UR est un bureau d’architecture et d’urbanisme basé à Paris et à Bordeaux. Il intervient sur des tissus métropolitains en transformation : les zones pavillonnaires, les zones d’activités, les pôles d’échanges, pour les adapter aux enjeux écologiques, aux modes de vie et aux évolutions sociétales.
UR a entre autres mené une étude du plan urbain du centre historique d’Eysines, en proche banlieue bordelaise. “Le centre historique d’Eysines, apparaît comme un quartier historique gelé entouré de divers développements résidentiels construits entre les années 1960 et 2000. Aujourd’hui, la plupart des terrains disponibles ont été urbanisés, entraînant un stress sur le marché du logement et le logement collectif non déclaré dans le cadre urbain à faible densité”. Pour rester en mesure d’accueillir de nouveaux habitants, la ville doit renouveler son tissu urbain tout en conservant ses principales qualités domestiques et ses espaces verts. ■M.L.
Comment s’adapter à la menace du recul du trait de côte sans recourir aux solutions d’ingénierie lourde, très coûteuses, et parfois sources de maladaptation ?
Les solutions fondées sur la nature (SfN), thème du séminaire organisé par le ministère de la Transition écologique le 29 mai dernier, à La Défense, sont une réponse possible. Protection des mangroves, végétalisation de dunes, dépoldérisation…, elles permettent à la fois la préservation ou la restauration des écosystèmes naturels et la gestion souple du trait de côte.
Or les enjeux sont prégnants. À l’horizon 2050, 5 200 logements et 1 400 locaux d’activités sont menacés par l’érosion côtière. En 2023 déjà, le Signal, ensemble de deux bâtiments d’habitat collectif, initialement construit à 200 mètres de l’océan avait dû être démoli à Soulac-sur-mer (33).
Souvent associées à d’autres solutions, comme l’a montré une enquête de l’observatoire citoyen du littoral morbihannais (OCLM), “douces” (ingénierie écologique) ou “dures” (digues, épis, brise-lames, enrochements…), les SfN ne sont pas des solutions techniques mais s’inscrivent dans un véritable projet de territoire.
Elles posent donc des difficultés de définition, mais aussi d’acceptation sociale. En modifiant le paysage littoral, dont la valeur affective est parfois forte, elles peuvent susciter la contestation des usagers. Ce fut le cas à Fermanville, l’un des 9 sites lauréats de l’appel à projet du ministère “territoires littoraux résilients”. Du côté des élus, la perplexité quant à leur efficacité peut aussi compliquer leur mise en œuvre.
C’est dans ce contexte que le ministère de la Transition écologique, parallèlement au programme européen Life Adapto+ porté par le Conservatoire du littoral (qui complète le programme Adapto clôturé en 2022), lance un nouvel appel à projets. Ouvert jusqu’au 30 septembre 2024, son ambition est de démontrer la validité des SfN pour en faire, chaque fois que c’est pertinent, une véritable alternative à l’ingénierie côtière. ■ N.T.
Un foncier de plus en plus cher, des prix de marchés contraints, une solvabilité dégradée des ménages… Comment faciliter l’accès au logement sans faire de la qualité une variable d’ajustement ? Une équation complexe que résume la notion de logement abordable, enjeu fondamental du programme Engagés pour la qualité du logement de demain (EQLD).
Le logement abordable, notion aussi large que floue, renvoie généralement au logement qui demande un taux d’effort des ménages inférieur à 30 % de leur revenu. En son sein : le logement social, dont les acteurs ont su prouver leur intérêt pour la qualité. Parmi les 97 lauréats de l’appel à manifestation d’intérêt EQLD, 43 sont des bailleurs sociaux. L’institut IDHEAL a rappelé que 70 % des Français étant éligibles au logement social, ce dernier constitue la voie principale vers le logement abordable de qualité.
Ces projets nous montrent le rôle essentiel de la puissance publique pour assurer la qualité du logement et réguler les prix du marché. Le fonds vert abonde en ce sens en venant combler les déficits liés à la rénovation énergétique ou à la réhabilitation de friches.
Dans un contexte de réduction de la dépense publique et de crise de l’immobilier, la pérennité d’un tel modèle reste toutefois incertaine. ■ N.T.
Le ministre Guillaume Kasbarian a présenté son projet de loi pour le développement de l’offre de logements abordables le 3 mai dernier en conseil des ministres. Sur les 14 articles que comportent le projet, soumis à l’examen du Sénat à partir du 17 juin prochain, 2 portent spécifiquement sur le secteur du logement locatif intermédiaire.
Le premier, le plus emblématique comme le plus contesté par l’ensemble des acteurs du logement social, propose de comptabiliser dans les objectifs SRU une part de logements intermédiaires (jusqu’à 25 %). La mesure s’adresse aux maires qui ont déjà construits a minima 15 % (sur 25 %) ou 10 % (si leur objectif assigné est de 20 %) de logements sociaux. Une façon d’écarter de facto les élus résolument réfractaires au logement social. Le pari étant que dans les 650 communes concernées par l’article, la construction puisse repartir à la hausse en ciblant des ménages plus favorisés.
Le second article, le N°7, veut encourager la production de logements intermédiaires, la multipliant par deux, pour atteindre 20 %, la part de ce type de logements que les organismes bailleurs peuvent détenir en propre. Une mesure qui pourrait améliorer le rythme de production de logements intermédiaires (+4 000 par an).
Où en est-on du déploiement du projet “Quartiers fertiles” qui a mobilisé plus de 34 millions d’euros de la part de la puissance publique 1? Sur la centaine de lauréats accompagnés, nous sommes allés à la découverte du projet de l’agglomération de Laval qui passe en phase opérationnelle.
Quatre ans après le lancement officiel de l’appel à projets de l’ANRU, les quartiers fertiles prennent forme, chacun à leur rythme, sur le territoire. “Le projet de Laval est l’un des plus importants, en termes de superficie, avec celui de Joigny, dans l’Yonne”, commente Nicolas Le Roux, Responsable du pôle Ville productive et créative à l’ANRU. Ce projet englobe presque toutes les problématiques. Sur 18 ha, sur des terres non polluées, avec une biodiversité très satisfaisante, de la récupération d’eau de pluie, et avec une grande concertation des habitants, le projet suit sa feuille de route. Une fois la restitution effectuée, les travaux devraient commencer mi-2025. Il fait partie de la troisième vague d’appels à projets. “Tous ont pris du retard à cause de la crise sanitaire (…). Nous avons reçu près de 150 dossiers et 98 lauréats ont été désignés, au total. Douze d’entre eux ont été abandonnés, souvent pour des questions foncières ou de changement politique. Une quarantaine d’opérations est soldée sur un total de 219, souvent portées par des acteurs privés et de moins grande envergure”.
Une dynamique globale
En périphérie de Laval, un projet de ferme prend forme dans le quartier Saint-Nicolas, un quartier prioritaire de la politique de la ville où résident 6 000 personnes. Le projet de ferme vient se greffer au projet politique ambitieux des élus pour ces quartiers. “C’est une dynamique globale qui se joue là, avec le projet “zéro chômeur longue durée” qui se développe en parallèle” témoigne l’élu Patrice Morin, adjoint au maire en charge du logement, de la mixité et la sécurité. “Nous sommes sur un équipement très social et de quartier et nous ne sommes pas du tout en concurrence avec l’agriculture traditionnelle, tient à souligner l’élu. Les maires des 32 communes rurales sont maintenant derrière nous. Cela ne fait même plus débat”, insiste-t-il.
Cette future ferme veut avoir un effet démonstrateur très fort. “L’avancée du projet nous conforte complètement dans nos choix. Dans notre agglomération de 115 000 habitants, lors de mes propos de campagne en 2020, j’avais mis en avant ce quartier et la nécessité de pousser les questions du renouvellement et de la lutte contre la précarité alimentaire”.
De l’alimentation à la question de santé publique
“Le projet de ferme urbaine concentre les questions d’emplois, du bien manger, comme celle du changement climatique”. L’ingénierie développée a été très importante puisque pas moins de six bureaux d’études se sont penchés sur le sujet, avant d’arriver au point final et avant la mise en musique par la ville. Hervé François, le chef du projet de l’agglomération de Laval détaille : “On va écouler 200 tonnes de fruits et légumes d’ici 2030. Un tiers passera par de la restauration et les deux-tiers par de la vente directe. L’objectif est aussi de créer des ateliers de cuisine afin de lutter contre la précarité alimentaire. On s’attaque à l’alimentation, mais par effet ricochet, on s’attaque à la question de la santé publique”. L’objectif est clairement de “prendre soin de l’humain et du vivant, en développant des pratiques vertueuses”.
Réservoir de biodiversité
La ferme, située en zone humide protégée, sera un réservoir de biodiversité. “Nous allons planter 4 km de haie et nous voulons préserver la faune et la flore très riche sur place”, précise Hervé François.
Sur 18 ha, seuls 10 seront mis en production car le site accueillera également des moutons, des vaches, des poules pondeuses et des ruches. La volonté de la collectivité est de développer des activités complémentaires. Une SCIC représentant trois collèges – citoyens, salariés et usagers-consommateurs – permettra l’embauche à terme de 25 personnes essentiellement en insertion pour des métiers d’ouvriers, d’encadrants agricoles, de commerciaux mais aussi des emplois dans l’animation et la formation.
D’après Nicolas Leroux, le projet des “quartiers fertiles devrait aboutir à la création d’environ 900 emplois, sur leur totalité. C’est ce que nous avons évalué en partant d’une création de 7 emplois par site”. Il s’agit aujourd’hui de “pérenniser l’activité et consolider les modèles”. Pour ce faire, l’ANRU continue d’outiller les porteurs de projets et prévoit d’ailleurs la livraison de plusieurs rapports, courant juin. “Nous allons publier plusieurs guides, sur les aspects juridiques, les modèles économiques, sur les questions de foncier, d’urbanisme et de droit des sols”. La communauté est invitée à participer à travers un espace collaboratif et des démarches d’évaluation. Une journée nationale est également programmée au mois d’octobre 2024 à Lyon.
Le projet de Laval est un projet très fédérateur, qui “emmène tout le monde et suscite énormément d’intérêt de la part de tous”, termine Patrice Morin. L’élu très impliqué dans le projet conclut : “Pour faire de la politique, il faut être utopiste”. La réalisation de cette ferme urbaine devrait conforter les élus dans leurs choix et orientations. Même s’il faudra attendre 2028 pour voir le projet devenir pleinement opérationnel.■
Claire Nioncel
C’est l’enveloppe de subventions mobilisées pour financer les études, l’ingénierie, l’animation, la construction, l’entretien des sites, et de façon générale l’accompagnement de l’ANRU. Le financement de l’appel à projets est assuré par les programmes d’investissement d’avenir (PIA), la Banque des territoires, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et l’ADEME [↩]
Densifier, construire la ville sur la ville… Sur le papier, les solutions pour atteindre les objectifs de zéro artificialisation nette sont bien connues. Mais il n’en demeure pas moins que leur mise en œuvre soulève de nombreuses interrogations quant aux modèles économiques d’aménagement. Incitations fiscales, aides dédiées, relais de croissance pour les opérateurs, ce dossier explore différents leviers pour accélérer la trajectoire de sobriété foncière dans les territoires. L’article qui suit aborde le levier du recyclage foncier et le soutien de l’État à travers le fonds friches.
Recyclage foncier : quel bilan pour le fonds friches ?
L’éclairage de Juliette Maître, directrice de projet Aménagement durable et transition écologique au Cerema.
Le Cerema a récemment produit une étude sur les candidats et les lauréats du Fonds friches… Quel en était l’objet ?
Juliette Maître : Lorsque le fonds friches a été lancé en 2020 dans le cadre du plan de relance, le Cerema a été missionné pour appuyer les services de l’État et de l’Administration centrale dans l’évaluation des dossiers. Cette étude a permis de dresser un panorama des projets candidats et lauréats du fonds friches, d’évaluer l’impact de ce dispositif et d’anticiper les coûts à venir dans la perspective de sa pérennisation. Pour ce faire, nous nous sommes basés sur l’examen des programmes prévisionnels et coûts associés ainsi que sur l’analyse plus fouillée d’une douzaine d’opérations.
Où en est la France en matière de recyclage foncier ?
Le recyclage foncier n’est pas une problématique nouvelle, ni dans les esprits, ni dans les pratiques. Ces dernières années ont ainsi été marquées par plusieurs grandes opérations très médiatisées (Île de Nantes, Lyon Confluence…) et des régions comme la Bretagne se sont emparées du sujet avec volontarisme. De plus, des programmes nationaux comme Action cœur de ville et Petites villes de demain ou UrbanVitaliz – le service public d’orientation et de conseil du Cerema – sont venus soutenir les initiatives des collectivités. Pour l’heure, notre pays compte encore 10 000 friches, soit à peu près 170 000 hectares de superficies à requalifier 1 . Et ce gisement est comme un puits sans fond : à mesure qu’on requalifie des friches, d’autres se créent…
Quelle est la vocation initiale du fonds friches ?
Reconstruire la ville sur la ville demeure un processus complexe et coûteux, plus en tout cas que les opérations d’aménagement par étalement urbain. De nombreux projets de réhabilitation de friches n’aboutissent pas en raison d’un déficit financier trop important. Dans la perspective de l’accélération de la production de logements et pour freiner l’artificialisation des sols, l’État a voulu permettre à un maximum d’opérations de recyclage foncier de voir le jour en compensant une partie de ce déficit.
Quels sont les principaux enseignements de l’étude du Cerema ?
L’examen des dossiers des candidats et lauréats venus de toute la France a fait apparaître plusieurs éléments. Le premier est sans doute la très grande hétérogénéité des friches, avec des opérations de quelques centaines de mètres carrés et d’autres de plus de cent hectares, des anciennes boulangeries de village et des terrains militaires désaffectés, des terrains propres et d’autres extrêmement pollués. Variété également en matière de typologie de projets avec des projets d’aménagement et de proto-aménagements – qui constituent une étape préalable à l’aménagement –, et de très nombreux projets immobiliers de toutes sortes, ce qui a d’ailleurs été une surprise : nous ne pensions pas qu’il y aurait autant de petits projets immobiliers.
Qu’avez-vous appris sur l’origine du déficit des projets candidats au fonds friches ?
Dans la grande majorité des cas, les opérations de recyclage foncier pâtissent d’un modèle économique non rentable. C’est le cas fréquemment des programmes de logements sociaux. Les autres grands facteurs de déséquilibre sont les surcoûts liés à la dépollution et d’autres aléas comme la découverte d’amiante, les problèmes de portance… Ils peuvent suffire à plonger l’économie d’un projet dans le rouge !
Ces travaux ont-ils permis d’en savoir plus sur le coût des opérations de recyclage foncier et sur l’efficacité des subventions octroyées ?
En moyenne, pour les projets d’aménagement il faut compter 375 k€ par hectare pour la remise en état du foncier en l’absence de pollution, mais la facture peut s’envoler à plus de 2M€/ha. Dans les opérations immobilières, ces dépenses peuvent représenter plus de 1 000 € HT/m² de surface de plancher produits avec une médiane à 120 € HT/m² et quand il s’agit de logements, elles s’établissent entre 12 et 19 k€ par logement. Nous avons découvert que les subventions les plus “efficaces” en termes de m² de planchers générés sont celles attribuées aux projets d’aménagement et aux programmes immobiliers en zone de tension intermédiaire (B1). Au total, plus de 1 300 projets ont été soutenus par le fonds pour un total de 750 millions d’euros. Cela devrait permettre le recyclage d’environ 3 000 ha de friches et la production de près de 7 millions de m² de surfaces de logements, de 5 millions de m² de surfaces économiques et de plus de 4 millions de m² d’équipements publics.
Doté de 2 milliards d’euros par an jusqu’en 2027, le fonds vert signe la volonté de l’État de soutenir activement les stratégies locales de recyclage foncier puisqu’il pérennise les mécanismes du fonds friches. Il permettra en outre d’accompagner des opérations centrées sur la restauration écologique des sols, notamment aux fins de renaturation.■
Densifier, construire la ville sur la ville… Sur le papier, les solutions pour atteindre les objectifs de zéro artificialisation nette sont bien connues. Mais il n’en demeure pas moins que leur mise en œuvre soulève de nombreuses interrogations quant aux modèles économiques d’aménagement. Incitations fiscales, aides dédiées, relais de croissance pour les opérateurs, ce dossier explore différents leviers pour accélérer la trajectoire de sobriété foncière dans les territoires. L’article qui suit aborde le renouveau du modèle économique des aménageurs.
Quel(s) avenir(s) pour les aménageurs à l’ombre du ZAN ?
L’objectif de zéro artificialisation nette constitue une véritable révolution dans l’aménagement du territoire urbain en France. En effet, il impose de passer à marche forcée d’une logique de développement urbain par extension à une logique de renouvellement et de densification. Cette nouvelle donne place les entreprises publiques locales (EPL) dans une situation délicate, contraintes à la fois par une ressource foncière plus rare et plus chère, par d’importants surcoûts de démolition et de dépollution liés à l’héritage urbain des terrains, et par des prix de sortie sans réelle perspective d’évolution du fait des mécanismes du marché immobilier toujours plus concurrentiels. Autant de facteurs qui rendent les opérations de renouvellement urbain particulièrement difficiles à équilibrer, avec un risque d’abandon ou de report conséquent à la clé.
À moyen terme, ce contexte en tension devrait amener les aménageurs publics à s’adapter en repensant leur modèle économique et leur positionnement dans la chaîne de valeur de la production urbaine. L’enjeu ? Générer de nouvelles sources de revenus et d’activités mais aussi et surtout devenir des partenaires d’envergure des collectivités, à même de contribuer à la définition des stratégies foncières territoriales. Mais pour quoi faire concrètement, et selon quelles modalités ? C’est sur ces questions, entre autres, que se penche l’étude réalisée l’an dernier dans le cadre d’un partenariat associant le groupe SCET – filiale de la Caisse des Dépôts rattachée directement à la Banque des Territoires – et la chaire d’économie urbaine de l’ESSEC. Ces travaux, menés sur la base d’enquêtes menées auprès de quatre EPL1 ont permis de dégager trois axes de réflexion.
Sécuriser l’avenir foncier
Dans un marché foncier soumis à de grandes tensions dues à des gisements contraints par l’impératif de sobriété et à des appétits privés aiguisés par la rareté, certains projets d’aménagement peuvent être menacés. Il apparaît alors important de sécuriser certaines parcelles de terrain stratégiques dans la perspective de développements futurs. Il y a là un rôle décisif à jouer pour les EPL d’aménagement. En structurant des foncières ou en s’associant avec des foncières existantes, elles pourraient garantir une maîtrise publique de cette ressource, quitte à associer au besoin des acteurs privés. Parallèlement, les aménageurs pourront également se positionner comme prestataire d’ingénierie pour les collectivités en s’appuyant sur leurs expertises en matière de connaissance du foncier, de prospective territoriale, de mécanismes de subvention ou des stratégies de renaturation/compensation.
Investir l’aval de la chaîne de valeur de l’aménagement
Face à des bilans toujours plus déficitaires, les aménageurs publics ont tout intérêt à aller chercher des leviers de croissance en endossant de nouveaux métiers. Deux voies s’ouvrent à eux, qui ont déjà été expérimentées par certains des acteurs interrogés dans le cadre de l’étude ESSEC/SCET. Ils peuvent ainsi s’engager dans le domaine de la promotion/co-promotion, comme le fait, par exemple la Société d’Équipement du Département de l’Aisne (SEDA), qui s’est mise au service du renouvellement urbain des collectivités de son territoire en produisant elle-même des immeubles résidentiels et de bureaux. Pour les EPL, ces activités permettent de bénéficier de la plus-value immobilière des produits commercialisés, tout en enrichissant leur regard d’aménageur d’une meilleure connaissance des contraintes propres aux activités de promotion. Les aménageurs publics ont également la possibilité de se développer encore plus en aval, dans les métiers de la gestion locative ou de l’exploitation. C’est le choix qu’a fait la SPL Clermont-Auvergne à travers Assemblia qui se présente comme une société d’économie mixte (SEM) multi-activités au service de la fabrique urbaine.
L’adaptation des aménageurs à la nouvelle donne foncière passera aussi, pour certains, par une évolution des mécanismes de financement. Ainsi, pour les opérations les plus fragiles, confrontées à des déficits structurels (surcoûts élevés, marché immobilier atone, programmation peu rémunératrice en charges foncières…), un renforcement de la participation des collectivités est à prévoir. Le recours aux dispositifs de soutien nationaux comme le fonds vert qui prend la suite du fonds friches pourra aussi être envisagé afin de couvrir toute ou partie du déficit. Dans certains cas, les aménageurs seront amenés à augmenter leurs fonds propres par des montées en capital de la part des collectivités ou d’acteurs privés afin de financer les acquisitions foncières ou prolonger le portage des actifs. Enfin, au cours des opérations et en attendant la livraison, les EPL pourraient dégager des revenus complémentaires via la location du foncier à des entreprises. C’est la stratégie suivie par la SEBL Grand-Est dans la perspective de la reconversion d’une friche industrielle à Toul : la location d’une partie des locaux existants dès le début du programme y représente même près d’un quart du budget de l’opération.■
Dominique Fidel
SEBL Grand Est, SEDA (Hauts de France), SPL Clermont-Auvergne, Citallios (Île-de-France). [↩]
Densifier, construire la ville sur la ville… Sur le papier, les solutions pour atteindre les objectifs de zéro artificialisation nette sont bien connues. Mais il n’en demeure pas moins que leur mise en œuvre soulève de nombreuses interrogations quant aux modèles économiques d’aménagement. Incitations fiscales, aides dédiées, relais de croissance pour les opérateurs, ce dossier explore différents leviers pour accélérer la trajectoire de sobriété foncière dans les territoires. L’article qui suit aborde le levier de la fiscalité locale.
Fiscalité locale : ennemie ou amie de l’objectif ZAN ?
En juin 2022, le président de la commission des finances du Sénat a demandé au Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), une institution rattachée à la Cour des comptes, de réaliser une étude relative à la fiscalité locale dans la perspective de l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN). “C’était la première fois que le Sénat saisissait le CPO pour travailler en amont sur une possible réforme de dispositifs fiscaux et aussi la première fois que le Conseil se penchait sur le sujet de l’artificialisation des sols”, indique Claire Falzone, rapporteure auprès de la Cour des comptes. L’objet de la commande était de répondre à deux questions complémentaires : l’objectif du ZAN va-t-il modifier les recettes fiscales des collectivités territoriales, d’une part, et la fiscalité locale peut-elle faciliter l’atteinte de l’objectif ZAN, d’autre part. Confrontée à un maigre bagage de données financières et de littérature académique, le CPO s’est notamment appuyé sur un rapport INRA/IFSTTAR de 2017 sur les déterminants des processus d’artificialisation, complété par une cinquantaine d’entretiens menés auprès de chercheurs et de différentes parties prenantes (collectivités, administrations, organisations professionnelles, entreprises).
“Ces investigations nous ont permis de constater que la fiscalité locale ne peut pas être tenue pour responsable de l’artificialisation des sols”, poursuit Claire Falzone. Le seul biais potentiel identifié est lié au maintien de la taxe d’habitation sur les seules résidences secondaires, ce qui a pu encourager certains maires à chercher à attirer ce type de résidence en délivrant l’autorisation d’urbaniser de nouvelles parcelles. Pour le reste, “ce n’est pas la perspective de nouvelles recettes qui amène les exécutifs locaux à artificialiser, mais des modèles économiques dans lesquels le foncier vierge est moins coûteux à aménager que le foncier à réhabiliter”. Il en va de même pour les agents économiques : le poids de la fiscalité locale – en moyenne 5 % du coût d’une opération immobilière – ne saurait constituer un signal suffisant pour emporter à lui seul la décision de bâtir sur du foncier vierge.
Simplifier et rationaliser les dispositifs fiscaux
“Toutefois, si la fiscalité locale n’apparaît pas réellement “artificialisante”, elle ne comporte pas davantage d’incitations “désartificialisantes”, ajoute Claire Falzone. La question qui se posait était de savoir si l’instrument fiscal pouvait être davantage mobilisé pour tendre vers l’objectif ZAN”. Dans cette optique, le CPO formule plusieurs recommandations. La première consiste à simplifier et rationaliser les dispositifs fiscaux, spécifiquement ceux qui visent les logements vacants, l’enjeu étant d’optimiser l’occupation du bâti existant. Dans ce cadre, le CPO suggère d’étendre le périmètre de la taxe sur les logements vacants (TLV) perçue par l’État. Elle était auparavant limitée aux zones d’urbanisation de plus de 50 000 habitants qui présentaient un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements. Cette proposition a d’ores et déjà été en partie entendue puisqu’un article de la loi de finance pour 2023 révise ses critères. Ceci a permis de porter le nombre de communes soumises à cette taxe de 1 138 à 3 697.
“Notre étude proposait aussi d’examiner l’opportunité d’une fusion de la TLV et la THLV (taxe d’habitation sur les logements vacants) qui concerne les communes où la TLV ne s’applique pas. Nous proposions également d’affecter cette taxe unifiée aux communes alors que la TLV revient aujourd’hui à l’État”, indique encore Claire Falzone.
Inciter au recyclage foncier
Une deuxième recommandation vise à faire de la fiscalité locale un vecteur d’incitation en faveur du ZAN. Cela concerne notamment la taxe d’aménagement qui pourrait faire l’objet d’un système de bonus-malus en favorisant les opérations de dépollution/réaménagement et taxerait davantage les opérations artificialisantes.
Enfin, la troisième recommandation importante, porte sur la refonte du financement des collectivités. Une piste envisagée par l’étude sur le ZAN consistait à introduire des taux variables en fonction du caractère artificialisant des opérations immobilières.
Depuis la remise de cette étude, le Sénat a poursuivi ses travaux sur la mise en œuvre territoriale du ZAN. En début d’année, la commission des finances a lancé une mission d’information pour mesurer les implications financières de l’objectif de réduction progressive de l’artificialisation des sols et envisager le financement qu’il implique pour les collectivités locales, avec une réflexion sur une éventuelle taxe ZAN.■
Le programme Biodiversité, Aménagement Urbain et Morphologie, BAUM a été lancé par le PUCA en 2019 pour concilier densification urbaine et maintien d’espaces de nature en ville favorables à l’accueil de la biodiversité. Dans ce cadre, un état de l’art a été réalisé par Morgane Flégeau1 et 6 projets de recherche ont été développés et ont présenté leurs résultats lors d’un colloque de restitution tenu le 28 septembre 2023 au MNHN. Xavier Lagurgue, Architecte DPLG, docteur “ville et architecture” et associé de l’agence XLGD architectures, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture Paris La Villette et membre du conseil scientifique du programme BAUM, nous livre ici son point de vue sur les avancées que le programme aura permises pour l’aménagement urbain.
Selon vous, le programme BAUM a-t-il permis de faire émerger une ou plusieurs formes urbaines idéales pour accueillir la biodiversité ?
Il faut souligner avant toute chose que la notion même de forme urbaine n’était pas vraiment définie dans le cadre du programme. C’est un exercice difficile. On peut la caractériser par le tissu, par la trame, les porosités… Du reste, elle est de moins en moins claire et dessinée dans la ville contemporaine peu ou pas du tout planifiée. Quand on évoque une forme urbaine, on perçoit plutôt des images : les bastides du 12e siècle, le lotissement…
Malgré ce flou initial, nous avions l’espoir de trouver des morphologies urbaines particulièrement adaptées au vivant à l’échelle du quartier, comme une sorte de Graal. Mais certains travaux de BAUM montrent qu’aucune des configurations types que sont les grands ensembles, le tissu pavillonnaire, la cité-jardin, le faubourg ou encore l’écoquartier contemporain, ne se distingue du point de vue des espèces étudiées.
Localisation et caractérisation de la trame brune des sols, paramètre dans la projection des villes de demain à partager avec tous les acteurs de l’aménagement urbain.
Évaluation de la capacité du réseau viaire de la ville d’Aix à être support de fonctionnements urbanistiques et écologiques, en particulier à l’échelle du quartier.
Évaluation de l’influence des morphologies urbaines sur les communautés d’insectes pollinisateurs et leurs interactions avec la flore locale, à l’échelle du quartier et en considérant les réseaux écologiques multi-échelles.
Évaluation de la capacité de cinq tissus résidentiels toulousains, observés à l’échelle de l’îlot, à accueillir et maintenir une biodiversité urbaine, en lien avec les continuités écologiques métropolitaines.
Évaluation de la diversité fonctionnelle des écosystèmes dans différents contextes de densification urbaine et de gestion à l’échelle du quartier. Le projet vise à étudier les compositions taxonomique et fonctionnelle des communautés végétales dans les espaces herbacés urbains.
Analyse de l’articulation entre morphologie urbaine et biodiversité selon une typologie de quartiers dépendant de leur position sur un gradient de densité urbaine – quartiers autour des gares de la ligne N du Transilien.
Île-de-France
Descriptif succinct des projets de recherche du programme BAUM. Source : Programme du colloque de restitution du 28 septembre 2023
Certaines espèces ne sont donc pas sensibles aux formes urbaines ?
Tout à fait. Le projet TramBio’Sol montre par exemple que le ver de terre, espèce ingénieure des sols, se retrouve en des proportions comparables dans toutes les formes urbaines considérées. Les communautés lombriciennes semblent indifférentes aux configurations du bâti au sein d’un quartier donné. Mais ils sont en revanche très sensibles aux caractéristiques physico-chimiques des sols, qui déterminent leur habitabilité. Or leur présence est indispensable à la vie biologique des sols. L’équipe de TramBioSol a donc conclu son travail de recherche par des préconisations sur l’intégration de la trame brune et la réalisation d’un diagnostic bio-pédologique dans le processus d’élaboration d’un SCOT ou d’un PLUi, comme à l’échelle plus fine du projet d’aménagement.
Autre exemple, celui des insectes pollinisateurs. Le projet Réaumur s’est attaché à évaluer les liens entre les réseaux d’interactions abeilles-plantes et différents tissus urbains environnants, avec une approche purement quantitative. L’analyse de 35 espaces végétalisés de l’agglomération dijonnaise n’a pas permis de mettre en évidence une corrélation très nette entre les deux, ni l’extension de l’étude à l’échelle nationale réalisée à partir de la base de données Spipoll.
Pour autant, les insectes pollinisateurs sont très utiles pour analyser le tissu urbain : ils sont perceptibles pour chacun, ils invitent à poser la question de leur habitat et celle des ressources en végétaux qui leur sont indispensables. Ces espèces clés de voûte peuvent aussi entrer en contact avec les citadins via les sciences participatives.
D’autres travaux ont-ils montré un lien positif entre morphologie urbaine et comportement d’une espèce ?
Les projets de recherche de BAUM sont majoritairement partis d’une réflexion sur les habitats que peuvent proposer telle ou telle forme urbaine, pour s’intéresser ensuite aux espèces indicatrices du bon état de ces milieux avant de tenter de caractériser les impacts de la morphologie urbaine sur ces espèces.
Plusieurs d’entre eux ont pu mettre en évidence l’influence de certaines caractéristiques de la forme urbaine sur le vivant.
C’est le cas du projet Morphobiot qui a pu analyser le potentiel d’accueil de l’avifaune dans 5 quartiers résidentiels toulousains2. En s’appuyant sur des situations relationnelles variées entre le bâti et la végétation alentour, baptisées “formes bâti-végétal”, il est parvenu à montrer des effets différenciés sur différents groupes fonctionnels d’oiseaux.
Dans le grand-ensemble d’Ancely, le groupe des mésanges charbonnières affectionne particulièrement le parc boisé public entouré d’immeubles, puis dans une moindre mesure les immeubles face à la ripisylve. Au contraire, celui de la tourterelle turque prise davantage le parvis végétal en entrée d’immeubles et en second lieu les immeubles avec stationnements résidentiels plantés. Tandis que le groupe des piverts est le seul à être présent dans la forme “bâti-végétal” que constitue le massif végétal en pied d’immeuble. Source : Morphobiot
La recherche Morphobiot montre également, sur le segment de la maison individuelle avec jardin, l’importance du rapport entre la forme de la parcelle et celle du bâti qu’on y implante. Plus la parcelle est profonde et plus elle peut offrir ce que l’équipe a qualifié de “gradient de quiétude” pour l’avifaune. Ce qui invite à privilégier les constructions en front de parcelles.
Quels sont à ce stade les principaux apports de BAUM à l’aménagement opérationnel ?
BAUM reste un programme de recherche qui ne va pas fournir un livre de recettes. Il ne vise pas à fournir une boîte à outils mais à mieux comprendre les interactions entre formes bâties et communautés biotiques.
Par exemple, je pense que l’approche par buffers, c’est-à-dire par des voisinages circulaires de rayons variables, est très éclairante pour l’architecte ou l’urbaniste. Car pour un certain nombre d’insectes, la forme urbaine n’est pas une bonne question. La morphologie du bâti n’a pas d’influence sur elle. En revanche, le buffer permet de caractériser la biodiversité d’un site et ses fluctuations dans un rayon de 300 m. C’est un outil très prisé des écologues et qui permet de comprendre la nécessité des continuités écologiques.
Autre apport majeur de ces travaux – quatre projets de BAUM y ont recours –, le sujet de la modélisation et de la théorie des graphes. La production d’images et de représentations inédites est essentielle pour renouveler l’imaginaire des aménageurs. C’est un outil de médiation fondamental vers les acteurs opérationnels pour croiser les enjeux d’urbanisme et ceux de l’écologie.
Détail de la ligne N autour des gares de Maule et Mareil-sur-Mauldre. Source : Frugacité, présentation des résultats au colloque du 28 septembre 2023
Prenons l’exemple du projet Frugacité, qui a étudié les effets des formes urbaines propres aux quartiers de gare sur la biodiversité, le long d’une ligne ferroviaire francilienne. Dans ce cadre, une modélisation de la connectivité paysagère a été produite par la théorie des graphes : on voit des nœuds, qui représentent des taches de biodiversité par espèces et des barres, qui représentent leurs déplacements. En superposant le graphe et le tissu urbain, la barre exprime une facilitation ou une résistance au passage de l’espèce. Pour prendre le cas du hérisson dans un tissu pavillonnaire, la modélisation tient compte des clôtures et donc de la possibilité ou non pour lui de les traverser.
Ce genre d’observations sur la forme urbaine peut se traduire ensuite en prescriptions très fines dans un PLUi.
Le programme BAUM intègre-t-il également une dimension temporelle ?
Elle y est abordée mais pas centrale. Et pourtant le sujet des temporalités est essentiel : on sait qu’il faut 30 ans pour restaurer un sol artificialisé, que le bâti vieillit et que la biodiversité évolue de même.
Cependant, le programme Evolville aborde le sujet indirectement en observant les mécanismes de réponse des plantes aux conditions environnementales urbaines. En analysant les populations et communautés de plantes spontanées le long d’un gradient d’urbanisation sur 60 placettes de l’Eurométropole de Strasbourg, le programme a mis en évidence tous les comportements : extinction, plasticité et adaptation.
Certaines espèces végétales vont donc s’éteindre, d’autres s’adapter au niveau de leur phénotype – comme la Pariétaire de Judée qui se rabougrit et devient rampante à force de piétinements et autres pressions de fréquentation-, et d’autres modifier leur génotype et le transmettre pour s’adapter aux contraintes urbaines. EvolVille met ainsi en évidence des capacités d’adaptation du trèfle et du plantain, dont la taille diminue face à l’îlot de chaleur urbain ou à la compacité du bâti.
La taille du plantain ou du trèfle diminue avec la compacité du bâti. Source : Evolville, présentation des résultats au colloque du 28 septembre 2023
C’est intéressant que les urbanistes en aient conscience ! Car la biodiversité peut s’adapter à l’anthropisation du milieu, sous réserve de sa bonne gestion.
Le programme BAUM a-t-il permis le rapprochement des cultures de l’urbaniste et de l’écologue ?
Il a permis une acculturation mutuelle, c’est certain. Peut-être de façon inégale au sein des 6 équipes du programme, mais c’est l’une de ses grandes qualités.
Pour ne citer qu’un exemple, prenons Morphobiot. Les modes de représentation des formes “bâtie-végétal”326 déjà évoquées illustrent la pluridisciplinarité au cœur même du programme : une coupe paysagère double un plan masse et se voit assortie d’indicateurs de présence animale, notamment de l’avifaune.
Formes bâti-végétal à diverses échelles : représentation systémique d’un continuum paysager au sein du grand-ensemble d’Ancely. Source : Morphobiot, présentation des résultats au colloque du 28 septembre 2023
La journée de restitution locale du projet MorphoBiot, organisée à Toulouse le 8 décembre dernier, est convaincante de ce point de vue. La salle était remplie avec une grande diversité d’acteurs représentés, pas seulement ceux directement impliqués dans la recherche : des agents de l’OFB, de la promotion immobilière, des services de collectivités, des botanistes, des écologues, des architectes ou encore des paysagistes.
Faire la synthèse de BAUM – Chacun des 6 travaux de recherche du programme BAUM fera l’objet d’une publication de synthèse. Un ouvrage collectif sera ensuite publié en 2024, comportant les enseignements les plus marquants de chaque projet ainsi qu’une synthèse transversale. Cette dernière sera réalisée par François Marie-Martin, postdoctorant à l’Université de Franche-Comté, et visera un large public, en particulier les concepteurs et les décideurs. L’élaboration d’un référentiel des formes urbaines, assorties de descripteurs pour mesurer leur impact sur la biodiversité, est en réflexion. Il s’appuierait sur les travaux issus de BAUM pour répondre aux besoins d’un outil simplifié de compréhension des morphologies urbaines et orienter l’aménagement dans un sens favorable au vivant.
Et dans ce rapprochement en bonne voie entre écologues et urbanistes, je tiens à saluer le travail de Morgane Flégeau, conduit au début du programme et qui fait aujourd’hui référence. Ce fut une contribution importante, une cartographie qui a mis en lumière une partie de la production scientifique auprès des acteurs et opérateurs de l’aménagement urbain. Ces notions sont encore une découverte pour les étudiants aujourd’hui, en écologie comme en urbanisme.■
Propos recueillis par Florent Chappel.
Formes urbaines et biodiversité, un état des connaissances. Morgane Flégeau, Éditions du PUCA, 2020 [↩]
Le Faubourg : Busca ; la cité-jardin : Castors-Bagatelle ; le grand-ensemble : Ancely ; le pavillonnaire : Saint-Simon ; l’écoquartier : Vidailhan à Balma. [↩]
3 Questions à :Gilles Lecuir, chargé d’études à l’Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France, qui anime depuis 2010 le concours “Capitale française de la biodiversité”.
Que représente “Capitale française de la biodiversité” ?
Ce concours n’est ni un classement ni une compétition. C’est une mise en lumière. Les 6 lauréats de l’année représentent la partie émergée de l’iceberg. Derrière eux, une soixantaine de collectivités ont participé à cette opération, 16 d’entre elles ont reçu la visite des experts de notre comité technique et scientifique. Outre les rapports qui rendent compte de ces visites, nous publions aussi un recueil d’actions pour valoriser toutes ces initiatives exemplaires. On y trouve rassemblées une trentaine de collectivités de toute la France, du village rural aux communautés urbaines. Avec des actions, cette année, autour de l’arbre et de la forêt, qui portent aussi bien sur l’acquisition de connaissances, la participation du public, la planification territoriale ou l’adaptation au changement climatique.
Quel est le but du colloque de restitution “les territoires agissent pour les arbres, le bocage et la forêt” ?
Il s’agit d’abord de donner la parole aux lauréats, en prenant le temps d’échanger, en présentiel. C’est le moment de découvrir de véritables pépites, et de partager les meilleures pratiques. Et quand j’entends l’élu de Villeneuve d’Ascq, dans le Nord, raconter qu’il a contacté l’écologue de la Motte-Servolex en Savoie, pour savoir comment s’y prendre au mieux pour installer des écuroducs afin de protéger les écureuils roux de l’écrasement par les automobiles, je me dis que ça fonctionne ! Il s’agit à la fois de donner envie et de montrer que c’est possible.
Qu’en retenez-vous ?
D’abord un peu de frustration de n’avoir pas pu évoquer aujourd’hui toutes les actions identifiées cette année. À ce titre, ce colloque doit être regardé comme un “teaser” : les quelques aspects évoqués doivent donner envie d’aller plus loin, de chercher des inspirations dans le recueil d’actions. Ensuite, une conviction : les choses bougent très vite, il faut avoir confiance dans notre capacité collective de transformation. La végétalisation des cours d’école est un bon exemple ; il y a dix ans, cela faisait débat, on nous disait “ce ne sera pas possible, les gens ne voudront pas !”. Aujourd’hui, un élu qui ne végétalise pas reçoit des réclamations des parents d’élèves…. Cela reflète bien l’évolution de nos perceptions, de notre rapport à la nature dans nos villes et dans nos vies. En mettant en lumière les actions exemplaires des collectivités, le concours”Capitale française de la biodiversité” s’attache à construire un récit positif, un futur désirable.■
Face à la crise du logement, la transformation de bureaux en logement est un levier porteur1. À Lyon, Icade Promotion expérimente la réhabilitation et la conversion de la tour Lafayette, un immeuble de grande hauteur (IGH) au cœur du quartier de la gare Part-Dieu.
L’immeuble aujourd’hui, vu depuis le cours Lafayette. Image fournie par le GIP EPAU.
L’immeuble est vide. Il n’y a plus aucun mobilier. Mais les noms de ceux qui occupaient les bureaux sont encore visibles. Partout, la poussière sature l’air et donne au lieu l’atmosphère d’un chantier. Par la fenêtre, on peut observer d’un côté la colline de Fourvière et sa basilique. De l’autre le Mont-Blanc, quand le ciel est dégagé. Nous sommes à 15 min à pied de la gare de Lyon Part-Dieu, dans un étage de la tour Lafayette qui n’a pas encore été déconstruit. Nous sommes au démarrage d’une opération pionnière de transformation d’un immeuble de grande hauteur (IGH) tertiaire en immeuble résidentiel.
Jusqu’en 2021, la tour était louée par la multinationale Framatome à Icade Foncière, son propriétaire. Constatant qu’elle ne répondait plus aux attentes actuelles du marché de bureaux, le groupe Icade a réfléchi à une seconde vie du bâtiment. Et suite à des échanges convergents avec la Métropole de Lyon sur un projet de conversion de la tour, Icade Promotion a racheté l’actif à Icade Foncière pour en faire un nouveau projet immobilier : convertir 27 500 m² de planchers de bureaux en une centaine de logements de prestige.
L’innovation technique au service de la qualité des logements
Avec l’objectif affiché de mettre au cœur du programme la qualité d’usage des logements, la performance énergétique du bâtiment et sa modularité.
Comment adapter la tour de bureaux pour satisfaire les besoins spécifiques des futurs logements ? Comment s’accommoder, par exemple, de ses grandes façades vitrées rapportées typiques de l’immobilier de bureaux ?
“L’avantage de la structure poteaux-poutres bétonde la tour est d’offrir des plateaux libres sur chaque étage, explique Éric Gibeaux, directeur régional du groupe Icade Promotion. Il est possible d’y recréer des trames répétitives industrialisables et de dupliquer des modules tout autour de la façade”.
Les façades existantes, amiantées, seront d’abord déposées (à partir du mois de mars). Puis la phase de construction (2024-2026) permettra de dessiner les ouvertures souhaitées adaptées aux résidents. Avec un taux d’ouverture visé proche de 50 % contre 20 % en moyenne.
Quant à l’absence d’espaces extérieurs, elle sera corrigée par la construction d’une enveloppe externe en béton et en verre. “Un exosquelette sera réalisé pour apporter des balcons profonds de 3,85 m côté est et ouest du bâtiment, précise Éric Gibeaux. Chaque balcon constitue une protection solaire pour le logement situé au-dessous, un atout pour le confort thermique d’été”.
Visuel du “6e ART Lafayette”. Fourni par Icade Promotion
Pour éviter de reprendre des fondations, l’architecte Clément Vergély, maître d’œuvre, a proposé de venir s’arrimer à un mur d’enceinte de la tour qui délimitait un parking en pied d’immeuble.
Si le noyau central empêche de rendre traversant l’ensemble des logements, la plupart d’entre eux occupe des angles du bâtiment. Ils disposent ainsi d’un grand balcon côté salon et d’un petit côté chambres – les balcons des faces nord auront une profondeur d’1 m. Toutes les pièces humides sont regroupées autour du noyau central où passent toutes les gaines techniques, notamment le raccordement au réseau de chauffage urbain de la Métropole. Ce qui libère d’autant l’espace des autres pièces à vivre du logement.
L’équilibre financier assuré par les prix immobiliers du quartier
Et les logements prévus seront spacieux : 45 m² en moyenne pour un T2, 75 m² pour un T3, 84 m² pour un T4 et environ 115 m² pour un T5. Des tailles communes aux logements libres et aux logements sociaux prévus (35 % du programme) abordables (10 % de logements intermédiaires). D’après le site de commercialisation du promoteur, les logements libres sont vendus au prix moyen de 10 000 € du m². Au “6e ART Lafayette”, le nouveau nom de la tour, on peut ainsi trouver un T2 à partir de 345 000 € au 9e étage ou un T5 à 1 165 000€ au 13e et dernier étage.
Visuel de l’intérieur d’un appartement au dernier étage de la tour. Fourni par Icade Promotion.
Un niveau de prix qui interpelle, mais qui est indispensable à l’équilibre financier du projet. Car il ne bénéficie d’aucune subvention publique alors que la réhabilitation coûte beaucoup plus cher. “Par rapport à une démolition de la tour et sa reconstruction à neuf, notre projet présente un surcoût de 30 %, précise Éric Gibeaux. Mais elle réduit d’autant le bilan carbone de l’opération !”.
La qualité des logements et l’innovation technique devraient donc être au rendez-vous de cette opération. Avec des incertitudes encore sur le choix des matériaux et les modes constructifs, puisque l’heure est au dépouillement et à l’analyse des offres des entreprises reçues par Icade.
Une commercialisation lente
D’ores et déjà, sur les 48 logements libres du programme, 9 ont été réservés. Un chiffre plutôt encourageant dans le contexte actuel. “Sur cette opération haut de gamme, notre clientèle est moins sensible à la crise, explique Éric Gibeaux. Dans le marasme de la commercialisation que nous connaissons, avec un rythme de vente nul voire négatif quand nos clients se voient refuser leurs demandes de prêts, 1,2 logement vendu par mois en moyenne est un bonrésultat”. Un témoignage qui a de quoi nourrir de sérieuses inquiétudes sur le marché immobilier pour les mois à venir.
Sur Lyon, la Métropole a mis au point un plan de sauvetage de 10 millions d’euros pour les opérations immobilières en difficulté. Elle apporte ce financement aux bailleurs sociaux qui peuvent ainsi acheter du logement social pour équilibrer les bilans. Dans son plan de relance, l’État soutient par ailleurs la construction de 30 000 logements intermédiaires en zones tendues dans les cinq prochaines années.
Reste à espérer que ces initiatives suffiront pour traverser la crise. Quoi qu’il en soit, il faudra suivre de près cette opération délicate et novatrice. Elle va expérimenter la transformation de bureaux en logements dans les conditions privilégiées d’un quartier favorisé. Et il faudrait qu’elle en inspire d’autres. Une étude de la SPL Lyon Part-Dieu évalue en effet à 25 % la part du l’immobilier de bureaux lyonnais qui pourrait muter en logements. Un potentiel qui doit pouvoir contribuer à l’objectif national de transformer 1,4 millions de m² chaque année. ■
Florent Chappel
Depuis 2021, le gouvernement a souhaité multiplier par 4, en dix ans, le rythme de ce genre d’opérations. Cf. la note publiée en janvier 2022 par le ministère chargé du logement et le ministère chargé de la culture. [↩]
La qualité du logement n’est pas qu’une question urbaine. En milieu rural, elle peut même bénéficier d’atouts que les métropoles ne peuvent pas offrir. A Navarrenx, petite commune touristique du Béarn sur le chemin de Compostelle, associée au programme national Petite Ville de Demain, un projet inédit de rénovation et transformation d’une ancienne minoterie va voir le jour. Des logements, un tiers-lieu, des espaces partagés… La maîtrise d’œuvre du projet est assurée par Anna Chavepayre, membre du collectif Encore. Adepte d’une “nouvelle écologie de la construction”, proche de l’école de Lacaton & Vassal, elle nous donne sa vision de la qualité architecturale.
Diagonal : Avant d’évoquer un exemple concret, quels sont pour vous les principes fondamentaux qui font la qualité d’un projet d’architecture ?
Anna Chavepayre : Je ne crois pas à une pensée de l’architecture qui s’appliquerait partout. Chaque projet est spécifique. Il faut d’abord savoir écouter le bâtiment et son environnement. L’environnement pour moi compte autant que le bâti. Dans le département du Béarn, dans lequel l’agence Encore travaille depuis 10 ans, c’est la vue sur les Pyrénées, sur le gave1 au sud ; c’est l’ombre et la fraîcheur au nord. Il faut utiliser ces éléments. Et le vent. Notre matière première dans l’architecture, c’est l’air. Le vide. Indispensable pour respirer, se parler, pour se rencontrer, pour accueillir la lumière…
Cette approche autorise-t-elle l’innovation ?
Bien sûr, mais il faut la concevoir comme une adaptation juste à la situation. Nous essayons de faire un projet adapté au lieu précis et avec les ressources que nous avons sous la main. C’est aussi un critère : notre territoire est assez pauvre. Il faut pouvoir proposer des projets compatibles avec les moyens de ses habitants. Et il faut laisser le projet s’inventer lui-même. C’est une attitude, celle que décrit Simone Weil quand elle écrit que “l’attention est la forme la plus pure et la plus rare de la générosité”2. Pour faire la générosité d’un projet, d’un bâtiment, il faut prêter, porter attention. C’est une vraie méthode de travail.
Pour en venir au projet de Navarrenx, comment s’est-il peu à peu inventé ?
Notre maître d’ouvrage, un couple constitué en SCI, souhaitait faire construire un bâtiment neuf pour un projet d’habitat participatif avec son potager, ses toilettes sèches… Beaucoup de gens de ce territoire en rêvent, mais peu ont les moyens de se lancer. Leur idée était donc de louer des logements à des prix abordables pour rendre ce rêve possible et le partager. Quand ils nous ont sollicité, nous les avons plutôt invités à réhabiliter un bâtiment qu’à construire. Et nous leur avons suggéré cette ancienne minoterie de Navarrenx, alors en vente depuis 10 ans.
Nous avons observé attentivement ses 3 bâtiments : la minoterie à proprement parler, un grand silo et d’anciennes écuries. L’ancienne minoterie était pressentie pour accueillir les logements. Mais ses magnifiques boiseries intérieures auraient été entièrement occultées par les portes coupe-feu, le plâtre et autres traitements que des logements auraient imposés. Par ailleurs, ses planchers sont conçus pour porter une charge de 500 kg/m², bien plus que nécessaire pour des logements. L’idée nous est donc venue d’en faire autre chose, à savoir la maison du projet. Un espace de rencontre, de coworking, en laissant les grandes machines industrielles sur place pour raconter l’histoire du bâtiment. Nous avons donc reporté le logement dans les deux autres bâtiments.
Il est donc possible de construire des logements dans un ancien silo ?
Tout à fait. Le bâtiment présentait de curieuses trames, régulières, de 5 m par 5 m. Des dimensions idéales pour un salon-cuisine… Nous sommes d’abord allés interroger un maçon pour savoir s’il pouvait couper le bâtiment sur toute sa hauteur afin de réaliser des ouvertures. Le dernier plancher étant à 12 m, ce n’était pas évident… Puis nous avons pris l’avis d’un ingénieur pour s’assurer que notre projet était techniquement réalisable. Enfin, nous avons fait établir des devis pour valider sa faisabilité. Une fois terminée cette phase de pré-diagnostic et de pré-projet, nous avons véritablement lancé le travail. Nous avons déposé une demande de permis de construire au mois d’août, avec l’avant-projet définitif, et nous attendons sa validation définitive avec épuisement des recours possibles. Mais l’ABF [architecte des bâtiments de France] est déjà à nos côtés et nous sommes confiants.
La minoterie accueillera un petit café associatif, un espace de coworking qui pourrait compter jusqu’à 50 postes et des toilettes publiques. L’ancien silo abritera 13 logements (3 T1, 10 T2, 1 T4) mais également un hall partagé et d’autres espaces communs. Quant au bâtiment des écuries, il offrira 4 logements dont 2 duplex. Au total, 17 nouveaux logements dont 9 logements sociaux et 8 logements abordables, vont permettre de ré-habiter l’ancien site de la minoterie.
Quels éléments de qualité du logement avez-vous pu promouvoir dans ce projet ?
Nous avons fait des ouvertures aussi grandes que possible, pour la vue et la lumière, côté ombre et côté soleil. Les logements sont traversants pour assurer une ventilation naturelle. J’en profite pour signaler qu’en Suède, c’est interdit de faire autrement : tous les logements doivent être traversants ! Nous avons pu éviter l’installation de VMC et leurs nuisances sonores et privilégier le son de l’eau et des oiseaux… Autre qualité, les bâtiments ont une inertie naturelle que nous avons préservé : ils vont garder la fraîcheur. C’est essentiel dans un département où il fait très chaud l’été : contre le froid, on peut mettre un pull, mais pour se prémunir de la chaleur, on ne peut pas enlever sa peau… Enfin, nous avons beaucoup travaillé sur la générosité et les différences de niveaux d’intimité des espaces : très privé, un peu privé, jusqu’à tout à fait public. On laisse ainsi le choix aux locataires de se rencontrer ou pas.
Navarrenx est une petite commune touristique mais rurale. Le contexte de la ruralité est-il favorable ou pénalisant pour la qualité du logement ?
Les espaces ruraux disposent de qualités inouïes qui n’existent pas en ville. D’abord avec ses immenses bâtiments à réhabiliter qui constituent un trésor. Comme les budgets et les coûts sont bien moindres qu’en métropole, on n’a pas obligation de rentabiliser chaque m². On peut être généreux. Ensuite, on dispose de temps pour les projets. Le foncier n’y est pas cher et on peut donc prendre le temps de chercher, de se tromper, d’errer… c’est le bon endroit pour expérimenter. Enfin, la ruralité, c’est la relation à la terre. Tout ce que tu manges pousse devant ta porte ! Dans la culture basque, qui rejoint en cela la culture suédoise, la maison appartient à la terre et la famille à la maison. C’est donc souvent la maison qui donne son nom aux familles. ■
Propos recueillis par Florent Chappel
Le gave est un mot issu du gascon et un terme générique pour désigner les cours d’eau dans le sud-ouest de la France, en particulier dans le Béarn [↩]
Citation de Simone Weil dans le livre Correspondance (Le Bruit du temps), Ed. L’Age d’Homme, 1982. [↩]
Avant d’être l’un des lieux les plus médiatiques des Jeux Olympiques et Paralympiques, le Village des athlètes des JO de Paris 2024 est un immense projet d’aménagement. À cheval sur 3 communes franciliennes, il a fait l’objet d’une organisation de chantier exemplaire, notamment par la place dédiée à la logistique fluviale. Vincent Lucas, aujourd’hui consultant au ministère de la Transition écologique, témoigne de son expérience au sein de la Solideo alors qu’il était directeur de la planification et de la coordination des chantiers.
Diagonal : Le Village des athlètes sera livré fin décembre. Vous avez été aux premières loges de son chantier jusqu’en mars 2022. Pouvez-vous nous en rappeler les enjeux ?
Vincent Lucas : Le Village des athlètes est l’un des 64 ouvrages olympiques sous maîtrise d’ouvrage de la Solideo [Société de livraison des ouvrages olympiques]. Avec 51 hectares, ce n’est pas le plus gros chantier d’aménagement des JO, mais c’est son projet phare. Le “vaisseau amiral”, comme on l’appelait à la Solideo. C’est aussi un vrai projet d’aménagement qui rouvre le quartier sur la Seine. L’ensemble des perspectives dessinées concrétisent ce parti d’aménagement, en particulier le mail Finot. Avec Henri Specht, directeur du projet de Village Olympique et Paralympique, nous en avons fait un mantra de la logistique : “réconcilier la ville avec son fleuve”.
Et vous avez-même atteint le taux francilien record de 80 % de recours à la logistique fluviale. Comment y êtes-vous parvenu ?
Nous nous sommes appuyés sur un partenariat avec HAROPA PORT et VNF. HAROPA disposait de deux petits ports à moins d’un kilomètre à l’amont et à l’aval de notre chantier. Quant à VNF, il avait à préparer la réouverture du bras secondaire de la Seine pour les JO, puisque le bras principal sera réservé à la compétition durant les Jeux. Nous avons donc signé avec VNF et HAROPA une convention d’engagement réciproque pour favoriser le fluvial. Avec succès, puisque nous avons évacué près de 500 000 tonnes de déblais par voie fluviale. La Seine permet tous les débouchés, depuis le stockage de gravats pour une réutilisation en tranchées jusqu’à la mise en décharge de déchets ultimes… Nous savions aussi qu’en termes d’acceptabilité du chantier, le fleuve avait un rôle à jouer. Pour les populations, cela évite les trains de camions qui par ailleurs viennent de loin et font de longues distances pour décharger ensuite. C’est aussi bien meilleur pour le bilan carbone du chantier !
Avez-vous pu utiliser le mode fluvial sur toute la durée du chantier ?
Tout à fait. Devant le succès de la phase de terrassement, nous avions envie, mes collègues d’HARAPA, de VNF et moi, de poursuivre la logique pour approvisionner le chantier en second œuvre. Lorsque Point P de Saint-Gobain s’est dit intéressé pour développer la logistique, nous avons saisi l’occasion. Après un an de travail entre HAROPA, la Solideo avec le groupe Saint-Gobain, en février 2022, une agence Point-P ouvrait ses portes sur le Port de Saint-Denis-l’Étoile que la Solideo avait réservé pour les JOP. Il faut comprendre que le coût du foncier est souvent rédhibitoire pour ce genre d’initiative. Le loyer étant raisonnable, leur modèle économique était tenable. Et le bilan carbone de cette phase du chantier, qui est aussi un objectif des promoteurs et des constructeurs, a été considérablement amélioré.
Le bilan carbone est d’ailleurs plus largement un objectif de l’ensemble des JOP 2024…
En effet, nous devions viser l’objectif ambitieux de baisser de 50 % nos émissions par rapport aux JOP de Londres. Les équipes d’Antoine Du Souich, directeur de la stratégie et de l’innovation à la Solideo, assurait le suivi du bilan carbone de tous les chantiers des JOP.
Pour la partie du Village des Athlètes, la mise en place de la logistique fluviale et d’une régulation fine des circulations sur le chantier a contribué à hauteur d’environ 2 % de cet objectif.
La logistique fluviale n’évacue pas la question routière… Comment avez-vous organisé le chantier dans ce contexte très contraint ?
Tout autour du chantier du Village des Athlètes, sur une superficie de 12 km², 50 autres chantiers d’ampleur étaient en cours. Il fallait se coordonner pour éviter le moindre grain de sable étant donnée la forte visibilité de notre ouvrage olympique. La première chose à faire, c’était de programmer et sécuriser des itinéraires pour nos camions. Car tout est un problème d’échelle : quelques poids-lourds peuvent se fondre dans la circulation. Mais je devais organiser les choses pour un flux maximal de 400 camions ! Il fallait donc construire, avec le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et Plaine Commune, une vision sur les grands axes de livraison et anticiper d’éventuels travaux et leurs impacts sur la circulation globale. Nous avons alors consulté l’ensemble des concessionnaires de réseaux et des 700 km de voiries sur une superficie de 12 km².
Vous avez dû collecter une somme d’informations… Comment les traiter et les projeter dans le temps ?
J’ai sollicité un prestataire spécialisé dans les études de trafic. Et je lui ai demandé d’adapter ses outils à notre situation : produire un “à plat” des chantiers du trimestre à venir. À partir des données fournies par l’ensemble des acteurs du périmètre du projet, le bureau d’études a pu modéliser les interactions réciproques des travaux de chaque chantier environnant les uns sur les autres. Nous soumettions cette modélisation aux services de police, à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et à la RATP. L’arbitrage final est toujours resté aux élus et au Préfet, même si nous avons toujours trouvé des solutions consensuelles pour ne pas y avoir recours. Ce qui permettait de dire au maire : “vous pouvez signer cet arrêté entre telle date et telle date, parce que cela correspond à un moment où il a été vu et les conséquences sont maîtrisées”. Pour en arriver à ce résultat, il a fallu 6 mois de travail. J’en profite pour préciser que je me suis beaucoup inspiré d’une expérimentation réalisée dans le quartier Part-Dieu à Lyon.
Phase Chantier
Pendant les JO
L’héritage
37 grues mobilisées
94 % des matériaux de déconstruction valorisés
494 061 tonnes de terres évacués par voie fluviale, soit 24 703 camions de 20 tonnes évités.
14 250 athlètes et accompagnants
6 000 para-athlètes
6 000 habitants et 600 salariés accueillis
2 807 logements
1 passerelle mobilités douces 4,6 ha d’espaces verts supplémentaires
Quelques chiffres clés du chantier du Village des Athlètes – Source Solideo
En quoi consiste cette expérience lyonnaise ?
Il s’agit du grand projet de réaménagement de la gare Part-Dieu à Lyon, lancé en 2018. Il présentait exactement la même taille de chantier et les mêmes flux à gérer. Seule différence, il n’y avait pas un seul maître d’ouvrage aménageur mais un ensemble de chantiers différents. Mais ils ont réussi à réguler l’ensemble des arrivées de camions aux pieds des grues. Les livraisons étaient donc programmées pour les 40 grues du périmètre du projet ! Un unique opérateur gérait l’ensemble de la logistique des chantiers autour de la gare. Ils ont mis deux ans à mettre leur organisation en place. Donc, je suis allé les rencontrer pour comprendre leur système précurseur et je l’ai adapté pour les JO. À partir du point de départ de notre flux logistique, à Gennevilliers, je pouvais ainsi garantir le temps d’accès à la grue et dire “vous avez rendez-vous à 15h24 grue N°13” !
Pourquoi avoir choisi Gennevilliers ?
Parce que le port fluvial de Gennevilliers, géré par HAROPA, est situé à un quart d’heure du chantier et qu’il est dimensionné pour accueillir des milliers de poids lourds. Par ailleurs, il fallait trouver du foncier pour constituer une zone de temporisation. Mais le foncier privé est rare et mes premières recherches de location de parcelles affichaient un coût de plusieurs centaines de milliers d’euros… Le foncier public du port fluvial était donc idéal. Même s’il a fallu dépolluer la parcelle que j’ai trouvée, un délaissé avec de l’amiante, des huiles, des déchets… S’est ajoutée à cela l’aubaine de l’A86, qui dessert à la fois le port de Gennevilliers et la zone du chantier. Comme notre flux de camions était déjà sur une autoroute, l’impact sur l’acceptabilité du chantier a été optimal.
Merci pour votre témoignage. La préparation des JOP n’est décidément pas qu’une affaire sportive…
Nous sommes bien d’accord. Nicolas Ferrand, le directeur général de la Solideo, aimait à dire qu’organiser les Jeux, c’était gérer la plus grande opération logistique en temps de paix !■
Alors que la transition écologique impose un encadrement de plus en plus strict des possibilités d’artificialiser les sols, des voix s’élèvent pour repenser les formes d’habitat. La revue Diagonal relaie la proposition de Jean Houssemand, architecte urbaniste enseignant à l’ENSA et à l’INSA de Strasbourg, et Jean-Philippe Antoni, professeur de géographie urbaine à l’université de Bourgogne, en faveur du “lotissement vertical” et de toute autre forme urbaine adaptée aux enjeux sociaux et environnementaux d’aujourd’hui.
Le zéro artificialisation nette (ZAN) a sonné l’heure de la sobriété foncière. Compenser toute artificialisation nouvelle sera une stricte obligation d’ici à 2050. Comment dès lors répondre à l’aspiration jamais démentie, à l’habitat individuel ? Comment concilier le rêve de la maison et les avantages de l’habitat collectif en ville ?
Pour répondre à cette question très actuelle, Jean Houssemand et Jean-Philippe Antoni viennent de rédiger un plaidoyer pour l’exploration de nouvelles formes urbaines capables de “réinventer le collectif en intégrant certains paramètres de l’individuel”. Le lotissement vertical, ou “étagère à maisons” comme Jean Houssemand le surnomme, en est une parmi d’autres envisageables. Le travail de thèse de Jean Houssemand1 a d’ailleurs démontré que celui-ci avait la préférence du panel – plus de 1000 ! – des personnes interrogées, devant la maison individuelle en milieu périurbain ou le collectif en ville.
Le lotissement vertical, de l’utopie à la réalité
Cette nouvelle forme d’habitat est-elle réaliste ? Même si il est présent dans l’histoire de l’architecture et de la ville, les auteurs sont bien conscients que sa mise en œuvre relève de l’innovation architecturale et suppose un soutien public – État, collectivités et bailleurs sociaux – pour en faire l’expérimentation. “Nous avions estimé en 2019 un surcoût d’environ 20 % au m² par rapport à du collectif, précise Jean Houssemand. Depuis, l’indice du coût de construction a augmenté de plus de 25 %”.
La caricature de l’illustrateur Alanson Burton Walker, extrait d’une édition de Life Magazine datée de 1909.
Comment fonctionnerait le lotissement vertical ? Concrètement, il consisterait à commercialiser des terrains suspendus. Chaque propriétaire ferait ensuite appel à un architecte, dans le cadre d’un règlement du lotissement, pour bâtir sa maison. Une épaisseur de quelques dizaines de centimètres serait offerte au jardin.
Le lotissement vertical constitue une réponse possible. Mais ce n’est qu’une forme parmi celles qu’on peut imaginer. Comme le souligne les auteurs, l’essentiel est d’y réunir les critères qui font l’attractivité de l’habitat individuel. Jean Houssemand insiste sur deux d’entre eux : “disposer d’espaces extérieurs et pas seulement d’un balcon pour fumer sa cigarette ; pouvoir décider seul d’une réorganisation du logement – casser un mur, aménager autrement, faire une extension –, ce qui revient à travailler en plan libre et sans la contrainte d’un règlement de copropriété”.
Schéma de concept du lotissement vertical extraite du travail de thèse de Jean Houssemand.
Cet appel aux pouvoirs publics et à l’innovation doit être entendu. L’enjeu est d’inventer les modèles de vie qui seront acceptables et viables demain. Car l’architecture, comme le conçoit Jean Houssemand, doit d’abord permettre de vivre mieux. “Mon métier, c’est autant de répondre à la demande sociale que de faire des monuments”. ■
L’activité de Notre Atelier Commun se poursuit dans le domaine de la formation et de la recherche.
L’Ecole du terrain
L’association a mis en place un centre de ressources en ligne, “l’École du terrain”, fondée en 2022. On peut y consulter “le récit des expérimentations qui ont eu lieu sur le territoire national et pas uniquement par la Preuve par 7 car beaucoup d’acteurs et de collectivités locales sont à l’œuvre pour inventer de nouvelles manière d’habiter”. Y seront accessibles des données juridiques, techniques, mises en open-source. Ce site contributif vise à amplifier le mouvement, à créer une culture commune autour d’un urbanisme vivrier et appropriable par toutes et tous, et à démarginaliser ces pratiques. “Documentant des projets choisis et des démarches singulières, dont les jurisprudences ont transformé les cadres culturels, économiques, administratifs et réglementaires, il est un lieu ressource pour inspirer d’autres acteurs et actrices”.■ M.L.
