renouveler l’action publique à partir du terrain, dans une vision large de l’aménagement durable”. À ce titre, et outre les actions menées respectivement concourant à cette dynamique, ils se sont engagés dans deux partenariats structurants avec notamment l’association Notre Atelier Commun et se sont dotés d’un opérateur commun, le GIP EPAU 1, pour développer, à partir de programmes d’actions expérimentales ou de recherches-actions, de nouveaux regards et de nouvelles pratiques (POPSU Territoires, POPSU Transition, et Engagés pour la qualité du logement de demain …).
Comme le souligne Magali Pinon-Leconte, la démarche “s’inscrit dans les missions d’accompagnement de projets des collectivités qui souhaitent s’engager dans cette voie avec les ressources de l’urbanisme de projet qui s’appuie sur l’existant et les atouts des territoires, qui visent et intègrent l’expertise des acteurs et la montée en compétences collective”. Des principes que l’on retrouve dans une famille d’actions menées par la DGALN, l’animation des Nouveaux conseillers aux territoires en DDT(M), la démarche ÉcoQuartier, les Ateliers des territoires. Pour sa part le ministère de la Culture, met en place des actions telles que les Quartiers Culturels Créatifs, les ateliers hors les murs des ENSA ou les actions d’éducation artistique et culturelle…
La mise en valeur de nouvelles pratiques passe également pour les deux ministères par la reconnaissance des travaux de jeunes professionnels au travers des palmarès des Albums des jeunes architectes et paysagistes ou du Palmarès des jeunes urbanistes. Hélène Fernandez constate que “beaucoup de jeunes professionnels promeuvent la résidence territoriale et architecturale comme mode d’ancrage sur le terrain. Prendre en compte les temporalités intermédiaires, occuper durablement un site de projet, mener un travail de programmation ouverte avec les usagers et avec l’appui des collectivités et autres maîtrises d’ouvrages est aujourd’hui devenu une nécessité absolue dans le cadre des enjeux de transition écologique. Mais aussi dans les enjeux d’activation de nos démocraties locales”.
La collaboration entre les deux directions centrales est en soi un exemple de la mise en œuvre d’une “intelligence collective au service du projet d’architecture et d’aménagement”, alors qu’il est plus que jamais nécessaire de travailler de manière plus partenariale, la PP7 apparaissant comme un “tiers acteur venant faciliter la relation territoire/état – collectivités locales/problématiques locales et échelle nationale…”. Le pari de cette collaboration est de “dégager des jurisprudences qui pourront, en retour, inspirer les politiques publiques, permettre de légiférer en s’appuyant sur les pratiques de la société civile”.■
Sous l’été tropical réunionnais, “climatiser” les lieux scolaires dépasse la simple question de l’équipement. La ville de Saint-Paul y voit l’occasion de revisiter en profondeur les projets de rénovation au bénéfice de ses écoliers.
Diagonal : Depuis quelques années à La Réunion, la ville de Saint-Paul se penche sur le confort thermique dans les écoles. De quelle situation partez-vous en 2020 ?
Nila Radakichenin 1 : À Saint-Paul, à deux pas des plages, l’école maternelle Anne Mousse a besoin d’importants travaux. La cour vétuste, les jeux extérieurs, les toilettes doivent être remis à neuf. En été à La Réunion, il peut faire très chaud surtout sur le littoral. Dehors, on atteint les 32°C avec l’humidité des tropiques et le seuil des 29°C est régulièrement franchi dans les classes. À notre arrivée en 2020, les écoles du littoral venaient, pour la plupart, d’être dotées de climatisation. Pour une municipalité, c’est très porteur d’installer la climatisation dans les locaux. “Enfin, nous allons pouvoir travailler au frais !”, se disent le personnel scolaire, les parents pour leurs enfants. Pour aller vite, nous aurions pu opter pour la solution classique : climatiser les classes, refaire la cour en ciment et poser des voiles d’ombrage. Mais nous avons choisi d’approfondir.
Sensibles aux questions de changement climatique, de préservation de l’environnement, nous souhaitons développer une approche bien plus complète du confort thermique. Changer les comportements par l’éducation, nous y croyons fortement. Porté par le Caue de La Réunion, le projet “Écoles durables” 2 est alors tombé à pic ! Nous y avons trouvé une convergence avec nos objectifs ‒ de sobriété énergétique notamment ‒, avec les valeurs que nous défendons dans notre label “ville amie des enfants”3 L’école Anne Mousse ainsi que l’école primaire Yvonne Iafare dans le quartier de l’Éperon 4 ont alors été choisies comme écoles-pilotes.
Comment votre regard de “ville amie des enfants“ éclaire-t-il la démarche sur le confort thermique ?
Le titre international “ville amie des enfants” a reconnu la ville de Saint-Paul. Pour nous, il importe en effet que l’enfant prenne part aux démarches. Dans une classe de vingt-cinq élèves où il fait 29°C, on dégouline, on ressent une chaleur moite. Se pencher sur les aménagements possibles, c’est traiter, avant tout, des conditions d’apprentissage.
Dans le projet “Écoles durables”, nous avons travaillé avec le docteur Suzanne Déoux. S’agissant de lieux scolaires, les questions de santé doivent considérer les spécificités propres à l’enfant. Par exemple, si on installe la climatisation dans la classe, il faut savoir l’utiliser à bon escient pour ne pas mettre en danger leurs organismes fragiles. Les futurs utilisateurs doivent y être sensibilisés. Car les risques de chocs thermiques sont réels. Durant les récréations, les écoliers jouent dans des cours cimentées surchauffées ; à l’époque, l’aménagement n’était pas pensé pour lutter contre la surexposition au soleil. Mais, dès lors qu’ils franchissent le seuil de la classe, ils se retrouvent parfois dans la fraîcheur d’un air climatisé à 18°C ou 20°C. Le “coup de froid” est alors assuré. En outre, la climatisation nécessite de fermer la classe pendant des heures. Ce qui questionne la qualité de l’air.
Plus globalement, au-delà de nos intuitions, le regard du docteur Déoux vient clarifier l’ensemble des facteurs de confort thermique. Nous apprécions d’autant mieux l’étendue des dispositifs mobilisables pour l’améliorer. Certes, la climatisation de la salle de classe peut en faire partie, selon les contextes locaux et sous certaines conditions. Mais c’est loin d’être l’unique réponse.
Outre la température au thermomètre, ventiler la pièce se révèle fondamental. Les conditions d’apprentissage en dépendent fortement. Des études ont été menées dans plusieurs écoles de Saint-Paul équipées de brasseurs d’air ‒ ou ventilateurs de plafond. L’air sur la peau change déjà radicalement le ressenti ! Le confort thermique s’en trouve nettement amélioré. Par ailleurs, nous avons mesuré la qualité de l’air dans les classes. Les mesures concluantes tout au long de la journée confirment l’intérêt de ce brassage performant. Les ventilateurs de plafond sont bien plus efficaces que de simples ventilateurs latéraux. Bien sûr, si l’air en provenance de la cour est un peu plus frais, la sensation n’en sera que plus agréable.
Quelles orientations se dessinent pour aménager les cours d’école de Saint-Paul ?
L’un de nos objectifs durant la mandature est de planter 100 000 arbres à l’échelle communale. Ici, toute l’année, nous bénéficions du soleil, des espaces verts. Et dans les écoles, le potentiel est énorme. Alors, nous n’allons pas continuer à mettre du ciment partout dans les cours ! En donnant place à la végétation, aux espaces ombragés, on climatise tous les lieux environnants. Sans consommer d’énergie, la fraîcheur qu’ils procurent bénéficie à la cour, aux salles de classe.
Notre service biodiversité a établi une liste d’arbres endémiques que l’on peut planter en fonction des lieux, depuis les écoles en bord d’océan jusqu’à celles “sous les nuages” dans le cirque de Mafate 5 Pas à pas, nous construisons la mutation de l’espace scolaire. Dans chacune de nos écoles-pilotes, les projets se révèlent passionnants. La richesse des résultats tient beaucoup à la méthode du Caue.
En quoi consiste cette méthode ?
L’école est un monde où gravitent différentes personnes et personnels. Tous s’investissent dans l’espace scolaire au quotidien. Mais chacun reste, en quelque sorte, dans son couloir. On y rencontre le personnel communal qui entretient les locaux et surveille les enfants pendant la pause méridienne. À l’intérieur du réfectoire, le personnel de restauration, quant à lui, prépare les repas et sert les enfants. Ils échangent fort peu, bien qu’ils interviennent au même moment. Et les enseignants restent aussi dans leur espace pédagogique.
Pour les deux écoles-pilotes, nous rentrons dans le projet en impliquant l’ensemble des acteurs. Grâce à l’appui du Caue, nous recueillons les envies, les problèmes auxquels chacun peut être confronté à l’école. Au départ, une conférence commune est organisée. Les parents d’élèves ‒ élus au conseil de l’école ‒ y participent, de même que les enseignants, la direction de l’école ‒ préalablement associée ‒, le personnel communal et d’accompagnement des enfants 6 La démarche est présentée dans son déroulement, ses objectifs. Ceci facilite les contributions futures et les premiers retours sont recueillis. Puis, étape essentielle, un travail approfondi est mené avec les écoliers. Au cœur du projet, ces regards d’enfants entrent en dialogue avec ceux des adultes.
Quels sont les apports des enfants pour aménager leur école ?
Au titre du label “ville amie des enfants”, nous nous sommes engagés à impliquer les enfants dans tous les projets de la ville. Et donc, a fortiori, dans ceux qui concernent leur environnement scolaire.
Ici, dans chaque école-pilote, une classe volontaire se propose pour travailler l’aménagement de la cour. Le Caue a réalisé un travail d’animation remarquable. Il accompagne les enfants dans l’expression de leurs besoins, de leurs envies. Les élèves ont élaboré de très belles maquettes. Ils visualisent ainsi peu à peu leurs demandes. Et c’est un support pour présenter leur projet auprès des adultes.
J’ai vraiment été impressionnée par ce matériau très riche. Pour aménager la cour, les enfants n’ont pas forcément les mêmes idées que les adultes. Sans que la démarche ne les empêche de rêver, elle les conduit à être force de propositions. Ils ont tiré partie de caractéristiques très concrètes de la cour. “Ça serait bien de faire une petite descente par là”, ont-ils suggéré, sensibles aux dénivelés du site. Bien sûr, il revient ensuite aux adultes de penser l’aménagement sécurisé ad’hoc. Autre illustration, ils ont cherché à introduire de l’ombre par endroit dans la cour et ont discuté de différentes solutions ‒ voiles d’ombrage, arbres, petits bosquets… Ce qui conduit à travailler sur les sols, avec leurs souhaits de varier les espaces de jeux, les expériences de supports. Actuellement, les cours sont pour la plupart en béton, en bitume. Les enfants y ont extrêmement chauds. Plus petits, ils sont très vite exposés à la chaleur qui s’en dégage. Pour autant, les enfants ne demandent pas qu’à jouer : “parfois, on a juste envie de se parler ! Tout le monde est dans la cour. Les ballons fusent et il faut faire attention. On n’a pas assez d’endroits pour se poser, pour parler”. La future cour ménagera ainsi davantage de petits espaces. Dans cet esprit, livrée à la rentrée dernière, celle de la commune voisine qu’ils ont visitée leur a donné matière à inspiration.
En outre, cette réflexion sur les aménagements scolaires recroisent un autre projet politique important pour notre municipalité : celui de développer l’égalité entre fille et garçon. Comme d’autres territoires, l’île de La Réunion est concernée par les violences conjugales et intra-familiales. Or, l’espace scolaire peut contribuer à insuffler des dynamiques nouvelles. Quand on discute avec les enfants, ils nous disent : “oui, les garçons, les filles, nous jouons chacun de notre côté. Mais, il n’y a pas d’espaces pour jouer ensemble !“. Alors, plutôt que de réserver les grandes cours pour les jeux de ballon des garçons et ne laisser que des espaces à la marge pour les filles, nous travaillons sur davantage d’espaces de jeux communs. Durant la pause méridienne, le personnel communal constate une certaine montée des incivilités. Nous travaillons les questions d’animation pour mieux les gérer. Toujours est-il que l’apaisement sera davantage au rendez-vous dans une cour moins surchauffée avec des espaces pour se poser. Les cours récemment aménagées dans cet esprit le démontrent.
Quels principaux enseignements tirez-vous de cette démarche ?
Fort inspirante pour notre collectivité, la démarche “écoles durables” nous ouvre de nombreuses perspectives.
Fondamental, le recueil des besoins se situe au cœur du processus. Dans chaque école-pilote, les propositions d’aménagements du Caue en découlent. Ce qui transforme la conception de ces cours d’école revisitées. Nos services techniques peuvent, dès lors, engager les études de faisabilité sur des bases solides. En outre, notre rapport aux usagers des lieux, aux parents d’élèves, s’en trouve radicalement changé. La démarche permet de construire un véritable partenariat de projet avec eux. Elle nous invite à réfléchir collectivement. Les uns et les autres évoluent dans son approche. Par exemple, dans la cour d’école, on anticipe souvent énormément les risques. Auparavant, l’idée des enfants de se déplacer sur des petits plots aurait été vite balayée par les parents et les personnels. Ici, le résultat est, au final, tout autre. Le principe de petits plots a été gardé. Car le projet s’est vraiment construit conjointement entre les enfants et les adultes. L’enfant peut prendre conscience du risque, apprendre à le mesurer au contact de l’adulte. “Là, tu sais que si tu montes sur ces petits plots, tu prends un risque, celui de chuter !“. Sous réserve d’un accompagnement du personnel, laisser l’enfant prendre quelques risques modérés participe aussi de son développement.
Vis-à-vis des parents d’élèves, l’approche très complète du Docteur Déoux nous a d’ailleurs permis d’aller bien plus loin. Au départ, les parents demandaient de généraliser la climatisation dans les salles de classes au nom de l’équité : “la plupart des écoles sont climatisées et ont un certain confort. Mon enfant est lésé puisque la sienne ne l’est toujours pas !”.Sur le littoral, là où il fait vraiment très chaud, nous avons accepté le principe de climatiser les trois écoles restantes. Mais les parents ont bien compris que c’était loin d’être suffisant. Ils sont réceptifs quand il s’agit de la santé de leurs enfants. Là où la climatisation est la plus utile, nous travaillons pour raisonner son usage et la coupler avec des brasseurs d’air performants. Cependant, le projet n’est pas de climatiser partout, bien sûr. À partir des écoles-pilotes, nous travaillons sur cette réponse complète dans tout l’espace scolaire ‒ locaux et cours d’école ‒ pour vraiment améliorer le confort thermique. Outre les écoles-pilotes, nous lançons une réflexion dans les deux prochaines années sur 15 écoles pour travailler l’adaptation du bâti scolaire. Alors que les coûts de l’énergie flambent, limiter notre consommation énergétique tout en traitant vraiment du confort thermique relève de la nécessité.
Enfin, autre enseignement utile lors la conception, nous anticipons la question des usages bien en amont. L’un de nos projets actuels d’école bioclimatique en tient compte. En principe, certains choix ‒ par exemple celui du mobilier ‒ sont repoussés à la dernière minute. Les enseignants commandent selon leurs habitudes, quatre étagères, une armoire, 15 tables… Pourtant, dans le confort thermique, leur place est loin d’être anecdotique. Pour que l’air circule bien dans la classe, les meubles doivent être adaptés en nombre, en taille, dans leur disposition. Le dialogue entre les usagers des lieux pour construire le projet permet aussi d’anticiper ce genre de difficultés.
Souvent, on voit l’école comme un lieu assez figé avec des apprentissages dans des espaces plutôt fermés. Mais elle peut devenir un laboratoire extraordinaire. Les écoles-pilotes l’illustrent bien. Les démarches s’invitent même au-delà. Nous travaillons à relier l’école à son quartier. Par exemple, à proximité de l’école Louise Payet à Bois-Rouge, les élèves et les parents ont participé à la création d’une micro-forêt aux côtés du personnel municipal. L’ancienne friche intégrée dans le foncier communal a totalement changé de visage. En chemin vers l’école, on y passe dorénavant volontiers. Au final, pour les enfants, c’est très riche de s’impliquer dans de tels projets, dans toutes ces mutations essentielles. Et pour les adultes aussi d’ailleurs ! ■
Propos recueillis par Nathalie GARAT
Nila Radakichenin est l’élue déléguée aux affaires scolaires dans la ville de Saint-Paul à La Réunion. [↩]
Travaillant l’adaptation des cours d’écoles, le projet “Écoles durables” du Caue de La Réunion s’intègre dans le programme OMBREE (inter Outre-Mer pour des Bâtiments Résilients et Économes en Énergie) piloté par l’Agence Qualité Construction. Son comité de pilotage se compose de l’Ademe et des instances ministérielles concernées (Dhup, Dgec, Dgom). [↩]
Depuis août 2021, la ville de Saint-Paul détient le titre de “ville amie des enfants”. Attribuée depuis 25 ans, cette distinction internationale a reconnu plus de 3 000 villes dans 38 pays, dont 260 villes françaises. [↩]
L’école primaire Yvonne Iafare du quartier de l’Éperon se situe dans les mi-pentes. [↩]
Dans les reliefs marqués de l’île de La Réunion, les 66 écoles de la commune de Saint-Paul s’étagent de quelques mètres d’altitude sur le littoral jusqu’à 800 mètres d’altitude dans le cirque de Mafate. Les écoles à mi-pente sont, quant à elles, autour des 200 à 300 mètres d’altitude. [↩]
Il s’agit des adultes accompagnant les enfants des écoles maternelles ou ceux porteurs de handicap. [↩]
Initiatrice de l’ingénierie de la santé dans le cadre bâti, le docteur Suzanne Déoux est venue apporter son expertise aux communes et au Cauede La Réunion. Elle nous présente ses principaux enseignements sur le confort thermique en milieu scolaire.
Diagonal : Durant l’été 2019 à La Réunion, plusieurs enfants font des malaises en classe. Il fait très chaud. Pour l’enfant, pour l’adulte, quels sont les effets de fortes chaleurs ?
Suzanne Déoux 1 : Lorsque la température extérieure augmente, l’organisme met en place plusieurs mécanismes thermorégulateurs pour diminuer la chaleur corporelle. Les plus importants sont la transpiration, l’augmentation du flux sanguin en périphérie du corps, l’augmentation des infrarouges émis par le corps…
Dans des ambiances chaudes, les réponses de l’enfant sont différentes de celles de l’adulte pour deux raisons essentielles : un rapport de la surface corporelle sur le poids supérieur et un débit des glandes sudoripares deux fois et demi plus faible. Malgré cela, les enfants, surtout les plus jeunes, expriment moins que les adultes leur insatisfaction à l’égard de leur environnement thermique et sont moins aptes à le juger inconfortable.
Or, les effets de température élevées dans les salles de classe sur les enfants sont désormais bien connus et ont fait l’objet de nombreuses études. La fatigue est le premier trouble lié à la chaleur. Elle s’accompagne de somnolence, de maux de tête. Les performances cognitives sont aussi altérées. On note alors une diminution de l’attention, de la concentration, des capacités de calcul et de lecture.
Les réactions physiologiques à la chaleur sont-elles les mêmes quand on vit sous un climat tempéré ou en zone tropicale ?
Selon de récentes études, une certaine acclimatation s’observe chez les personnes nées en climat tropical. Elles présentent une plus grande tolérance à la chaleur, un meilleur fonctionnement physiologique et demandent moins d’efforts cognitifs pour une performance similaire. Ainsi, en zone tropicale, la température de neutralité est comprise entre 28 et 29°C, soit deux degrés supérieure à la norme classiquement utilisée en climat tempéré.
En outre, les enfants se révèlent plus adaptatifs que les adultes dans un bâtiment ventilé naturellement.
À la demande du Caue, vous êtes intervenue dans les écoles réunionnaises. Pour respecter la santé des élèves, du personnel, comment peut-on améliorer le confort thermique ?
Malgré les excellentes capacités du corps humain à réguler sa température, il est essentiel de limiter nos efforts d’adaptation en zone tropicale. La conception et l’aménagement des écoles doivent intégrer les composantes du climat.
Pour limiter les surchauffes importantes, il importe d’abord de réduire l’ensoleillement du bâtiment. Outre une bonne isolation des toitures, les protections solaires sont primordiales. Fixes ou mobiles, elles doivent être de préférence extérieures. En évitant les rideaux intérieurs, on augmente la quantité de lumière naturelle, indispensable à la synchronisation des rythmes biologiques. Et surtout, on ne fait pas obstacle à une bonne ventilation traversante.
Dans les classes, cette ventilation sera d’autant plus bénéfique que la cour et les abords de l’école seront moins surchauffés. Pour mieux gérer les apports solaires, la végétation et les aménagements paysagers permettent de créer des îlots de fraîcheur. En effet, les arbres offrent une ombre très particulière, sans échauffement superficiel. À la différence d’une couverture minérale, métallique ou textile ‒ comme un velum ‒ , aucune chaleur n’est réémise. Une masse végétale se comporte comme un plafond réfrigérant. De même, une végétalisation proche des murs rafraîchit l’air qui traverse les salles de classe.
Par ailleurs, pour limiter la surchauffe aux abords des bâtiments, la nature des sols environnants constitue un autre paramètre important. Exposée au même rayonnement solaire, une surface minérale montera plus en température qu’un espace planté et elle se rafraîchira moins vite la nuit. Son rayonnement thermique est intense et de durée prolongée. Aussi, pour gérer le rayonnement solaire, les zones plantées jouent un rôle essentiel.
Enfin, l’organisation architecturale des bâtiments doit permettre de profiter au mieux des vents dominants pour assurer la ventilation traversante des salles de classe ayant des ouvrants sur deux faces opposées.
Comment cette ventilation traversante peut-elle apporter du confort thermique ?
Au niveau de la peau, le déplacement d’air favorise la convection et l’évaporation de la transpiration. La température ressentie par les occupants est alors plus faible que celle de l’air.
Il est aussi possible de coupler la ventilation traversante de la salle de classe avec l’installation de brasseurs d’air. Également appelés ventilateurs de plafond, ils augmentent la vitesse de l’air et améliorent d’autant le confort thermique dans la classe. Les occupants ressentent en effet une température abaissée de deux à trois degrés.
Autre atout majeur, ce dispositif de brassage au plafond ‒ couplé à la ventilation traversante ‒ assure une excellente qualité de l’air en classe. Ceci a été confirmé dans les écoles de la ville de Saint-Paul par l’étude BRASS’AIR, lauréate de l’appel à projets AACT-AIR de l’Ademe 2.
Dans les écoles, la qualité de l’air présente-t-elle des enjeux spécifiques ?
Pour les enfants et de jeunes poumons en plein développement, la qualité de l’air revêt une importance toute particulière. Relativement à leur poids, ils inhalent en effet deux fois plus d’air que les adultes. Et leur métabolisme d’élimination des substances toxiques est beaucoup plus faible. Bien sûr, les locaux scolaires où ils passent 30 à 45 % de leur temps sont particulièrement concernés.
Aussi, pour ne pas affecter la capacité d’apprentissage des élèves ni d’ailleurs l’efficacité des enseignants, la qualité de l’air dans les classes reste essentielle. Dans les années 1990, elle est devenue une préoccupation, bien après les musées, les bureaux ou les locaux industriels. Pourtant à surface égale, une salle de classe peut avoir quatre à sept fois plus d’occupants que les bureaux.
L’air des écoles dépend de multiples facteurs, comme l’air extérieur des lieux environnants, le sol sur lequel elles sont construites, les produits utilisés pour la construction et le nettoyage. Indispensable dans le fonctionnement au quotidien, le renouvellement de l’air constitue, en outre, un point-clé majeur. Depuis 2015 3, la surveillance de la qualité de l’air intérieur dans les établissements scolaires est prescrite. En décembre 2022, le corpus réglementaire a été complété par cinq nouveaux textes 4. Il est recommandé de contrôler les teneurs en C02, témoin du confinement des salles, et certains polluants volatils comme le formaldéhyde et le benzène. Mais d’autres composés suscitent des inquiétudes, comme les particules, dont les plus fines pénètrent profondément dans les voies respiratoires.
Plusieurs études ont été menées sur la qualité de l’air dans les écoles réunionnaises. Quels éclairages apportent-elles ?
Menée avec la ville de Saint-Paul, l’étude BRASS’AIR a évalué l’impact des brasseurs d’air sur la remise en suspension des particules à partir des surfaces et sur leur dispersion par la rotation des pales.
Très rassurants, les résultats 5 confirment que le brassage n’augmente pas la concentration des particules dans les classes bénéficiant d’une ventilation naturelle traversante. Vecteur potentiel de confort thermique, les brasseurs d’air en ressortent confortés sur le plan de la santé.
Par ailleurs, en décembre 2018 et en février 2019, dans le cadre du programme Pacte 6, des mesures de qualité de l’air ont été effectuées dans un panel d’écoles du littoral réunionnais. Il intègre à la fois des salles de classe climatisées et d’autres avec une ventilation naturelle traversante. Incontestablement, la qualité de l’air reste excellente dans les salles bien ventilées naturellement. Par contre, elle s’avère problématique dans les salles climatisées, avec notamment des teneurs en CO2 excédant les valeurs recommandées 7. Sans système de renouvellement d’air, la climatisation conduit à confiner la salle durant toute la journée de classe. Dans cet air climatisé mais vicié, les capacités d’apprentissage s’en ressentent avec là aussi ‒ comme pour les températures élevées ‒ des effets de somnolences et de fatigues importants.
Au-delà de ces questions de renouvellement d’air, quelles précautions prendre dans l’usage de la climatisation dans les écoles ?
L’installation de systèmes de climatisation dans les écoles est souvent demandée. Cet élément de modernité a certains avantages mais aussi des inconvénients qui ne sont pas toujours connus et maîtrisés. Outre son impact énergétique, la climatisation n’est pas sans risque sur la santé des enfants.
Point de vigilance important, les risques de choc thermique questionnent directement les modalités d’usage dans les locaux scolaires. Quand les variations de températures restent lentes, le corps humain parvient à maintenir son équilibre thermique avec l’ambiance environnante. Par contre, si l’écart entre le local climatisé et l’extérieur dépasse les 7°C, le choc thermique est assuré. Il se traduit par des frissons, une sensation de froid quand on entre, suivis d’inflammations et d’infections des voies respiratoires supérieures. De plus, la climatisation ne se contente pas de refroidir l’air. Elle retire aussi une partie de la vapeur d’eau. Cet abaissement de l’hygrométrie est à l’origine de sécheresse des muqueuses oculaire, rhinopharyngée, bronchique et cutanée. En outre, l’entretien des installations mérite une vigilance particulière pour éviter toute dispersion de contaminants biologiques.
En conséquence, si la climatisation est déjà installée dans l’école, l’ensemble de ces risques pour la santé pousse à en raisonner l’usage. D’autant plus que des études récentes réalisées dans plusieurs pays tropicaux ont mis en évidence que la climatisation des salles de classe peut diminuer l’adaptabilité des élèves aux variations thermiques auxquelles ils peuvent être ensuite soumis.
Sous le climat tropical réunionnais, bien d’autres solutions s’offrent aux acteurs locaux pour assurer le confort thermique des écoles, dans un meilleur respect de la santé des enfants et des personnels.■
Propos recueillis par Nathalie GARAT
Professeur associé honoraire à l’université d’Angers, le docteur Suzanne Déoux est initiatrice de l’ingénierie de santé du cadre bâti et urbain depuis 1986. Elle est, en outre, présidente de l’association Bâtiment Santé Plus (https://www.defisbatimentsante.fr/). [↩]
L’appel à projet AACT-AIR (Aide à l’Action des Collectivités Territoriales en faveur de la qualité de l’air) encourage les collectivités à mettre en œuvre des actions d’amélioration de la qualité de l’air extérieur et intérieur. [↩]
Les décrets de 2015 – notamment du décret n°2015-1000 du 17 août 2015 ‒ prescrivent la surveillance de la qualité de l’air intérieur des établissements scolaires, l’évaluation des moyens d’aération et la mesure des polluants. [↩]
Le 27 décembre 2022, cinq textes ont été publiés : deux décrets et trois arrêtés. Le décret n° 2022-1689 modifie le code de l’environnement en matière de surveillance de la qualité de l’air intérieur. Le décret n° 2022-1690 modifie l’évaluation des moyens d’aération et la mesure des polluants dans certains établissements recevant du public. [↩]
Dans plusieurs écoles de la ville de Saint-Paul équipées de brasseurs d’air, les concentrations en particules ont été mesurées en janvier et en juin durant plusieurs semaines. Bien inférieures aux valeurs-cible établies par le Haut conseil en santé publique, elles n’augmentent pas avec le fonctionnement des brasseurs d’air dans des salles de classe avec ventilation naturelle traversante [↩]
Lancé début 2015 par la ministre du logement Sylvia Pinel, le programme PACTE (Programme d’Action pour la Qualité de la Construction et la Transition Énergétique) vise à accompagner les professionnels du bâtiment dans leur montée en compétence en matière d’efficacité énergétique. [↩]
Dans les salles climatisées, les teneurs en polluants volatils (COV) ont par ailleurs été mesurées au moins deux fois plus élevées que dans les classées ventilées naturellement. Du fait de la concentration en poussières et en composés volatils néfastes pour l’organisme, l’absence de renouvellement de l’air peut entraîner des maladies respiratoires. [↩]
Marioupol, Hiroshima, Guernica, Alep, Grozny, Sarajevo… à chaque guerre sa « ville martyre », victime de ce que l’architecte Bogdan Bogdanovic, ancien maire de Belgrade, dissident, mort en exil, qualifia d’« urbicide ». Selon la géographe Bénédicte Tratnjek[1], ce terme recouvre les « violences qui visent la destruction d’une ville, non en tant qu’objectif stratégique, mais en tant qu’objectif identitaire ».
Dans un premier temps cela désigna des situations qui paraissent bien futiles au regard des horreurs commises en Ukraine. Interrogé par France Culture, l’historien de l’architecture et des formes urbaines, Brent Patterson, rappela [2] que « aux États-Unis, le terme est utilisé pour critiquer le travail d’urbaniste mené par Robert Moses à New York entre les années 1930 et les années 1970, et qui est un peu l’équivalent de celui mené par le baron Haussmann à Paris… » Bogdan Bogdanovic, en l’appliquant au siège de Sarajevo, donna à l’expression la connotation exclusivement guerrière qu’on lui connait désormais. La destruction des villes ennemies, davantage encore que les « gains de territoires » obtenus lors d’une invasion, devient le symbole de la toute-puissance des agresseurs.
Remontant le temps, Philippe Chassaigne, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bordeaux-Montaigne, rappelle[3] que « lorsque les Allemands détruisent 90% de la ville de Coventry en 1940 et que Churchill en réponse fait raser Dresde par des flottes de bombardiers, il s’agit avant tout de frapper l’opinion publique. Les Allemands espèrent désespérer les Britanniques et les amener à pousser Churchill à ouvrir des négociations de paix. Pour Dresde, c’est l’inverse : il s’agit de montrer au peuple allemand que la supériorité technologique et aéronautique est du côté des Alliés et que le Reich n’en a plus pour longtemps. » Ce que l’historien de l’architecture Jean-Louis Cohen résume d’une formule, la « ville pour cible et comme champ de bataille.[4] » Durant la Seconde Guerre mondiale poursuit-il, pour la première fois les villes sont victimes désignées quand la guerre « affame leur population, les utilise comme théâtre pour de grandes batailles terrestres, et surtout, innovation capitale, les frappe jour et nuit avec l’aviation à long rayon d’action. »
À Sarajevo, la ville-capitale de la Bosnie-Herzégovine, des attaques se sont concentrées sur la bibliothèque Vijećnica, inaugurée le 20 août 1896. Comme le rappelle Bénédicte Tratnjek « les ouvrages qui y étaient conservés témoignaient non seulement de la succession de plusieurs pouvoirs et cultures en Bosnie-Herzégovine, mais aussi de leurs influences réciproques. L’incendie de cette bibliothèque et son pillage relève du mémoricide : il s’agit alors de détruire toute trace d’une mémoire collective dans la ville. »
La « guerre moderne » pourrait parfaitement se passer de telles destructions, pour au contraire conserver intactes les ressources et les équipements des villes conquises. Mais il s’agit avant tout d’en terroriser et d’en chasser les habitants ! Plusieurs centaines de milliers de personnes fuient les zones de combat et particulièrement les villes ukrainiennes rendues invivables. On atteint alors le deuxième but de l’urbicide : les mouvements massifs de population deviennent au passage une arme de déstabilisation des pays voisins, considérés eux-aussi comme des ennemis. La Pologne aujourd’hui, le Liban hier sont la cible indirecte des attaques menées sur des villes de pays en guerre.
Selon Amnesty International, qui résume les différents traités internationaux, « les crimes de guerre sont des violations « des lois et coutumes de la guerre » définies par les Conventions de Genève et de la Haye : ils comprennent les attaques délibérées contre des civils, la torture, le meurtre ou les mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre. La notion de crimes contre l’humanité englobe les disparitions forcées, les homicides, la réduction en esclavage, l’expulsion et le viol généralisé et systématique. » L’« urbicide » est l’un des moyens utilisés par l’agresseur pour accompagner et faciliter certains crimes, en détruisant l’un des refuges des hommes qui semblait les mettre à l’abri : la ville.■
Marc Lemonier
[1] Bénédicte Tratnjek. La destruction du ” vivre ensemble ” à Sarajevo : penser la guerre par le prisme de l’urbicide. 2012, http://www.defense.gouv.fr/irsem/publications/lettre-de-l-irsem/lettre-de-l-irsem-n5-2012/releve-st. ffhalshs-00705113f
[2] Dans le cadre de l’émission « Que détruit-on lorsqu’on détruit une ville ? » France Culture le 2 octobre 2010
Des architectes et des urbanistes sont appelés en renfort afin de mettre au service des institutions internationales leurs compétences professionnelles en matière de conception des bâtiments… pour analyser la manière utilisée pour les détruire.
Le collectif Forensic architecture, fondé au sein du Goldsmith College de Londres en 2010 par l’architecte Eyal Weizman, a créé des méthodes d’analyse des lieux où se sont déroulées des actions violentes – crimes, guerres, violences policières – en s’inspirant des pratiques de la médecine légale. Il s’agit de relever les traces matérielles des actions violentes, en prélevant sur les bâtiments des impacts de balles ou de bombardements, en utilisant les ressources de l’imagerie 3D pour comparer l’état d’un bâtiment avant et après une explosion, et à analyser grâce à cela les trajectoires des tirs ou d’explosions permettant d’en déterminer l’origine. Ce qui aide en particulier à désigner qui a réellement tiré et depuis quelle position. « La plupart des conflits actuels prennent place dans des villes… les gens meurent dans des bâtiments », affirmait l’architecte israélien Eyal Weizman dans un documentaire consacré à ses travaux. Aussi la collecte de ces informations est-elle essentielle pour constituer des dossiers lorsqu’il s’agira de punir des crimes de guerre.
La collecte est également fondée sur une démarche collaborative. Forensic rassemble les vidéos amateurs présentant l’état antérieur des sites bombardés ou les actions commises durant leur destruction. Ces techniques peuvent avoir des applications « civiles ». Lors de l’explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020, Forensic a ainsi rassemblé un grand nombre d’images et de vidéos prises par les témoins. Ce qui lui a ensuite permis de concevoir une image 3D de l’événement.
Dès le mois de mars 2022, des architectes de l’association se sont rendus en Ukraine. Ils sont allés au nord-ouest de Kyiv pour analyser les circonstances de la destruction de la tour de télévision de la ville, non loin du site de Babyn Yar, qui fut durant la Seconde Guerre mondiale le théâtre de l’une des pires atrocités de la « Shoah par balles », et dont un missile russe détruisit le mémorial.
Car l’histoire semble toujours vouloir se répéter.■
Marc Lemonier
Références :
Eyal Weizman, La vérité en ruines : Manifeste pour une architecture forensique, La découverte, 2021
Eyal Weizman, archéologue et enquêteur d’une vérité en ruines, diffusé sur France Culture le 20 mai 2021
Brent Patterson est, au sein de l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, en charge de l’enseignement des Histoires et théories de l’architecture et des formes urbaines. Il fait partie des rares enseignants qui en France abordent l’histoire des villes au prisme de leur destruction et reconstruction, des conflits qui s’y déroulent et des « urbicides ».
Dans une interview donnée à France Culture vous rappeliez que la notion d’urbicide était initialement liée à ce qu’on appellerait aujourd’hui la défense du patrimoine…
La première personne à avoir employé ce terme était la critique d’architecture Ada Louise Huxtable[i] dans un article du New York Times, repris dans son livre Will They Ever Finish Bruckner Boulevard ? Elle dénonçait l’urbanisme agressif de l’architecte en chef de la ville Robert Moses dans le Bronx. D’autres penseurs de l’époque se reconnaissaient dans ce terme comme le professeur de science politique et d’urbanisme marxiste Marshall Berman, qui associait cette forme d’urbanisme à une attaque contre les classes populaires, à l’instar de la destruction du quartier de Kingsbridge où il avait passé sa jeunesse. La philosophe Jane Jacobs, auteure de Déclin et survie des grandes villes américaines, reprit elle aussi cette notion à son compte.
Bogdan Bogdanovic, architecte avant d’être maire de Belgrade, connaissait l’œuvre de Marshall Berman. Il s’en inspira sans doute lorsqu’il utilisa le terme d’urbicide pour dénoncer la destruction du patrimoine culturel lors du conflit en ex-Yougoslavie. Durant la guerre, des mosquées appartenant au patrimoine régional ou local ont été volontairement détruites. Le spécialiste britannique de politique internationale Martin Coward, dans son ouvrage Urbicide: The Politics of Urban Destruction, a caractérisé l’urbicide à partir de cette notion de destruction ciblée. Les milices, sans motifs stratégiques, visaient la synagogue, les cimetières juifs, les mosquées, la bibliothèque. En Ukraine, les troupes russes ont attaqué des lieux culturels, des centres communautaires, des écoles, des écoles d’art, au prétexte qu’ils hébergeaient des soldats.
Il est important de mettre en lumière les attaques ciblées et intentionnelles contre ce patrimoine culturel, pour alerter l’opinion avant que la situation n’évolue vers un génocide. Car l’urbicide est une étape ou l’un des aspects des crimes contre les personnes. À Tombouctou au Mali, certaines personnes ont été jugées comme criminelles pour la destruction des mausolées, alors qu’on les soupçonnait par ailleurs d’être des assassins impliqués dans des viols et des meurtres…
Les méthodes développées par Forensic architecture (voir ci-après) pour caractériser des crimes de guerre appartiennent à un ensemble plus vaste de techniques. Quels types d’information peuvent-elles apporter ?
L’équipe de Forensic est extrêmement interdisciplinaire, ce ne sont pas uniquement des architectes… Ainsi, elle a dernièrement réalisé un travail sur le climat, où sont engagés beaucoup de spécialistes experts sur les questions des courants marins en Méditerranée. L’étude a permis de visualiser leur importance pour le déplacement des bateaux des migrants venant d’Afrique du Nord. Il y a également tout un travail en Louisiane par rapport à la pollution chimique provenant de certaines usines pétrochimiques, etc. Rappelons que l’une des premières actions du collectif permit de caractériser l’appropriation des quartiers palestiniens par la colonisation et la destruction de maisons en Cisjordanie.
L’analyse des dégâts commis durant les guerres aide également à préparer la reconstruction. L’UNESCO et d’autres associations internationales cherchent de plus en plus à être sur la scène très rapidement pour pouvoir juger de la nature des destructions et intervenir dès la fin des conflits.■
Le 22 février dernier Florence Provendier remettait à Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, son rapport intitulé : Mobiliser et structurer le mouvement multi-acteurs autour des objectifs de développement durable. Il fait suite à l’adoption par les 193 pays membres de l’Onu, en septembre 2015, de l’Agenda 2030, qui comprend 17 grands objectifs. Parmi les défis à relever, les inégalités, le changement climatique, la dégradation de l’environnement, la paix et la justice sont particulièrement mis en avant. Le dernier rapport du Giec, très alarmant sur les bouleversements environnementaux présents et à venir, et l’arrivée de réfugiés en provenance d’Ukraine sont là pour nous rappeler l’urgence à agir grâce à une approche systémique. Le rapport va dans ce sens en “proposant d’utiliser les ODD comme une boussole pour orienter les formations initiale et continue, ou encore évaluer le budget de l’État ou la performance extra-financière des entreprises“, soulignait la ministre.■
Huit associations nationales (1) ont demandé à l’Ifop d’identifier les attentes des Français en faveur de la protection de la nature et de la biodiversité. Les résultats du sondage sont éloquents, ils montrent combien les attentes sociétales sont fortes. Ainsi, 76 % des Français considèrent que la santé et la protection de l’environnement sont liées et ils sont encore plus nombreux à souhaiter l’interdiction de pesticides dangereux. Ils se disent aussi prêts à modifier certains comportements de consommation, comme favoriser l’achat de produits bio même plus chers ou la diminution de la consommation de poissons pour éviter la surpêche. Ils sont également très nombreux (82 %) à réclamer une attention portée à la faune et à la flore lors de l’implantation d’infrastructures de transports et d’énergie. Dans le même ordre d’idée, ils sont 90 % à se déclarer favorables à une augmentation des espaces naturels protégés, tels que les réserves naturelles et ils sont 74 % à regretter que l’éducation à la nature et à l’environnement ne soit pas plus développée en France. Des chiffres qui peuvent aider à dessiner des politiques ambitieuses.■
L’Observatoire national de l’artificialisation travaille avec quelques départements pilotes sur un outil de mesure (OCS GE) qui permettra de connaître avec finesse les évolutions à l’œuvre et d’établir des comparaisons. Pascal Lory, directeur du projet ” Dispositif de mesure de l’artificialisation” au ministère de la Transition écologique, nous en présente les caractéristiques.
Diagonal À quels besoins répond l’Observatoire de l’artificialisation, que ce soit à l’échelle nationale ou communale ?
Il y a un premier besoin au niveau de l’État de suivre la trajectoire d’artificialisation jusqu’à l’objectif ZAN en 2050. Parallèlement, les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État ont également la nécessité de disposer de bilans fiables d’artificialisation sur les territoires.
Au-delà de donner les moyens à l’État, en particulier la DGALN, de piloter cette politique prioritaire du gouvernement qu’est la lutte contre l’artificialisation des sols, il s’agit également de permettre aux Régions, SCoT et structures intercommunales ou communales qui sont en charge de documents d’urbanisme ou de planification de répondre à un certain nombre d’exigences, notamment en ce qui concerne leur bilan de consommation d’espaces. Dans le cadre de la loi Climat et des décrets d’application prévus, les collectivités vont devoir fournir des rapports en matière de lutte contre l’artificialisation des sols avec un certain nombre d’indicateurs. Cet observatoire va leur en donner les moyens, il fournira des données et permettra une mesure plus fiable de l’artificialisation des sols.
On utilise deux notions qui renvoient à des définitions différentes : la consommation d’espaces d’un côté et l’artificialisation de l’autre. En quoi se distinguent-elles ou se complètent-elles ?
En fait, ce sont deux notions assez proches et l’absence de définition claire n’a pas aidé à préciser leurs perceptions respectives. La loi Climat et résilience a enfin établi la définition de l’artificialisation des sols, en faisant référence à l’atteinte durable aux fonctionnalités du sol.
Mais les débats avaient démarré avec le plan biodiversité. À la suite de sa parution, un groupe de travail sur la sobriété foncière qui rassemblait toutes les parties prenantes avait été formé (voir NL n°5). Puis la Conférence citoyenne pour le climat a également alimenté les débats, avant que les parlementaires, au cours du premier semestre 2021, ne s’emparent du sujet et aboutissent au texte de loi que l’on connait.
On peut dire qu’il y a eu quasiment trois ans de lente maturation pour arriver à cette définition de l’artificialisation.
Les deux termes renvoient à deux visions du territoire différentes. À ce stade, la consommation concerne plutôt les usages des parcelles, sous un angle foncier, avec comme finalité la lutte contre l’étalement urbain. Alors qu’avec l’artificialisation, on a une approche par les sols, l’objectif étant de les protéger. Dès lors, l’observation se fait plus sous un angle : “On regarde le sol au travers de son occupation”. À savoir : que trouve-t-on à la surface de ce sol ? Est-ce du revêtu ? Des parkings, des infrastructures routières, du bâti, considérés comme artificialisés ? Ou, a contrario, des espaces végétalisés, arborés, considérés comme non artificialisés ?
Côté artificialisation, les phénomènes sont bien cernés et on va pouvoir les mesurer finement. Côté consommation, il y a toujours des interprétations, même si ses contours sont précisés dans l’article 194 de la loi : “la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers est entendue comme la création ou l’extension effective d’espaces urbanisés sur le territoire concerné”. Une note de doctrine est en cours de rédaction et va préciser les choses.
Des observatoires locaux sont déjà en place. Ils mesurent la consommation des espaces naturels agricoles et forestiers et continueront probablement de le faire après 2031, qui constitue le jalon, dans la loi Climat et résilience, pour le passage de témoin entre consommation et artificialisation. L’Observatoire national apporte la mesure de l’artificialisation, actuellement nous cherchons à articuler les deux échelons de mesure, national et local, afin d’assurer la plus grande cohérence.
Vous avez réalisé un prototype de base de données qui distingue l’usage de l’occupation, va-t-il permettre d’industrialiser la production de la connaissance ?
Un prototype a été fait sur le SCoT d’Arcachon, avec comme premier objectif de vérifier la faisabilité technique de constituer une base de données sur l’occupation et l’usage des sols par intelligence artificielle (Occupation du sol à grande échelle : OCS GE). Jusqu’à présent, des humains analysaient des photographies aériennes et produisaient les bases de données. Cette production va donc être considérablement bouleversée même si le résultat final, l’OCS GE, conserve des spécifications identiques.
Le deuxième intérêt du prototypage a porté sur le lien fort entre l’outil de mesure et la définition. Il s’agissait effectivement d’élaborer une définition qui soit mesurable.
Êtes-vous d’ores et déjà en mesure de mettre en application cet outil sur le terrain et d’observer concrètement ses impacts ?
Nous allons les mesurer sur le département du Gers. Ce seront des données labellisées, officielles. Elles seront disponibles dès le mois de mars. Un certain nombre d’acteurs locaux sont en attente de ces données OCS GE, et notamment le SCoT de Gascogne qui va pouvoir les utiliser, de même que la DDT. Un opérateur technique, comme l’Agence d’Urbanisme de Toulouse, qui les exploitera pour le compte du SCoT, est également dans les starting-blocks.
Vous prévoyez son déploiement sur d’autres départements. Comment les choisissez –vous ?
Il est tout d’abord nécessaire de rappeler que l’ambition est de couvrir l’intégralité du territoire national pour 2024. Néanmoins, pour le choix des départements, il y a actuellement plusieurs critères.
Le premier critère est technique. Il faut s’appuyer sur une prise de vue aérienne récente, afin d’éviter de produire une occupation du sol à une grande échelle qui serait déjà un peu datée, même si, à chaque fois, on produit deux millésimes. En ce moment, les départements que l’on choisit disposent de prises de vue de 2021, voire 2020. Et l’on prend aussi la prise de vue plus ancienne de trois ans. Cette production bi-millésimée permet d’emblée de calculer des flux d’artificialisation.
Le second critère est de produire là où les besoins sont forts, les attentes avérées, et où les moyens sont mis en place pour utiliser les données rapidement, afin de produire des cas d’usage.
Quelles sont les attentes de vos financeurs et de la DGALN ?
L’investissement important consenti par l’État nous oblige. Le coût de l’Observatoire est en effet de l’ordre de 20 millions d’euros. Le Fonds de transformation de l’action publique (FTAP), porté par l’État, est notre financeur principal, il contribue à hauteur de 11 millions d’euros pour la production de l’OCS GE. Les autres financeurs de l’observatoire sont la DGALN et le ministère de l’Agriculture. Aussi est-il essentiel de faciliter des cas d’usage par les utilisateurs locaux, l’État au travers des services déconcentrés et les collectivités territoriales. C’est ce que nous faisons dans le cadre de l’accompagnement des territoires au déploiement de l’OCS GE.■