Grand Prix de l’Urbanisme 2023

Le territoire et le paysage

Limoges quartier Landouge © Simon Teyssou

Installé en Auvergne, l’architecte et urbaniste Simon Teyssou a développé des pratiques fondées sur la connaissance et le respect de l’architecture vernaculaire et de l’usage des matériaux locaux. Ses travaux à différentes échelles, de la réhabilitation de bâtiments publics, à la renaissance de petits bourgs, en passant par la création de lotissements intégrés dans leur environnement ou d’espaces publics originaux, dénotent un soin particulier apporté à la mise en valeur de la culture locale et du paysage cantalien.
Pourtant cette inscription dans un territoire précis ouvre sur l’Universel, grâce à l’approfondissement et l’expérimentation de concepts empruntés à Kenneth Frampton.

Diagonal : Vous êtes né à Paris, pourtant toute votre carrière semble liée au Massif-Central. Votre famille en était-elle originaire ?

Simon Teyssou : Mon grand-père travaillait pour le tri postal, dans le train entre Paris et Bort-Les-Orges. Nombre d’Auvergnats sont partis à Paris lors des vagues d’exode rural de la seconde moitié du 20e siècle, en conservant toujours une relation avec l’Auvergne. Mon père a passé toutes ses vacances chez sa grand-mère dans le Cantal. Mes parents ont déménagé dans la Creuse, puis dans le Cantal. Ce sont des enfants d’un mai 68 rêvant de retour à la campagne pour y reprendre la maison familiale fermée pendant 40 ans. Il n’y avait aucun architecte dans ma famille, ni dans le cercle des amis de mes parents, en revanche j’ai baigné toute mon enfance dans un chantier permanent…

Durant vos études à l’ENSA Clermont-Ferrand à la fin des années 1990, vous avez côtoyé des professeurs comme la philosophe Chris Younès. En quoi son enseignement vous a-t-il inspiré ?

Chris Younes a encadré mon TPFE (travail personnel de fin d’études) avec Jean Louis Coutarel–. Ce qui m’a beaucoup intéressé dans son enseignement, l’idée selon laquelle l’architecture ne peut se comprendre que dans sa relation aux milieux. Ma troisième année, passée à Aberdeen en Ecosse a été déterminante dans ma formation également. L’enseignement était clairement centré sur le projet auquel nous consacrions plusieurs heures par jour. Aprés mes études j’ai connu Frédéric Bonnet – Grand Prix de l’Urbanisme en 2014 – mais surtout deux de ces élèves qui sont devenus mes collègues à l’ENSACF : Boris Bouchet et Olivier Malclès notamment. A leur côté, j’ai mesuré à quel point la pensée transcalaire apportait à la conception de l’architecture mais aussi des projets urbains.

Comment avez-vous débuté dans la carrière d’architecte ?

J’appartiens à une génération d’étudiants qui travaillaient durant leurs études, mais aussi qui faisaient encore le service militaire… J’ai effectué un “service civil environnement”, en poste au CAUE du Cantal. En côtoyant des paysagistes, j’ai appris à comprendre les structures végétales qui, à la campagne, caractérisent le paysage autant que le bâti.

J’ai créé l’agence en juillet 2000 à Clermont-Ferrand, un de mes anciens enseignants Jean-Louis Coutarel, m’ayant proposé de m’installer dans ses locaux, tout en me sous-traitant certains de ses contrats. J’ai ensuite décidé de m’installer et d’installer mon agence dans la partie du sud-ouest du Cantal après une rapide étude de l’implantation des cabinets d’architectes. Il y en avait beaucoup dans les villes, mais aucun ou presque dans la Chataigneraie cantalienne.

Les territoires ruraux que j’affectionne particulièrement n’avait pas d’architectes à de rares exceptions près. Cela se ressent beaucoup sur la qualité architecturale et urbaine des espaces que l’on traverse. D’ailleurs, la plupart des étudiants qui sortaient de l’école de Clermont rêvait d’aller à Paris ou dans de grandes métropoles. J’ai fait le parcours inverse. Je me suis donc installé à mi-chemin entre Aurillac et Figeac.

Selon quels concepts généraux avez-vous engagés vos travaux ? Vous vous revendiquez par exemple du “régionalisme critique”…

Pendant mon diplôme, je me suis intéressé au “régionalisme critique“, tel que le définissait l’historien de l’architecture Kenneth Frampton 1.

Je suis parti à la rencontre des projets d’architectes que l’historien regroupait sous la bannière du « régionalisme critique » tels que Carlo Scarpa, Alvaro Siza, Luis Barragan, et bien d’autres, pour comprendre la singularité de leur œuvre. Leur production s’écarte des dogmes de la modernité pour incarner les spécificités des territoires dans lesquels elle prend place. Ces visites m’ont permis d’entrevoir qu’il était possible d’imaginer une architecture de qualité dans des territoires à la marge.

Quels ont été vos premiers projets personnels ?

Beaucoup de réhabilitations ! Ce qui est intéressant dans ces projets, c’est de partir du substrat existant. La dimension territoriale et locale y est extrêmement importante.

Un programme européen, très bien financé, permettait aux agriculteurs de diversifier leurs activités en transformant les bâtiments vernaculaires en gîtes ruraux. Ils avaient une importante subvention et s’engageaient à louer leur patrimoine pendant dix ans. C’était aussi une manière d’accroître le tourisme dans des régions un peu à la marge. Il y a 20 ans, il n’était pas naturel d’y venir en vacances.

Il s’agissait de transformer des granges, des étables, des séchoirs à châtaignes ou des soues à cochons en gîtes. Ce qui nous a poussé à réfléchir : Qu’est-ce que ça veut dire « passer des vacances dans le Cantal » ? Qu’est-ce qu’on offre aux visiteurs dans un bâtiment agricole ? Nous nous sommes dit rapidement qu’il pouvait être intéressant de partir de la matière, pour que les citadins ne retrouvent pas à la campagne les matériaux standardisés qu’ils viennent de quitter.

La question thermique étant secondaire, puisque les lieux n’étaient loués que l’été et qu’il n’y avait pas vraiment besoin d’isoler, nous avons pu faire beaucoup de gîtes où tous les matériaux sont restés bruts. Nous installions simplement un petit poêle, les agriculteurs ont toujours un bout de forêt et la ressource bois pour chauffer le bâtiment.

Ce sont des systèmes assez rudimentaires, qui permettent aux urbains ou aux étrangers venant dans le Cantal d’être au contact de la matière, du paysage et de se poser aussi la question de la ressource.

Vous avez participé à la rénovation d’Ehpad ou à la transformation de la salle de l’école de danse La Manufacture à Aurillac. Comment ces projets s’intègrent-ils dans le cadre de l’évolution de vos pratiques ?

Le travail sur les Ehpad a enrichi notre réflexion sur les relations au paysage et sur son importance dans la vie des occupants des établissements. Nous avons fait une extension de la maison de retraite d’Arlanc dans le Puy-De-Dôme avec Boris Bouchet, pour laquelle le plan est organisé autour d’un jardin thérapeutique. Nous avons travaillé sur la question des vues pour que les personnes âgées puissent se repérer dans l’espace. Quand vous êtes dans un couloir à l’hôpital, vous ne comprenez pas la course du soleil, alors que dans le projet d’Arlanc, vous avez une vue sur le clocher de l’église, sur la scierie à côté, sur le jardin, etc.

Maison de retraite – Arlanc © Benoit Alazard

La réhabilitation de l’École de danse de la Manufacture à Aurillac, dirigée par la chorégraphe américaine Vendetta Mathea, a été un projet important aussi. C’est un programme très simple : trois plateaux empilés pour faire de la danse dans une ancienne fabrique de parapluies du 19e siècle. Nous avons proposé l’usage du bois alors que les maîtres d’ouvrage imaginaient des planchers béton. Après avoir proposé un principe où le dispositif coupe-feu se trouve sur le plancher et non au-dessous, solution qui permet de rendre toutes les structures apparentes, le bois s’est imposé pour qualifier l’espace par sa matérialité, sa couleur, sa chaleur, mais aussi ses qualités acoustiques.

L’utilisation du bois, et en général des matériaux de construction, “en circuit court” est au cœur de votre démarche…

Tous les bâtiments vernaculaires ont été construits “en circuit court”, les matières qui sont mises en œuvre dans ces bâtiments-là viennent d’un périmètre très restreint. À partir des années 50, les constructions sont faites avec des matériaux complètement exogènes, qui génèrent beaucoup de déplacements et ne sont pas très vertueux.

Nous avons essayé de voir comment on pouvait interrompre cette histoire et revenir à l’usage de matériaux locaux. Cette question des ressources m’a toujours fasciné. À chaque nouveau projet, nous cartographions les ressources mobilisables. Pour la réhabilitation d’un bâtiment, vous avez déjà le gros œuvre, potentiellement, vous arrivez à conserver tous les planchers, toutes les charpentes, la question des ressources est limitée au second œuvre. En revanche, elle est centrale quand on commence à construire des bâtiments neufs.

Mayrinhac-Lentour © Benoit Alazard

Après mon diplôme d’architecture, j’ai fait une formation au Centre national du bois, en lien avec l’interprofession du bois de la région Auvergne. C’était le moment où l’on découvrait la formidable architecture des années 2000 dans le Vorarlberg 2 . Nous sommes allés en Autriche, en Allemagne et en Suisse…. Je suis devenu administrateur de l’association ce qui m’a permis de connaître les scieurs, les exploitants forestiers, les menuisiers, les charpentiers, de comprendre leurs spécificités, leurs outils, les ressources qu’on pouvait mobiliser pour les projets, que ce soit du feuillu ou du résineux. Dans le Massif central il y a beaucoup de “forêts nouvelles”, qui ont été largement subventionnées par l’État après la Seconde Guerre mondiale, pour occuper notre territoire vidé par un exode rural considérable.

Dans votre projet – récompensé 3 ˗˗  de transformation de la Halle de Mandailles-Saint-Julien, vous mettez en valeur un matériau apparemment peu naturel, la tôle…

Dans l’après-guerre, pour des raisons économiques et de perte de savoir-faire, le chaume de l’architecture vernaculaire a été remplacé par la tôle en acier galvanisé. Au bout de 50 ans, elle finit par rouiller. Ses couleurs et sa texture fabriquent un très beau paysage dans les Monts du Cantal. Quand nous avons conçu cette halle à Mandailles, nous sommes partis de l’archétype de la grange-étable en réinterprétant la charpente traditionnelle locale que l’on appelle une charpente à couple, c’est-à-dire une charpente non hiérarchisée, sans panne et sans chevron. Nous avons fait la même chose, mais avec une charpente en douglas et une couverture en acier corten qui prend une teinte de rouille semblable aux tôles en acier galvanisé qui se sont oxydées dans le temps.

Vous avez également été appelé à réaliser des études urbaines, portant sur des petits bourgs du Cantal…

Nous avons répondu à des modestes appels d’offres pour faire des espaces publics dans des centres-bourgs, pour y proposer des plans guides à visée opérationnelle.

Au même titre que dans les grandes villes, ce qui pose problème dans des villages cantaliens comme Leynhac, 350 habitants, c’est certains aspects de l’héritage moderne ! Ces villages, souvent très beaux, ont été défigurés à partir des années 60, quand la voiture s’est imposée, avec son corollaire, l’enrobé. Les bourgs avaient une texture particulière où le végétal côtoyait la pierre et la terre battue. Le béton bitumineux a stérilisé tous les sols, supprimé toute la végétation, en venant jusqu’au pied des façades. Il est difficile d’y imaginer d’autres usages que ceux qui sont associés à la voiture. Il faut faire en sorte que l’espace public soit plus vivant pour les habitants, mais aussi pour le végétal. Dans un département où les installations humaines et l’habitat vernaculaire sont très dispersés, la question du paysage dans lequel ils s’incluent était essentielle : les murets qui accompagnaient les fermes, les potagers, les champs, le bocage, les massifs forestiers…

En urbanisme la nature des sols n’est pas la question unique, mais agir sur l’espace public est un levier de revitalisation de ces villages qui tombent en déshérence. Un cadre bâti beaucoup plus agréable va donner envie à des propriétaires de réinvestir leur patrimoine. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui. La Covid-19 et le télétravail ont été un formidable accélérateur pour que tous ces lieux soient réinvestis.

Vous désignez l’une de vos méthodes en la qualifiant de “soustraction positive”, de quoi s’agit-il ?

Il y a une énorme confusion entre la densification démographique et la densification bâtie. Il faut dédensifier la matière pour que les gens reviennent dans le centre-bourg, parce que cela devient agréable à nouveau. Cela permet de trouver de nouvelles aménités pour qu’une famille avec enfants qui veut habiter dans un territoire rural puisse avoir envie de s’y installer. Dans certains des villages sur lesquels nous avons agi, nous avons suggéré la démolition de quelques bâtiments pour ouvrir des espaces plus agréables.

Vous mettez également l’accent sur la valorisation des “frontages”, identifiés par l’architecte Nicolas Soulier 3. Comment définir ces espaces et qu’en faire ?

Le frontage, un terme qui est beaucoup utilisé par les Québécois, est cette épaisseur qu’il y a entre la façade et l’espace public à proprement parler. La modernité, avec l’enrobé, a supprimé toutes ces zones de transition. Des villages entiers ont perdu les cours ou les jardinets qui précédaient les maisons de ville avec l’élargissement des voiries, justifié pour faire des parkings latéraux ou faciliter le passage des convois exceptionnels. C’est une logique de grande infrastructure de mobilité, qui a été pensée depuis les capitales et au détriment des communautés locales. Aujourd’hui, j’essaie de réintroduire ces frontages, des zones de transition entre les espaces circulés et le logement lui-même. Cette zone tampon permet, elle aussi, de rendre désirables des patrimoines qui aujourd’hui ne le sont pas.

Vous vous êtes confronté à une autre grande figure de l’urbanisme problématique, le lotissement. En suggérant quels types d’approches ?

Pour moi la qualité d’un lotissement vient de la qualité de l’espace public, des limites et du végétal, moins de l’architecture des maisons, ces dernières étant généralement conçus par des constructeurs et non des architectes. Ce sont les trois ingrédients pour arriver à faire un lotissement qui ait malgré tout une certaine tenue. Cela demeure très difficile. Les échecs sont nombreux. Le commun, l’espace public, ne doit pas être le résidu du découpage foncier maximisant le nombre de lots.

Je m’appuie sur les figures vernaculaires : des murets en pierre sèche, une palette végétale aussi, qui va se rapprocher de ce qu’on trouve autour des fermes aux alentours. Lorsque le lotissement est en situation de lisière du centre-bourg, pour des questions d’opportunités foncières, on peut aussi imaginer la création de petites extensions urbaines s’inspirant de la figure des hameaux dispersés ou des cours de ferme… Nous avons aussi conçu deux projets pour le bailleur social Limoges Habitat, dont l’objet était de produire des maisons individuelles groupées et des logements intermédiaires dans une forme de densité horizontale, consommant peu de sol (autour de 50 logements à l’hectare). Pour des situations périurbaines, c’est assez dense. Ce qui est formidable dans ces projets-là, c’est que vous avez une prise sur l’architecture, sur l’espace public et sur le paysage. Mais le sujet aujourd’hui n’est plus tellement de savoir comme s’étendre ! Il s’agit avant tout de réinvestir les centre-bourgs et les petites et moyennes centralités.

Pour définir certains de vos travaux vous employez l’expression “économie inventive”…

Je l’ai empruntée à Paul Chemetov. La question de l’économie inventive est très présente chez lui pour la fabrication d’espaces publics extensifs qui ne coûtent pas cher avec des matériaux standards ou de réemploi.

En parallèle avec votre activité libérale, vous dirigez l’ENSA Clermont-Ferrand. En quoi ces deux activités s’enrichissent-elles mutuellement ?

La dimension pédagogique et la recherche académique enrichissent la pratique. Et inversement, la pratique enrichit considérablement l’enseignement du projet.

Le Massif Central est notre territoire d’études privilégié, la métropole clermontoise, un réseau de villes petites et moyennes qui sont aujourd’hui concernées par les politiques publiques comme Action cœur de ville ou Petites villes de demain . Puis, toutes ces ruralités très contrastées, des ruralités en déshérence telles les ruralités autrefois industrielles, qui se sont effondrées, comme autour de Thiers avec l’industrie du couteau, mais aussi des ruralités liées à l’élevage ou d’autres qui sont prises dans des périmètres de parcs naturels régionaux.

C’est vraiment devenu notre territoire d’études privilégié. Cela génère des partenariats avec de nombreuses collectivités. Dans le cadre d’un programme en troisième année, la totalité de nos étudiants part au contact des territoires ruraux et des acteurs locaux. Ils construisent un projet de territoire, ensuite en développent un fragment à l’échelle architecturale.

Notre UMR Ressources, traite de l’architecture des marges et des marges de l’architecture 4.

Comment définiriez-vous les tendances générales de votre pratique, reconnues aujourd’hui par le Grand Prix de l’Urbanisme ?

Les territoires sur lesquels nous travaillons implique de ne pas être spécialisé et d’articuler urbanisme, architecture et paysage. À la campagne, les sujets sont très divers, on ne vous cantonne pas dans un programme. Beaucoup d’architectes qui travaillent dans les métropoles, deviennent des spécialistes du logement, de la salle polyvalente, du théâtre ou de la gare ferroviaire. Notre agence a réhabilité un stade de rugby (de niveau Pro D2) à Aurillac, a travaillé sur le petit aéroport d’Aurillac, des maisons de retraite, des programmes de logement, des études urbaines, des projets d’espace public. Je pense que cette grande diversité de sujets est assez singulière. Nous passons d’un sujet à l’autre très facilement, donc il faut développer une forme d’agilité, une grande porosité entre les disciplines.

Aurillac Stade-Jean-Alric © Benoit Alazard

Les projets que je préfère sont ceux qui articule édifices (neufs ou à réhabiliter), espace public et paysage. À la campagne, d’ailleurs, la question du paysage est prépondérante.

Pour finir, je pense que ce qui distingue peut-être notre pratique dans les territoires ruraux,, c’est notre capacité à développer une pratique réflexive. Depuis quelques années, je ressens le besoin d’écrire sur ce que nous faisons en publiant des articles assez régulièrement.

Quels enseignements pourraient être tirés des projets pratiqués dans les ruralités pour les transposer dans les métropoles ?

Je ne suis pas certain qu’il faille à tout prix chercher des transpositions d’une échelle à l’autre, du village à la métropole. En effet, le jeux des acteurs varie fortement entre les deux situations : la fabrication des projets diffère  beaucoup. Une seule remarque peut-être. Nous avons pris pas mal d’avance dans les territoires en marge sur la question de l’économie inventive. Comme il n’y a pas de capital, nous œuvrons avec trois fois rien. Or à l’avenir, y compris dans les métropoles, l’argent et les ressources pourraient venir à manquer beaucoup plus vite qu’on ne le pense. La tension sur les ressources va continuer à faire grimper les prix des matériaux et de l’énergie. Il s’agira alors de pratiquer un urbanisme d’acuponcture y compris dans les métropoles.

Quel message espérez-vous voir transmettre avec ce Grand Prix ?

Je souhaiterais que cela contribue à mettre un coup de projecteur sur les territoires où nous travaillons et donne envie à de jeunes professionnels de venir s’y installer. A l’école de Clermont, de nombreux jeunes architectes s’intéressent à ces territoires-là par exemple. Fascinés par ces milieux, ils n’y habitent pas encore et travaillent depuis les métropoles. Ce qui me ferait plaisir, c’est que ce Grand prix donne envie à des jeunes de franchir le pas en les habitant.■

Propos recueillis par Marc Lemonier

Simon Teyssou, né en 1973 à Paris, a fondé et dirige l’Atelier du Rouget, agence d’architecture installée dans la commune cantalienne du Rouget-Pers. Il dirige par ailleurs l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand, après en avoir présidé le conseil d’administration, école dont il a été diplômé en 2000.

  1. Frampton, Kenneth. 1988. “Place-Form and Cultural Identity”, in John Thakara (éd.), Design After Modernism, New York : Thames and Hudson. []
  2. Selon les auteurs du livre “L’architecture écologique du Vorarlberg : Le panorama complet d’un modèle européen de développement durable”. Dominique Gauzin-Müller 2009, Éditions du Moniteur, “Les Vorarlberger baukünstler sont un groupe d’architectes et de charpentiers autrichiens qui ont développé depuis le début des années 1980 une approche originale de la construction considérée comme un modèle du développement durable. []
  3. Nicolas Soulier, dans son livre Reconquérir les rues : exemples à travers le monde et pistes d’actions publié en 2012. []
  4. Dirigé par Jean-Philippe Costes et Stéphane Bonzani. []

“Les îlots anciens dégradés concernent tous les territoires”

Requalification de l’îlot Marius Debout à Forcalquier ©Droits réservés

Jessica Brouard-Masson est directrice de l’expertise des politiques publiques à l’Anah. Elle nous livre ici son analyse des difficultés que connaissent les centres anciens dégradés. Leurs causes, mais aussi les outils d’intervention sur l’habitat privé à disposition des élus pour initier les réhabilitations parfois lourdes qui s’imposent et leur donner une seconde chance.

Diagonal : Quel diagnostic posez-vous sur la dégradation de l’habitat dans les tissus anciens ?

Jessica Brouard-Masson : tous les tissus anciens ne présentent pas un habitat dégradé. Cela dépend souvent des capacités d’intervention des collectivités. Mais il est vrai que ces tissus étant couverts par la propriété privée, il est souvent complexe d’intervenir. S’il n’y a pas de cartographie de l’habitat ancien dégradé, il existe un fichier du parc privé potentiellement indigne. Il est produit par l’Anah et accessible aux collectivités via les services de l’État ; il s’appuie sur le fichier Filocom [Fichier des logements par commune, ndlr] qui croise données cadastrales et revenus des ménages. Il fournit une estimation du nombre de logements touchés, soit entre 420 000 et 450 000 aujourd’hui à l’échelle nationale. Cette approche statistique permet d’identifier des poches d’habitat dégradé jusqu’à l’échelle de la section cadastrale. Elle doit ensuite être complétée par une analyse de terrain telle qu’elle se pratique dans les études pré-opérationnelles d’Opérations d’amélioration de l’habitat (OPAH). Un travail a été conduit avec le Cerema pour tenter de corréler les situations d’habitat dégradé aux types de collectivités. Mais il a confirmé que les îlots dégradés concernaient tout le territoire, depuis les grandes villes jusqu’aux villages en passant par les villes moyennes. On en trouve dans les zones au marché immobilier tendu en raison de l’appropriation des logements par des marchands de sommeil qui n’entretiennent pas leur bien. Et on en trouve dans les zones détendues frappées par une déprise économique, par la vacance des logements, la multiplication de biens sans maîtres…

Le problème n’est pas récent et l’Anah a développé plusieurs outils et financements pour y remédier. Quels sont les blocages persistants aujourd’hui ?

Ils sont multiples. Les conventions d’OPAH, avec un éventuel volet rénovation urbaine (OPAH-RU), permettent l’intervention dans les quartiers anciens dégradés. Notamment en s’appuyant sur les financements RHI-THIRORI 1 mis en place en 2010. Mais il existe dans ces quartiers une multiplicité d’acteurs : les collectivités, parfois les services de santé, des opérateurs comme les bailleurs sociaux ou les établissements publics fonciers, les propriétaires privés… S’y ajoutent bien souvent les architectes des bâtiments de France en raison des enjeux patrimoniaux. Certains d’entre eux imposent une préservation à l’identique de l’habitat qui induit un renchérissement du coût d’intervention sur des opérations déjà complexes. D’autres ont une approche plus moderne de la qualité architecturale et se posent davantage en facilitateurs. L’autre écueil majeur est celui de la sensibilisation des élus.  Certains d’entre eux ont des réticences a priori à engager l’action publique sur l’habitat privé. Mais l’Anah, avec son expertise du sujet, est là pour les accompagner dans leur action locale. Les boîtes à outils existent mais il faut reconnaître un gros défaut de pédagogie sur l’articulation entre le repérage de l’habitat dégradé et les prises d’arrêtés nécessaires pour intervenir 2. Par ailleurs, l’outil OPAH-RU souffre d’une certaine limite : si elle impose de travailler sur le commerce, les services…, le financement de l’Anah ne porte à la fin que sur l’habitat. L’AMI Centre-Bourg posait le même problème et n’a pas permis d’enclencher une grande dynamique de revitalisation.

Les récents programmes nationaux Action cœur de ville (ACV) et Petites villes de demain (PVD) n’ont-ils pas changé la donne ?

Si, en effet. Et nous en profitons pour faire de la pédagogie sur les outils à disposition des élus. Le programme ACV a notamment été l’occasion de produire le guide sur la reconquête des îlots anciens dégradés fin 2020. Non seulement ils génèrent davantage d’opérations, grâce aux financements qu’ils apportent, mais ils replacent la réflexion urbaine au cœur des interventions. Par leur structure même, ACV et PVD font prendre conscience aux collectivités de l’importance de porter la réflexion à l’échelle de l’îlot voire du quartier. Nous observons d’ailleurs une tendance à une amélioration de l’approche urbaine dans les demandes de financement RHI-THIRORI. Conçus initialement pour aborder l’échelle de l’îlot, ces outils ne financent in fine que les immeubles sous procédures ou imbriqués à des immeubles faisant l’objet d’un arrêté. Il était donc courant que les opérations se concentrent sur un seul ou peu d’immeubles. Aujourd’hui, nous recevons davantage de demandes sur de vastes îlots, parfois jusqu’à une quinzaine d’immeubles. En mettant tous les partenaires autour de la table, les programmes ACV et PVD ont permis une réappropriation d’une approche d’ensemble dans des territoires où elle s’était étiolée. Les choses progressent donc, même s’il faut encore porter largement [au-delà des villes concernées par les programmes nationaux, ndlr] cet enjeu de l’approche urbaine des interventions sur l’habitat. L’an dernier, nous avons d’ailleurs consacré à ce sujet les ateliers de l’Anah en posant la question : comment l’amélioration de l’habitat est-elle aussi une amélioration de la ville ?

Les ateliers flashs lancés en 2021 par la DGALN pointaient bien cet enjeu et démontraient qu’un peu d’ingénierie supplémentaire permettait d’y répondre…

Tout à fait. La plus-value de ces ateliers a été de concentrer les énergies et les intelligences dans un temps donné. L’association d’architectes et d’urbanistes externes a obligé les élus et les services techniques à changer leur regard et à considérer des propositions inédites d’intervention sur leur territoire. La question est maintenant de reproduire ou d’amplifier cette approche expérimentale. Deux pistes ont été envisagées à ce jour : soit augmenter l’enveloppe dédiée aux ateliers flash à la DGALN sur ce sujet, soit travailler avec les écoles d’architecture pour apporter une matière grise nouvelle dans les territoires, comme le fait depuis des années la Fédération des Parcs naturels régionaux de France 3.

C’est d’autant plus nécessaire que les outils en place ne permettent pas toujours de connaître l’état intérieur des îlots. C’est ce que montrait l’atelier flash mené sur le centre-ancien de Blois pourtant couvert par une OPAH-RU.

Nous en revenons aux difficultés posées par le contexte spécifique de la propriété privée. Si les façades sont propres, il est impossible d’entrer dans le cœur des îlots, même dans le périmètre d’une OPAH. Ce n’est possible que si des signalements ont été établis ou si des arrêtés ont été pris. Repérer des situations d’habitat dégradé n’est donc pas toujours évident. Des arpentages permettent d’en détecter certains signes : l’état des volets ou des portes palières, le nombre d’étiquettes, de sonnettes ou d’interphones au regard de la taille de l’immeuble ou encore le nombre de boîtes aux lettres… Autant d’indices de sur-occupation des logements et de présence de potentiels marchands de sommeil.

Schéma outil habitat privé-anah ©Droits réservés

En attendant que toute OPAH ait l’obligation de tenir un atelier flash, il n’est pas interdit de rêver, comment le sujet de l’intervention à l’îlot dans les centres anciens sera-t-il porté à l’avenir ? Notamment à travers le programme ACV 2 ?

L’idée de généraliser les ateliers flashs sur les sites d’OPAH poserait une difficulté évidente dans notre capacité collective à financer cette ingénierie. Même si la tenue d’un atelier ne nécessite “que” 10 à 20 k€ en moyenne. Par contre, il serait possible de la flécher sur les territoires à gros enjeux, en dehors de ceux déjà concernés par le PNRQAD 4. Sur les sites PVD et ACV, le sujet îlot ancien dégradé est mieux identifié. Et nous portons avec la Banque des Territoires le message sur l’importance d’une réflexion à l’échelle urbaine. De même, dans le programme ACV2, au-delà des sujets de la rénovation énergétique et de l’adaptation des logements à la transition démographique et à la perte d’autonomie, nous avons retenu deux axes forts : l’intervention coercitive sur les îlots anciens dégradés d’une part et l’intervention dans les petites copropriétés dégradées de centres anciens. Ces dernières font le plus souvent l’objet d’une gestion bénévole, faute de disposer des moyens de la confier à un syndic de copropriété professionnel.

Les services de l’État ont-ils un rôle à jouer ?

Immeubles de l’îlot de la Bourgade en mauvais état à Mane ©Droits réservés

Il est essentiel, car ce sont eux qui accompagnent les collectivités sur le terrain. Certaines DDT 5 sont particulièrement actives pour porter les outils d’intervention coercitive. Elles sont même indispensables dans les territoires ruraux où l’ingénierie publique est plus faible. La DDT des Alpes-de haute-Provence fait ici figure d’exemple. Valorisé dans le guide déjà évoqué, le village de Mane, 1 349 habitants, siège des locaux de l’entreprise l’Occitane, constituait déjà une expérience remarquable 6. Tout récemment, il a été détrôné en taille par Sainte-Croix-à-Lauze et ses 92 habitants ! L’outil RHI y a permis de reconvertir un ancien corps de ferme en plein cœur de village, pour aménager 3 à 4 logements sociaux. Les services de l’État sont donc incontournables sur ce sujet et c’est pourquoi nous en faisons une cible privilégiée de nos formations.■

Propos recueillis par Florent CHAPPEL

  1. Acronymes de résorption de l’habitat insalubre et de traitement de l’habitat insalubre, remédiable ou dangereux et des opérations de restructuration immobilière. []
  2. Le ministère de l’écologie évalue à 25 000 le nombre de logements concernés chaque année par des arrêtés au titre du péril, de l’insalubrité ou de l’indécence. []
  3. La FPNRF conclut des conventions avec le ministère en charge de la culture depuis 1980. []
  4. Le programme national de requalification des quartiers anciens dégradés accompagne depuis 2009 une trentaine de quartiers prioritaires. []
  5. Les directions départementales des territoires gèrent les attributions des aides de l’Anah et instruisent les dossiers. []
  6. L’expérience de Mane est décrite en pages 82 à 84 du guide de la reconquête des îlots anciens dégradés, en libre accès sur le net. []

Faire projet par le commun, faire école par le terrain : les enseignements de l’expérimentation “Preuve par 7”

Les ambitions de la Loi climat et résilience, qui oblige à l’accélération de “la transition de notre modèle de développement vers une société neutre en carbone, plus résiliente, plus juste et plus solidaire”, ne pourront pas être mises en œuvre sans recourir à des pratiques ancrées dans les réalités du terrain, qu’il faudra accueillir et comprendre. L’association Notre Atelier Commun est à l’origine de l’une de ces démarches innovantes, la Preuve par 7 (PP7).

Il s’agit selon son créateur, l’architecte Patrick Bouchain, d’une démarche expérimentale d’urbanisme, d’architecture et de paysage (qui) accompagne et documente des projets à travers différentes échelles territoriales afin de promouvoir un droit à l’expérimentation dans l’aménagement et l’architecture ainsi que des méthodes à même de renouveler l’action territoriale, publique et citoyenne. Ce “droit à l’expérimentation” a été énoncé par la Loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP). Depuis 2020, les ministères de la Culture et celui de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, mais aussi la Fondation de France à travers son programme Inventer demain, en soutenant financièrement et accompagnant les travaux de l’association Notre Atelier Commun au travers d’une convention (voir encadré), s’inscrivent ensemble dans “la mise en valeur de pratiques et de méthodologies de conception de projets alternatives”, déployées à différentes échelles.

Une convention entre la Preuve par 7 et les ministères de la Culture et de la Transition écologique

L’association Notre Atelier Commun est soutenue par la direction générale de l’architecture du ministère de la Culture et la direction générale de l’aménagement du logement et de la nature (DGALN) du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires à travers une convention-cadre de partenariat.

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Réouverture de la Grande Halle des Grésillons à Gennevilliers avec l’exposition “Trésors de banlieues” – Projet mené par la PP7 avec la SPL Paris Sud Aménagement, la ville de Gennevilliers. ©Sophie Ricard

Initialement le chiffre 7 désignait sept familles de terrains d’actions, le bâtiment public désaffecté à valeur patrimoniale, le village, le bourg, la ville moyenne, la commune de banlieue, la métropole régionale, et le territoire d’outre-mer.  Forte de cinq années d’expérimentation, l’association se donne pour défi de déployer cette démarche à grande échelle. Pour le relever, elle s’attache d’une part à faciliter l’émergence d’initiatives de permanences architecturales territoriales en accompagnant l’ensemble des acteurs d’un territoire donné dans une stratégie d’aménagement local. D’autre part, elle organise l’essaimage des méthodologies de projets à l’œuvre, notamment à travers le centre de ressources de l’École du terrain. Pour une meilleure habitabilité de nos territoires à long terme, l’enjeu est de promouvoir un urbanisme ancré et vivrier à partir de la reterritorialisation de la commande en s’appuyant sur l’existant.

Telle qu’elle est appliquée par l’association codirigée par les architectes-urbanistes Laura Petibon et Sophie Ricard (Palmarès des jeunes urbanistes 2020), la PP7 se définit par des principes apparemment simples à énoncer mais difficiles à mettre en œuvre : la “permanence territoriale de projet et “la programmation ouverte, dans le cadre “d’études de faisabilité en acte ou de plans guides en acte.

“L’architecte habite avec nous !”

Hélène Fernandez, directrice chargée de l’architecture au sein du ministère de la Culture, rappelle que des “permanences architecturales et artistiques”, soutenues par son ministère dans le cadre de la loi LCAP ont déjà eu lieu, comme celles qui occupèrent la friche de la Belle de mai à Marseille au début du XXIe siècle. Mais l’application de cette pratique au monde de l’architecture reste ponctuelle et confidentielle, alors que cette présence physique permet “la mise à disposition du public d’expertises, que tout le monde peut connaître et s’approprier….

Au début des années 2010, Sophie Ricard, collaboratrice de Patrick Bouchain à l’agence Construire, a résidé pendant trois années dans une maison de la rue Auguste Delacroix à Boulogne-sur-Mer, pour participer à sa transformation en collaboration avec ses habitants 1. La “Cité de promotion familiale”, délaissée, excentrée, composée de soixante pavillons peuplés d’ouvriers des industries de la pêche et de gens du voyage sédentarisés, semblait vouée à la destruction par l’Anru. Grâce à la volonté politique locale et à l’Office Public HLM, la transformation des maisons s’est opérée au fil des rencontres quotidiennes de l’architecte avec ses voisins ; chaque étape, de la rénovation du bâti au choix de la couleur des façades, faisant l’objet de décisions prises directement avec les intéressés, les travaux d’aménagement intérieurs étant effectués pour la plupart par les habitants eux-mêmes ou par des entreprises recrutant des jeunes du quartier. Il y eu 60 projets différents, autant que de maisons, correspondant à l’appropriation de chaque foyer, à l’opposé de l’uniformisation et de la standardisation souvent associée à la production du logement social2. Avant d’intervenir dans chaque maison, Sophie Ricard en connaissait l’histoire et celles de ses habitants. L’un d’entre eux résuma l’expérience d’une formule, “l’architecte habite avec nous !”.

Cette présence vient à elle seule bouleverser l’ordre immuable de la “commande”. L’architecte “n’est plus le dernier maillon de la chaîne, il n’intervient plus en fin de processus, quand tout est programmé, ou après le passage obligé par un concours, mais dès l’origine. Aussi peut-il, selon la formule de la PP7, “rassembler les phases de construction mais aussi être la cheville ouvrière d’interprétation de la commande”, tout en rendant visible le processus de création architecturale.

Sophie Ricard a, par la suite, occupé l’ancienne faculté des sciences Pasteur, un bâtiment désaffecté de la fin du XIXe siècle situé dans le centre-ville de Rennes, pour accompagner sa transformation par la mise en œuvre d’une programmation ouverte. Patrick Bouchain avait proposé d’y installer l’Université foraine pour en “faire un lieu sans programme prédéfini. Ce sera ce que les gens en font par l’appropriation” 3.

Les activités qui s’y déroulent relèvent de la pratique de la programmation ouverte, telle qu’elle s’est développée aujourd’hui durant les phases de chantiers de nombreux grands projets. Mais au-delà de l’occupation des lieux, la permanence architecturale a contribué à élaborer, aux côtés de la société publique locale d’aménagement, la préfiguration en acte du programme d’utilisation définitive du bâtiment, en menant de front deux chantiers : celui de sa réhabilitation et celui de la mise en place d’une gouvernance collective et citoyenne des activités qu’il accueille aujourd’hui. Un lieu ouvert – baptisé l’hôtel Pasteur, – une école maternelle bilingue français-breton et un “édulab, lieu d’expérimentation et d’apprentissage dédié aux usages et aux cultures numériques” se partagent le bâtiment, certains usages et leur entrée commune, aux côtés du tiers-lieux, sans programme défini, situé dans les étages. Depuis mars 2021, comme durant la phase du “chantier ouvert” (conçu comme un acte culturel, un chantier d’apprentissage, d’application et d’insertion), Pasteur est accessible au plus grand nombre dans l’hôtel où “des projets multidisciplinaires (art, sciences, économie, action sociale, sport, santé) y trouvent un quartier général gratuit, à condition de respecter les lieux et de participer à son fonctionnement grâce à un cadre de réciprocité”

L’hôtel Pasteur à Rennes en chantier avec Sophie Ricard en permanence architecturale d’AMO pour la SPLA Territoires publics et Encore Heureux Architectes : Exposition de graphisme dans une future cour d’école avec les étudiants des Beaux-Arts de Rennes. ©Sophie Ricard

À la gare de Lunel

Cette présence sur les lieux n’est jamais anecdotique.

Pour Laura Petibon, “la permanence implique un changement de posture profond tant intellectuel que pratique dans les métiers de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre en architecture et urbanisme. Ce que Sophie Ricard résume ainsi : “sur le terrain, on est toujours à l’affût des problématiques locales et contemporaines, on compose avec les ressources matérielles et immatérielles et l’on peut rassembler ce qui est disloqué. 4.

Aujourd’hui ces principes sont à l’œuvre à Lunel dans l’Hérault, autour de l’ancienne gare désaffectée 5, propriété de SNCF Immobilier. En résidence, l’équipe de l’architecte Mathilde Tournyol du Clos a participé de l’intérieur à la rénovation du bâtiment et à la formulation de ses nouveaux usages, avec pour objectif à terme de mobiliser un trio d’acteurs, élus, société civile et opérateur, autour d’un “enjeu de société, de culture et d’urbanisme. Le bâtiment en travaux a peu à peu été ouvert au public et aux initiatives locales.

C’est l’une des constantes des opérations conduites par la PP7, la période durant laquelle se déroule la démarche amène à transformer les lieux en “chantiers écoles” ou “chantiers ouverts”. “Il s’agit d’un temps actif, vivant, qui s’inscrit dans la durée, dans le territoire et qui mobilise les volontés de faire sur place. Le projet se concrétise donc par la mise à l’épreuve publique et collective d’une spatialité en vue de dessiner le programme de la commande. La conception s’enrichit et, au fur et à mesure, les actes constructifs, même modestes, préparent le chantier”.

Ainsi, la mise à disposition du bâtiment à des organisateurs d’activités culturelles et sociales, avant même le choix d’une destination définitive, apporte une première réponse au problème de la vacance du bâtiment permettant d’associer dès la conception la société civile et tous les acteurs de la commande. S’inscrivant dans le temps long, cette méthode de projet permet à la fois de redonner une valeur d’usage à un patrimoine délaissé, mais aussi d’activer les démocraties locales en favorisant l’écriture collective de la commande publique.

De la programmation ouverte

En accompagnant les maîtrises d’ouvrage (collectivités et autres opérateurs), Notre Atelier Commun met donc en œuvre les principes de la PP7, au nombre desquels la “programmation ouverte”. Il s’agit selon l’association de “laisser advenir l’imprévu, l’accueillir, avant même de partir avec un programme défini à l’avance… Chaque acte, chaque occupant, contribuent à la programmation finale et à l’aménagement du bâtiment et permettent de “tester” le programme”.

Le sort de l’ancienne gare de Lunel6, dont l’élégant escalier en fer à cheval est visible quasiment depuis le centre-ville, illustre les effets de cette méthode sur l’aménagement d’un bâtiment. Selon Mathilde Tournyol du Clos, sa réhabilitation est “un petit projet mais très complexe, retardé par diverses circonstances, la Covid, un changement de municipalité”. Au fil des rencontres, quatre pistes d’usages partagés sont apparues, parfois initiées par les habitants, parfois par l’équipe en permanence architecturale : l’accueil – des voyageurs, des associations, des SDF durant la journée… – la création artistique, la formation et la mobilité, au service de l’usage du vélo ou des personnes à mobilité réduite. Il s’agit d’activités non marchandes relevant de l’économie sociale et solidaire qui remet l’humain et la nature au cœur de l’économie des lieux et des territoires afin de mieux relever les grands défis de la société. La démarche implique la confiance et l’adhésion de tous les partenaires. Comme le précise Notre Atelier Commun, “la programmation ouverte implique une grande confiance entre élus, opérateurs, assistance à maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’usage (AMO/AMU), maîtrise d’œuvre (MOE) et société civile”.

… au plan guide en acte

À Lunel, SNCF immobilier, l’interlocuteur principal de la PP7 – aux côtés de la Ville, la Communauté de communes et la Banque des Territoires – a des intérêts bien précis dans l’opération. Mathilde Tournyol du Clos rappelle que “la SNCF possède quelque 8 000 bâtiments vacants et sans affectation, qui ne peuvent pas être démolis pour des raisons diverses et dont on doit imaginer de nouvelles affectations”. Comme l’affirmait Patrick Bouchain, “chacun des chantiers de La Preuve par 7 doit transmettre son intelligence” au suivant, du plus petit au plus grand, du plus périphérique au plus central, du plus urbain au plus rural”.

Cette transmission passe par une forme de “contamination” à partir des territoires sur lesquels agit Notre Atelier Commun. Dans les communes de Billom et de Pérignat-ès-Allier, toutes deux situées dans l’aire urbaine de Clermont-Ferrand, l’urbaniste Boris Bouchet et l’agence Rural Combo ont mis en valeur la richesse de l’habitat vernaculaire, en particulier dans les centres des bourgs. Ces bâtiments souvent délaissés constituent une réponse aux demandes locales de logements. Rural Combo, au contact des habitants, promeut l’élaboration d’un “plan guide en acte” adopté par la municipalité de Pérignat qui le définissait ainsi : ce “serait une version actualisée du plan d’aménagement du bourg mais (qui) se différencie par une plus grande association des habitants lors de sa rédaction. Ce document n’est pas un plan d’urbanisme, mais permet de définir des axes de développement pour la commune, par exemple définir un plan de circulation ou discuter des aménagements sur la traversée du centre-bourg. Il peut y être intégré aussi les problématiques environnementales…”. La commune s’est appropriée la démarche dans le cadre de son opération “le Village en chantier”.

L’urbanisme vivrier, le projet urbain en circuits courts

L’écologie consiste d’abord à consommer avec modération ce qui est à portée de main et pas plus…” déclarait Patrick Bouchain lors de la Biennale de Venise en juin 2016. Cette forme de consommation modérée passe par le respect des réalités locales et des pratiques ancestrales, ce qui remet à l’honneur un terme et un concept que l’on disait désuets. “Le vernaculaire, affirme Notre Atelier Commun, c’est ce qui est quotidien, populaire, local. L’architecture vernaculaire est une démarche qui, en faisant attention au temps long, est modelée par les usages et s’adapte aux enjeux contemporains. Elle met en valeur les matériaux locaux, les savoir-faire spécifiques pour construire ou réhabiliter le patrimoine bâti. Cette démarche est courante en matière de réhabilitation du patrimoine exceptionnel mais très peu explorée pour la construction et la réhabilitation du quotidien”.

Les élus de Billom et Pérignat-ès-Allier appartiennent à des structures territoriales de natures diverses, le Parc naturel régional, le Pôle d’équilibre territorial et rural du grand Clermont, au sein desquels la discussion avec d’autres maires permet de populariser leurs activités… Mais également de promouvoir un autre aspect de la démarche, le développement de “l’urbanisme vivrier”, qu’illustre par exemple le développement d’une filière “paille” pour l’usage de ce matériau durant les travaux d’isolation des équipements publics. Comme l’énonce la PP7, “cet urbanisme naît d’une reterritorialisation de la commande publique et d’une volonté collective et locale d’habiter autrement le territoire. C’est considérer que l’acte de construire et d’aménager peut faire filière et intégrer toutes les composantes, ressources matérielles et immatérielles de ce territoire”.

C’est une forme de circuit court, pour utiliser des productions locales au plus près des chantiers, mais pas uniquement. Il s’agit également de faire appel, par exemple, aux réseaux locaux de formation. Comme le suggère le texte de la convention passée entre PP7 et l’État, “l’occupation du site du projet permet d’ouvrir les possibles et de traiter non pas seulement d’architecture et d’urbanisme au sens strict mais aussi d’emploi, d’alimentation, de santé, de culture locale, de mémoire des lieux, d’économie, de développement de filières locales, de tout ce qui se réfère à la vie sociale et collective”.

Tout cela sans avoir besoin de se situer dans le cadre de dérogations aux règles de l’urbanisme. “Les expérimentations menées par la Preuve par 7 ne se situent pas hors du droit commun, elles permettent au contraire, selon Hélène Fernandez, de le connaître, de le maîtriser et l’interroger, pour voir jusqu’où on peut aller. La connaissance du droit permet de ne pas le subir”.

… et à toutes les échelles

Aujourd’hui la démarche de la PP7 est mise en œuvre à Lunel, Billom, Pérignat-ès-Allier, au village de Montjustin dans le Luberon et à Chiconi. Dans cette commune de Mayotte, le projet relie les diversités culturelles en proposant de réinvestir progressivement une MJC inoccupée pour en faire un lieu culturel lié à la musique, et explore des modalités d’intégration de l’habitat informel dans le projet urbain. Par ailleurs “à Bagneux (Hauts-de-Seine), précise Laura Petibon, nous avons un salarié en permanence architecturale jusqu’en septembre 2023 et dont l’activité sera reprise par l’acteur local du Plus Petit Cirque du Monde. Nous soutenons également les projets qui mettent ces méthodologies en œuvre comme le couvent des Clarisses à Roubaix avec le collectif ZERM, le Passage à Niveaux, à Béthune avec l’ENVOL, La Chaire Post Minier à Lille – avec Béatrice Mariolle qui établit des permanences architecturales en thèse pour le renouveau du Bassin Minier – et nous entretenons des liens de compagnonnage avec l’Établissement public foncier du Pays Basque agréé Office foncier solidaire (OFS) et la Fédération française des coopératives d’habitants Habicoop, certains CAUE et Maisons de l’architecture”.

Sophie Ricard affirme que la PP7, qui pouvait paraître comme initialement cantonnée à la transformation purement architecturale du cadre bâti, connaît déjà un changement d’échelle, passant du bâtiment à l’îlot, au quartier et à la ville, et qui pourrait, par contaminations successives, “travailler à développer une stratégie d’aménagement locale en partant des expérimentations réussies avec les services techniques des collectivités et les élus locaux et les services déconcentrés de l’État. Il s’agit, selon elle, de déterminer “comment faire en sorte que les jurisprudences créées à partir de la petite échelle puissent être le levier pour établir de nouveaux processus dans l’élaboration de politiques publiques locales, afin de s’employer à révéler les identités territoriales à partir de leurs problématiques et ressources locales. Un nouvel axe d’expérimentation à l’échelle régionale en passant par les collectivités locales et départementales est une continuité nécessaire et indispensable en vue de travailler à la stratégie de développement d’une politique publique de construction et d’aménagement locale”.

Ces évolutions passent par des coopérations territoriales, le partage entre acteurs des informations et des expériences collectées durant les différents chantiers et l’établissement de liens avec le monde de la recherche et de l’enseignement (voir encadrés). “Si les méthodes de projets doivent changer alors, affirme Hélène Fernandez, nos enseignements en architecture et urbanisme doivent pouvoir eux aussi évoluer à partir des terrains d’action et enjeux”.

La chaire EFF&T

Au sein d’un réseau qui milite pour les pédagogies de terrain, la Preuve par 7 travaille également à renouveler l’enseignement de l’architecture et de l’urbanisme en développant un grand nombre de collaborations avec le monde de la recherche.

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Philosophie à l’hôpital

Avec la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, titulaire de la chaire Humanités et Santé au Conservatoire des arts et métiers, Notre Atelier Commun aborde les questions liées aux liens entre l’urbanisme et la santé, sociale et mentale.

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Dans une interview donnée à la revue Diagonal 7, Laura Petibon déclarait “La Preuve par 7 tire son insolent optimisme d’un simple constat : les expériences d’architecture et d’urbanisme alternatives sont de plus en plus nombreuses. Leur foisonnement montre que des citoyens, des élus, des professionnels, des usagers, des étudiants s’emparent de ces questions localement et quotidiennement”. La mise en œuvre progressive du ZAN, la fin de l’artificialisation des sols ou le recul du trait de côte exigeront des méthodes de plus en plus fines et adaptées aux territoires pour continuer à faire vivre leurs habitants dans des formes urbaines et rurales adaptées à leurs besoins et leurs usages.

La PP7, par l’établissement et l’essaimage de ces nouvelles méthodes de projets, est l’une des réponses pour venir à bout de ce formidable défi.

L’École du terrain

L’activité de Notre Atelier Commun se poursuit dans le domaine de la formation et de la recherche. L’association a mis en place un centre de ressources en ligne, “l’École du terrain”, fondée en 2022. lire la suite

Atelier de travail de la PP7 aux Murs à Pêches de Montreuil ©Sophie Ricard

Restera à la populariser, non dans ses résultats mais dans sa démarche, car, comme le déclare Magali Pinon-Leconte, adjointe au sous-directeur de l’aménagement durable du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, “C’est la façon de se poser les bonnes questions pour emprunter les différents chemins de la transition qu’il faut reproduire et généraliser, et non pas les réponses nécessairement singulières apportées à tel ou tel projet…”. Cela passera, selon elle, par la formation et l’embarquement dans la dynamique globale des élus locaux notamment et des services déconcentrés de l’État en particulier. Avec pour objectif collectif, apparemment contradictoire avec la disparité des approches et des initiatives locales mais finalement complémentaire, de “ faire France”  pour reprendre l’expression de l’urbaniste Daniel Béhar 8.

Pour cela, le rôle de l’État est, selon Magali Pinon-Leconte de “proposer aux territoires des outils, des démarches, des méthodes, des cadres variés pour permettre les négociations, les arbitrages, la contractualisation, rendus nécessaires par la complexité des situations et l’ampleur des enjeux….

Gageons que les méthodes de la PP7 feront partie du nombre.■

Marc LEMONIER

  1. Voir le documentaire “Construire ensemble la rue Delacroix” de Jacques Kebadian et Sophie Ricard – 2014 []
  2. Consulter la fiche projet complète ici. []
  3. Voir le film de Julien Donada “L’étrange histoire d’une expérience urbaine” réalisé en 2016. []
  4. La PP7 estime le prix annuel d’une permanence, honoraires + premiers travaux d’aménagement des lieux à environ 100.000 euros []
  5. Celle-ci n’a pas été réutilisée lors de l’aménagement du pôle d’échange multimodal et du parvis de la nouvelle gare SNCF. Elle ne peut pas non plus être détruite, car le bâtiment est directement construit en soutènement des voies ferrées. Ses locaux ont eu différentes affectations, logements cheminots, lieu de formation avant d’être murés… []
  6. Consulter la fiche projet détaillée ici. []
  7. “Patrick Bouchain donne la preuve par 7”, Diagonal N°207, Novembre 2019 []
  8. Béhar Daniel, Czertok Sacha et Desjardins Xavier, Faire région, faire France : quand la région planifie, Boulogne Billancourt, Berger-Levrault, 2021 []

L’expérimentation réunionnaise “Écoles durables” tempère l’été austral

À La Réunion, plusieurs communes se mobilisent face aux pics de chaleur dans les écoles. Une occasion pour le Caue d’accompagner leur adaptation aux effets du changement climatique.

crédit photo : CAUE

“L’été 2019 a été extrêmement chaud. Plusieurs enfants ont eu des malaises dans nos écoles”, se souvient Patricia Arnoux, adjointe au maire en charge des affaires scolaires. Nous sommes dans la commune de Petite-Île 1 sur la côte sud de La Réunion. À deux pas de l’océan indien, l’école “Fleur de canne” est concernée. Mais elle n’est pas la seule. D’autres communes réunionnaises connaissent la même problématique. “38°C dans les classes, les parents réclament la climatisation !”, peut-on lire dans la presse.

Le confort thermique, une problématique à part entière

Néanmoins, “sous le climat tropical tempéré de La Réunion, il reste possible d’assurer le confort thermique dans les bâtiments par une ventilation naturelle traversante“, observe Stéphanie Girardot, architecte-conseil du Caue de La Réunion. Pour autant, les malaises d’élèves dans les écoles primaires interpellent. “Il fallait vraiment trouver une solution, précise Patricia Arnoux. À Petite-Île, notre municipalité a alors sollicité les conseils du Caue“.

Sur l’île de La Réunion, quand on conçoit bien le bâti, on arrive à récupérer la brise de nuit, la brise de jour et à se passer de la climatisation“, explique l’architecte-conseil. Effet induit de la topographie, l’île montagneuse est traversée par les alizés qui viennent “tempérer” son climat tropical. Sur d’autres îles des environs dans l’océan indien, le climat peut être différent. “À Mayotte, je ne dirais pas la même chose. Par endroit, l’humidité est telle que, sans climatisation, le confort thermique devient difficile à atteindre, précise-t-elle.

Reste que sous le climat chaud et parfois humide de La Réunion, la “saison chaude” 2 est bien plus longue qu’en métropole. Le climat réunionnais partage l’année en deux grandes saisons. Durant six mois ‒ de novembre à avril ‒, la “saison chaude” s’étend sur plus de la moitié du temps scolaire. La “saison fraîche” 3 très tempérée intègre, quant à elle, les vacances de juillet à août. À La Réunion, “le calendrier scolaire suit aujourd’hui le calendrier national. Mais, il y a 20 ans, en début d’année, les élèves reprenaient l’école fin février voire début mars, rappelle Stéphanie Girardot. Car ici, au cœur de la “saison chaude”, c’est de la fin janvier à courant mars que les températures et l’humidité de l’air atteignent les niveaux les plus élevés. “C’est aussi la période des cyclones. Adapté à l’époque, le calendrier scolaire l’évitait en partie“. Toujours est-il qu’en saison chaude dans les écoles réunionnaises, le confort thermique constitue une problématique à part entière. Or, la majorité du bâti scolaire se concentre sur le littoral et dans les mi-pentes. Autrement dit sous les 400 m d’altitude, là où il fait précisément le plus chaud.

Durant la journée scolaire, climatiser en même temps les plus de 500 écoles primaires de La Réunion ne serait pas imaginable, ajoute Stéphanie Girardot. La production énergétique de l’île n’y suffirait pas !” En outre, à l’heure où les coûts de l’énergie s’envolent, les considérations budgétaires renverraient tout autant les collectivités dans l’impasse. Ne serait-ce qu’en matière de fonctionnement, il s’agit de factures électriques mais aussi de l’entretien des équipements. Pour une climatisation adaptée au bâti scolaire, l’entretien régulier est estimé en l’occurrence à plusieurs milliers d’euros par école et par an. Or, dans le primaire, l’entretien courant des établissements scolaires pèse déjà lourd dans les budgets communaux. Aussi pour le Caue, il importe de travailler à des solutions économes en énergie. L’opportunité se présente alors avec l’appel à programme inter outre-mer OMBREE. Le Caue de La Réunion y développe une approche expérimentale du confort thermique scolaire. Lauréat en 2020, son projet couvre ainsi un large panel de solutions. Outre les volets liés au bâti, l’aménagement de la cour d’école y trouve également sa place. Des écoles-pilotes sont choisies, par exemple dans les communes de Petite-Île et de Saint-Paul qui s’associent à la démarche.

Le programme OMBREE :

Lauréate en 2020 et portée par le Caue de La Réunion, la démarche “écoles durables” s’intègre dans l’appel à programme OMBREE (inter Outre-mer pour des Bâtiments Résilients et Économes en Énergie). Piloté par l’Agence Qualité Construction, ce programme vise à réduire les consommations d’énergie dans les bâtiments ultramarins. Son comité de pilotage se compose de l’Ademe et des instances ministérielles concernées (Dhup, Dgec, Dgom).

En 2020, le conseil municipal de Petite-Île a délibéré pour que le Caue intervienne, évoque Patricia Arnoux. La consultation du maître d’œuvre et la concertation sont lancées. “Ici, la concertation alimente vraiment la conception, précise l’élue. Dès le début, les familles, les équipes pédagogiques, la direction et les élèves sont associés. Durant plus d’un an, ils réfléchissent au projet, se l’approprient, se projettent dans les usages futurs. Ceci permet d’expliquer, d’être plus proches des besoins qui s’expriment. Les relations avec l’ensemble des acteurs en deviennent bien plus apaisées“.

Des cours-jardin pour rafraîchir

Outre le sujet du confort thermique, d’autres questions émergent. “Le préau, c’est infernal ! C’est vraiment trop bruyant, il fait caisse de résonance, évoquent plusieurs familles dans l’école-pilote des Alpinias. Sorte de grand cube de béton, l’acoustique très minérale y réverbère. Agacés, les enfants en deviennent plus turbulents et on déplore des actes d’incivilités durant la pause méridienne. Les jeux manquent. Alors, il s’en crée parfois avec les moyens du bord. Lancer sur les murs des tubes vides de compote que l’on remplit d’eau, comme c’est amusant ! Même si ce n’est bien sûr pas du goût des équipes pédagogiques et d’entretien des lieux… Les tubes de compotes sont désormais interdits à l’école. Mais surtout, sous le pilotage du Caue, des idées de jeux plus adaptés ont émergé des réflexions des élèves pour aménager la cour.

Maquette globale école Alpinias

Aujourd’hui, nos grands préaux, nos cours bétonnées carrées ne paraissent pas très propices au bien-être. Quelques décennies auparavant, nous avons connu les mêmes cours de récréation avec du gazon et de la terre“, remarque Patricia Arnoux. Mais, les parents disaient alors : “La terre, ce n’est pas très moderne. Nos écoles ne sont pas propres. La modernisation passerait par le béton !”, se souvient l’élue. Porteur d’avancées en son temps, l’hygiénisme en vient à révéler ses limites. Certes, les questions de santé et d’hygiène restent d’actualité. Mais, ici, les expériences vécues par les uns et les autres infléchissent les regards ; les enjeux actuels ‒ notamment de changement climatique ‒ apportent d’autres éclairages sur le projet. Quand il fait 30°C dehors à la pause méridienne, les 65°C et plus mesurés au niveau de l’enrobé de la cour rayonnent tout autour, la transformant en un redoutable chauffage par le sol d’une puissance colossale. La cour d’école minérale s’adapte de plus en plus mal aux chaleurs estivales réunionnaises qui, selon les derniers scénarios d’évolution climatique, devraient se renforcer. En 2100, les 13 jours moyens annuels de canicule (constatés de 1981 à 2010) devraient passer ici à 70 jours minimum voire peut-être même atteindre les 185 jours 4.

Même si nous avons l’habitude d’avoir chaud à La Réunion, les chaleurs estivales se font davantage ressentir“, ajoute Stéphanie Girardot. Plus minérale sous l’expansion démographique des dernières décennies, la ville s’est étendue, embarquant avec elle ses nombreux îlots de chaleur. “Dorénavant sur le littoral, les villes se touchent dans un continuum urbain avec une densité minérale et bâtie importante. La végétation a vraiment perdu du terrain bien qu’elle pousse ici très facilement”. Pourtant, elle pourrait constituer une source de rafraîchissement appréciable. Le rayonnement réduit à l’ombre des arbres mais aussi l’évapotranspiration au niveau des feuilles procurent cette sensation de fraîcheur que nous avons tous ressentie à l’approche d’un bosquet arboré. Des leviers dont il est possible de se saisir pour adapter le tissu urbain aux canicules à venir sans en rajouter à la facture énergétique.

Des cours-jardin pour rafraîchir et améliorer les écoles des Bas de La Réunion, ainsi se nomme le guide que le Caue vient de sortir à l’attention des collectivités. Nourri des démarches menées dans les écoles-pilotes de Petite-Île, de La Possession, de Saint-André, de Saint-Paul, il traite de l’amélioration du confort thermique. Une place de choix est accordée à la végétation dans les cours de récréation et aux abords des bâtiments. Comment la choisir ? Où l’implanter ? Quels points de vigilance intégrer pour éviter divers désagréments, comme un entretien trop coûteux ou celui de devoir tout couper quelques années plus tard ? “Pas de bâti performant sans environnement performant !, résume le guide. Il devient tout simplement inutile de travailler au bio-climatisme d’un bâtiment, si on occulte la problématique d’un environnement qui le dessert. La performance du bâti passe précisément par cette capacité à rester économe en énergie tout en offrant des espaces agréables à vivre pour l’usager, notamment sur le plan thermique. Ce qui suppose vraiment de jouer sur tous les plans. Dans la commune de Petite-Île, la cour-jardin de l’école des Platanes sud va même expérimenter une classe de cours extérieure.

Le bâti, un point incontournable

Or, pour vraiment améliorer le confort thermique dans chaque école, le projet de cour-jardin suppose d’être couplé au diagnostic du bâti scolaire. Construits dans les décennies 1970-1980, les bâtiments d’origine des écoles sont ici le plus souvent en béton avec des toitures terrasses. Au fil du temps, les agrandissements s’y sont adjoints. Ils reprennent parfois l’esprit du bâtiment initial. Mais il arrive aussi que le bâti modulaire ‒ ajouté provisoirement pour quelques temps ‒ soit encore là bien des années plus tard ! Bien sûr, “le modulaire, c’est le pire en termes de confort thermique“, observe Stéphanie Girardot. Les bâtiments d’origine en béton sont, quant à eux, plutôt bien conçus. “Solides, ils résistent aux cyclones et servent souvent au plan ORSEC pour évacuer les gens, constate l’architecte-conseil. Par contre, à l’époque, ils n’ont pas été pensés pour le confort thermique“. Certes, selon l’exposition, les ouvrants peuvent bénéficier d’un peu de protection solaire, mais jamais suffisamment pour empêcher l’ensoleillement. Et, autre point encore plus dommageable sur le plan thermique, les toitures ne sont pas isolées. Bien sûr, isoler le bâtiment constitue un point incontournable. Pour autant, travailler l’efficacité de l’ombrage ‒ notamment au niveau des ouvrants ‒ se révèle tout aussi utile. Le projet d’adaptation des bâtiments doit alors se coupler avec celui de cour-jardin. À quelle distance du bâti planter ? Quel choix d’essences pour concevoir un ombrage de qualité ? Dans les salles de classe, il convient notamment de veiller à maintenir un éclairement naturel suffisant. Et mieux vaut anticiper la croissance des plantes. Sans quoi, des années plus tard, des désordres pourraient apparaître aux abords des constructions. Aussi il est utile de coupler les compétences du paysage avec celles du bâtiment.

Enfin, la question de la ventilation se révèle fondamentale. Non seulement, elle constitue un facteur-clé du confort thermique mais il s’agit même d’une question de santé, tout particulièrement pour les enfants. “Optimiser la ventilation naturelle du bâti s’avère indispensable“, résume Stéphanie Girardot. “Nous avons sollicité le docteur Suzanne Déoux. Ses recherches, ses analyses, l’instrumentation des salles de classes menée dans les écoles-pilotes, le démontrent“.

Le projet OMBREE du Caue de la Réunion s’achève. Mais, en matière de confort thermique estival, les écoles-pilotes vont nourrir les pratiques. “Un portail a été créé“, précise Stéphanie Girardot. Outre les enseignements de la démarche “écoles durables”, on y retrouve les repères utiles de différentes publications et guides. Par ailleurs, pour les professionnels, le portail intègre un espace de travail spécifique. Dès lors, pour les collectivités qui le souhaitent, il devient possible d’intégrer un réseau de partage d’expériences de témoigner, d’approfondir. “Pour les écoles primaires, chaque commune pourrait se trouver assez isolée, explique Stéphanie Girardot. Par ce portail, le Caue entend faciliter la mutualisation d’expériences.” Autrement dit capitaliser à partir d’opérations communales variées, comme le font plus aisément le département, la région à l’échelle de La Réunion pour les collèges ou les lycées.

Dans les sept écoles-pilotes, les équipes de maîtrise d’œuvre ‒ choisies par les communes ‒ achèvent leur conception. Nourries des besoins exprimés par les usagers sous le pilotage du Caue, elles intègrent les axes, les exigences du projet partagé. D’ici la fin 2023, les travaux vont démarrer. Les professionnels, les usagers, les élèves et leurs parents, chacun est impatient de découvrir sa nouvelle cour d’école, d’apprécier les effets du projet sur le confort dans les salles de classes, d’examiner les résultats ‒ par exemple en matière de consommations énergétiques ‒. Voilà qui devrait enrichir encore les échanges d’expérience. “Nous venons d’organiser en février dernier une rencontre autour de ces écoles durables“, précise Stéphanie Girardot. Une occasion de témoigner ‒ comme pour la commune de Petite-Île ‒ mais aussi d’inspirer d’autres écoles, d’autres communes. À La Réunion bien sûr, en premier lieu, mais aussi à l’Outre-mer ou même au-delà. À mesure que s’étendent les expériences, cette première rencontre réunionnaise pourrait en amorcer d’autres. Pourquoi pas sous la forme d’une biennale des écoles durables ? Une occasion de venir nourrir une dynamique, d’enrichir la communauté des sachants au fil du temps. Toujours est-il que depuis ces expériences renouvelées du confort thermique, les compétences commencent ici à germer.■

Nathalie GARAT

  1. Au sud de l’île de La Réunion, la commune de Petite Île affirme, avec ses 12 401 habitants, sa devise de “ville à la campagne”. Sur cette côte encore verdoyante de l’océan indien ‒ appelée le “sud sauvage ” ‒, les sept écoles primaires de la ville s’étagent du littoral jusqu’aux “Hauts.” []
  2. De novembre à avril, durant la “saison chaude”, les températures sur le littoral oscillent entre des minima moyens autour de 21 à 24°C et des maxima autour de 28 à 31°C. []
  3. De mai à octobre, durant la “saison fraîche”, les températures sur le littoral oscillent entre des minima moyens de 17 à 20°C et des maxima moyens de 26 à 28°C. []
  4. Il s’agit des données de Météo France. Elles mesurent le nombre de jours où les températures atteignent plus de 31°C. []

L’intelligence collective au service des îlots dégradés

À Blois, l’Atelier Flash qui s’est déroulé sur 3 jours en juin 2021 a changé radicalement le regard que les élus et techniciens portaient sur les îlots dégradés du centre-ville. Une nouvelle dynamique s’appuyant sur l’intelligence collective a pu émerger et se poursuit encore aujourd’hui.

Un cœur d’îlot dans le centre-ancien de la ville de Blois@Blois

Pour les élus des différentes communes ayant participé aux Ateliers Flash sur les îlots anciens dégradés, ces derniers ont servi de “booster” aux projets de requalification des centres-villes. En proposant une méthodologie innovante, ils donnent à voir le champ des possibles et favorisent le passage à l’opérationnel. Le cas de Blois est emblématique à cet égard.

Pour David Laborey, alors chef de projet Action cœur de ville à la DHUP, la Ville a pu bénéficier de trois innovations dans la démarche de projet : “Dézoomer les regards, en travaillant à la bonne échelle, celle de l’îlot ; profiter de la méthodologie de l’Atelier Flash qui mise sur l’intelligence collective ; s’inscrire dans l’approche développée par l’équipe de conception dont le POLAU est le mandataire − mis à disposition avec ses partenaires 1 par la DGALN − sur l’urbanisme culturel“. Une approche qui, selon Maud Le Floc’h, sa directrice, propose “des leviers d’activation, une tactique d’intervention évolutive (du soft vers le hard), en mesure d’inventer, de tester, et d’engager des interventions incitatives, tout en ne négligeant pas une approche coercitive2.

Un engagement des pouvoirs publics depuis une décennie

À cela s’ajoute que “l’Atelier a créé l’opportunité de réunir des acteurs sur une thématique et de favoriser une appropriation collective des enjeux sur 3 jours”, estime David Laborey. Et ceux-ci ne manquent pas. Labellisée ville d’art et d’histoire, sise au cœur du Val de Loire inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, la ville de Blois, à l’instar d’autres villes moyennes, connaît pourtant une dévitalisation d’une partie de son centre-ville.

Une situation qui préoccupe la Ville depuis une dizaine d’années déjà. Dès 2012, elle a voulu requalifier ses espaces publics, puis redessiner ses rapports avec les bords de Loire et mettre en majesté son patrimoine historique. Après avoir finalisé les travaux de réaménagement, elle se porte candidate pour bénéficier du programme Action cœur de ville et fait partie des 222 communes et agglomérations retenues en 2018. Le constat est sans appel.

Avec 17 % de logements vacants, son centre se vide tandis que sa périphérie et la campagne environnante attirent de nouveaux habitants. De nombreux îlots sont dégradés et malgré leurs différences, ils sont comme ailleurs mal aérés. Les logements connaissent aussi les mêmes défauts : manque de lumière, inconfort, petitesse des pièces. Alors, comment attirer de nouvelles familles dans ce tissu contraint ?

Plusieurs dispositifs peuvent y aider. L’embellissement du centre-ville participe des objectifs du programme Action cœur de ville, grâce au ravalement des façades. La reconquête de l’habitat est aussi favorisée par la convention ACV, homologuée en Opération de revitalisation de territoire (ORT) en décembre 2019, qui permet un accès prioritaire aux aides de l’Anah et donne une éligibilité au dispositif fiscal Denormandie dans l’ancien 3. La possibilité de recourir au droit de préemption renforcé facilite également les projets et dispositifs expérimentaux. Enfin, une Opah-renouvellement urbain (Opah-RU) est lancée en 2020.

Néanmoins, en dépit de l’engagement de la Ville, de l’agglomération et de l’État, qui appréhendent la requalification du centre-ville dans ses différentes dimensions mais à une large échelle, un travail fin et spécifique sur l’habitat demeure indispensable si l’on veut changer de braquet. Comment en effet rendre les logements aussi attractifs que la maison individuelle ? Un défi redoutable quand on connaît l’attachement des Français à ce mode d’habitat qui ne se dément pas au fil des années et des enquêtes.

Une méthodologie collaborative pour enclencher une dynamique

L’Atelier Flash intervient à point nommé. “Lorsque la DHUP a proposé en juin 2020 le principe d’un Atelier Flash pour la reconquête d’îlots anciens dégradés, la candidature de Blois est apparue évidente, permettant ainsi de compléter les réflexions et actions déjà engagées par la Ville, dont une Opah-RU”, indique Patrick Séac’h, Directeur de la DDT du Loir-et-Cher 41. Une fois retenue, la collectivité et ses services ainsi que la DDT et l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine 41 (UDAP) ont participé au travail préparatoire mené par le POLAU.

Selon Maud Le Floc’h, cette phase de repérage et d’enquête est essentielle pour relever les singularités, identifier d’éventuels leviers et définir les premiers axes de travail. “On a ainsi compris que sur l’îlot du Commerce-Papin retenu par la collectivité, la question portait clairement sur les commerces qui bloquaient les rez-de-chaussée et l’accès à certains étages”. De nombreuses données sur l’îlot ont été collationnées et analysées 4, des liens avec les commerçants, résidents, associations ont pu se tisser, permettant d’ouvrir leurs portes lors de la visite de terrain.

Dès le premier jour de l’Atelier, l’ensemble des parties prenantes, élus et techniciens de différents organismes, ont visité l’îlot en binôme, et dialogué avec les riverains en prenant appui sur un questionnaire. Christine Chevrier, responsable du service Urbanisme Opérationnel et Politique foncière à la Ville de Blois et Agglopolys, considère que l’Atelier Flash a été une véritable opportunité pour changer de regard sur la situation du centre-ville.

Il a été “une révélation en matière de diagnostic. Chacun a pu prendre conscience de la situation de cet îlot et qu’il y avait urgence à agir. Nous avons eu la possibilité d’aller à l’intérieur des logements, de rentrer dans les cours, ce qu’on ne peut pas faire tant qu’un danger n’est pas signalé”. Sa collègue, Élodie Lhomme, responsable Habitat, relève que cela a permis de toucher du doigt des réalités que les seules données ne suffisent pas à rendre. La méthodologie participative a ainsi permis d’établir un état des lieux “sensible” et partagé qui a servi de point d’appui aux séances suivantes.

L’envers du décor

Du reste, l’îlot Papin présente un condensé de la complexité de certains tissus anciens qui offrent un fort contraste entre l’extérieur et l’intérieur des îlots. Situé dans l’hyper-centre, essentiellement commercial, il est composé d’un tissu très dense en grande partie d’origine médiévale. Les immeubles sont en lanière, les logements sont petits, imbriqués, sombres, les circulations difficiles, les arrières-cours et coursives très encombrées avec parfois des constructions sauvages (appentis, réserves …).

Mais surtout, au-delà des façades, pour la plupart de belle facture, la majorité des immeubles de l’îlot comprend un commerce en rez-de-chaussée tandis que les premiers étages sont utilisés pour le stockage de marchandises. Quant aux derniers étages, difficilement accessibles, ils demeurent la plupart du temps vacants. Une situation d’autant plus problématique que “les propriétaires pratiquent des loyers élevés, regrette Élodie Lhomme, faisant ainsi supporter par les commerçants l’ensemble des charges de l’immeuble que les propriétaires entretiennent peu. Or à force, c’est la structure qui s’épuise. C’est pourquoi requalifier des logements serait intéressant pour tout le monde, y compris pour les propriétaires”.

Penser le temps long

C’est ce que souligne Patrick Henry, architecte et urbaniste à Pratiques urbaines, partenaire du POLAU. Pour ce faire, il faut s’appuyer “sur des actions-leviers d’urbanisme culturel, agissant à différentes échelles temporelles et spatiales”. Si les visites de terrain ont favorisé une prise de conscience, très vite “la démarche d’atelier, innovante et participative, a permis d’identifier des axes de réflexion et une ébauche de pistes d’actions”, explique également Patrick Séac’h.

D’une manière générale, “on a attrapé des sujets complexes à partir des ressorts que sont les dynamiques participatives et collaboratives d’ateliers, les repérages, les récits, les fictions, pour imaginer des actions tests, précise Maud Le Floc’h. Il s’agissait aussi, en arrière-plan, d’élargir le plateau d’acteurs pour prendre en charge ces questions”.

Sur un temps resserré mais qui mobilise des participants aux agendas très contraints, l’équipe-projet menée par le POLAU a, dès le premier jour, poursuivi avec eux le travail de terrain par “des représentations pouvant figurer les capacités d’évolution de l’îlot“. Il n’est pas question ici de réaliser un projet, mais d’asseoir une dynamique en travaillant tous ensemble par petits groupes sur des scénarios fictionnels, à partir de grands axes stratégiques.

Il s’agit d’aller du logement au territoire, de construire une stratégie qui ne fasse pas l’économie d’une réhabilitation mais qui permette d’élargir le périmètre d’action, de trouver des opportunités en dehors du centre-ville, résume Patrick Henry. L’idée d’une pièce-nature”, accessible à pied ou à vélo, qui favorise le jardinage ou le bricolage, ce que n’autorise pas l’habitat de centre-ville, s’est imposée. Nous sommes aussi partis de l’îlot, car c’est à cette échelle que les choses peuvent bouger, pour imaginer des curetages qui permettent de trouver des jardins, une végétalisation, de la lumière, une porosité pour aider les circulations”.

Le programme d’activation s’articule autour de trois scénarios : mettre en place une permanence d’architectes pour dialoguer avec les propriétaires, les aider à libérer les étages et créer des logements indépendants des commerces et, plus largement donner à voir les possibilités d’évolution des immeubles ; agrandir son logement à travers une “pièce-nature” qui serait implantée sur du foncier public mis à disposition ou en location de longue durée à l’extérieur du centre ; reconfigurer, retailler les espaces horizontaux, en vue de créer des logements plus vastes, voire des espaces communs adaptés aux usages contemporains (buanderie, local à vélo ….).

La dynamique ne s’arrête pas là

Fort des résultats obtenus sur cet îlot test, la Ville a poursuivi le travail avec ses partenaires dans la même configuration, et sa candidature à l’AMI “Démonstrateur pour la ville durable” a été retenue 5. La méthodologie collaborative a fait ses preuves. Pour Maud Le Floc’h, “le sujet semble beaucoup plus désirable que ce qu’il était avant l’Atelier Flash”.  Élodie Lhomme s’en réjouit : “On continue à se voir et on va mettre en place de nouveaux ateliers élargis à un second îlot, qu’on appellera toujours Atelier Flash. Tout le monde est ravi. Le CAUE va les animer et l’objectif est d’aboutir à une stratégie renouvelée avec des outils idoines d’ici l’été. Car il faut s’adapter à un contexte mouvant. En 2020, il était difficile de rencontrer les propriétaires ; aujourd’hui, on manque de matériaux, d’artisans et les prix sont très élevés. Dans ces conditions on a du mal à mobiliser les propriétaires“. Du reste, l’Opah-Ru donne pour le moment des résultats mitigés qui invitent à réfléchir à des outils coercitifs, y compris sur l’acquisition. Une dimension indispensable si l’on veut offrir des logements de qualité et abordables. Nul doute pour la responsable Habitat que “cette réflexion sur les outils coercitifs a été accélérée par l’Atelier flash“. Parmi les pistes également évoquées figurent la mise en place d’une opération de restauration immobilière, le développement d’un permis de louer, ou encore l’obligation de ravaler les façades des derniers immeubles.

Ainsi, la plus-value apportée par l’Atelier Flash à Blois est largement partagée. Comme le dit si bien Maud Le Floc’h, on a “remis la spirale à l’endroit”. En offrant aux acteurs les moyens de travailler autrement et de puiser dans une boîte à outils qui mette en mouvement aussi bien le projet que ses parties prenantes, de nouvelles perspectives s’ouvrent pour le centre-ville de Blois.■

Virginie BATHELLIER


  1. Pratiques Urbaines, l’Effet urbain et Zefco. []
  2. Atelier Flash, Numéro 1, Juin 2021[LD1] []
  3.   Le dispositif fiscal Denormandie dans l’ancien permet de bénéficier d’une réduction d’impôt en cas d’investissement locatif dans un quartier ancien dégradé. []
  4. Parmi les données et fichiers consultés : état des intentions d’aliéner, registres des copropriétés, fichiers fonciers, liste des bailleurs, cadastre, fiches immeubles quand elles existent … En l’absence de relevés au sein de l’îlot, des relevés participatifs ont été réalisés lors des Ateliers []
  5. L’AMI démonstrateur de la ville durable vise “la création d’un réseau national de démonstrateurs, à l’échelle de l’îlot ou de quartiers”. Porté par la Banque des territoires, en partenariat avec l’Anru pour les projets situés dans les centres anciens et les[LD2]  quartiers prioritaires de la politique de la ville en renouvellement urbain, cet AMI est doté de 305 millions d’euros. []

La Villeneuve, une hospitalité en acte

Quartier emblématique des années soixante-dix, alors porté par une volonté politique de transformation sociale, La Villeneuve fait l’objet d’une rénovation urbaine. La Ville de Grenoble, soucieuse du bien-être de ses résidents (1), s’appuie aussi sur son passé et sur les pratiques habitantes pour concevoir un projet novateur à certains égards.

Car le quartier est atypique, et si la presse s’en est emparée à de nombreuses reprises pour relater les émeutes urbaines de 2010 ou des faits divers, il apporte des aménités que l’on ne retrouve pas souvent à ce niveau dans les sites en politique de la ville. Des atouts qui permettent à Grenoble d’inscrire le projet dans la perspective d’un écoquartier populaire et aux résidents de défendre leur point de vue sur son devenir.

Villeneuve a en effet bénéficié dès l’origine d’une politique sociale et urbaine ambitieuse.  Alors que Magali Talandier définissait l’hospitalité comme une intention “d’attirer tout un chacun, de retenir et d’accueillir” en introduction aux journées du CFDU, cette acception pourrait s’appliquer à la manière dont les urbanistes d’alors concevaient le quartier. La première partie du grand ensemble, l’Arlequin (1 800 logements), devait voir le jour en 1972, suivi quelques années plus tard par les Géants. Doté de logements spacieux – réservant de belles vues sur la montagne, traversants, lumineux et pour certains en duplex, voire triplex -, le quartier de l’Arlequin doit son nom au jeu des couleurs sur la façade des immeubles. Ses qualités intrinsèques lui ont ainsi valu le label “patrimoine du XXe siècle” en 2003.  L’attention portée aux cheminements quotidiens des habitants et la création de nouveaux espaces de convivialité participaient aussi du projet.  “La municipalité voulait créer un environnement urbain agréable pour tous, sans ségrégation sociale, avec des espaces de circulation qui favoriseraient les relations sociales et des équipements servant de support à la transformation des rapports sociaux, rappellent les auteurs de Plaidoyer pour Villeneuve. Jean Verlhac (en charge du projet à la Ville de Grenoble) disait qu’il cherchait à créer un projet qui se situe entre le réel et l’utopie, à la limite du possible.” (2) Mêlant logements sociaux et copropriétés, le quartier avait vocation à mettre en acte un idéal de mixité sociale, que les nombreux équipements publics et structures associatives pouvaient accompagner. Le tout ouvert sur un parc de 14 ha dessiné par Michel Corajoud – paysagiste et Grand prix de l’urbanisme 2003 – l’un des plus grands de Grenoble mais aussi le plus méconnu.

Alors certes, tout ne s’est pas déroulé comme prévu. Les investisseurs sont venus moins nombreux qu’annoncé à l’Arlequin, les grands appartements ont été regroupés dans un immeuble, on a diminué le nombre d’ascenseurs, les statuts juridiques mêlant parc social et parc privé ont compliqué la gestion des espaces communs. Pour autant “l’innovation sociale demeure importante et les habitants sont pour beaucoup attachés au quartier, en dépit d’une image qui s’est dégradée au fil du temps”, précisait Séverine François, cheffe de projet renouvellement urbain, lors de la visite du quartier. Le vieillissement des bâtiments et des espaces publics a suscité depuis plusieurs années différentes interventions pour les requalifier. Un plan de sauvegarde est en cours avec l’Anah sur les logements privés, avec une forte mobilisation financière de l’Agence et de la Métropole. L’objectif est de privilégier la réhabilitation thermique à la démolition, en créant des unités résidentielles plus petites. Les bailleurs sociaux s’engagent aussi dans ce sens, même si la convention de renouvellement urbain signée avec l’Anru n’a pas permis d’éviter la démolition d’un immeuble comprenant 95 logements de grande taille (3). Or “les démolitions ont été mal vues par les habitants, constatait la cheffe de projet. Toutefois, dans le cadre de la charte du relogement beaucoup d’entre eux ont demandé à rester sur le site et le bilan général relève qu’ils ont obtenu satisfaction”.

Pour autant, à l’échelle nationale, “la parole habitante des quartiers populaires n’est pas suffisamment écoutée, regrettait Bénédicte Madelin, autrefois directrice de Profession Banlieue et aujourd’hui membre du collectif Pas sans nous, lors de ces Universités d’été. Même si la participation des habitants au projet figure parmi les obligations de l’Anru, rien n’indique que leur point de vue puisse le réorienter, en particulier sur la question des démolitions.  La concertation ne rime pas forcément avec le pouvoir d’agir dans un cadre institutionnel, ce qui peut conduire à de vraies crispations. Une enquête menée par l’association auprès des habitants des quartiers prioritaires de 44 villes révèle ainsi que “le logement est la première préoccupation des gens, qui ressentent aussi une grande colère”, ajoutait Bénédicte Madelin.

Au-delà des logements, la spécificité de Villeneuve réside aussi dans son parc, généreux, arboré, véritable poumon vert de la ville et du quartier en particulier. Manon Locatelli, en charge de son évolution dans le cadre du PNRU, a expliqué combien les habitants en sont fiers et y vivent au quotidien. L’eau y occupe une place importante, mais à sa création elle était surtout pensée pour l’arrosage, ou comme ornement ou instrument de lien social. “Aujourd’hui, une gestion plus vertueuse de l’eau se met en place à l’échelle du parc. On se déconnecte des réseaux pour privilégier l’infiltration notamment et l’on souhaite offrir aux habitants un cadre sanitaire et réglementaire autorisant la baignade dans le bassin de 4 000 m² en toute sécurité.” Une étude de faisabilité a montré les contraintes liées à la mise en place de la baignade en milieu urbain, tout en pointant les voies pour concevoir un projet qui sera unique en son genre. Une maîtrise d’œuvre pour la baignade naturelle a été retenue et l’installation de nouveaux équipements ludiques est envisagée. Le projet, très ambitieux, pourra ainsi renforcer les aménités du lieu, tout en s’ouvrant davantage sur l’extérieur, ce qui suscite d’ailleurs quelques craintes des riverains.

Reste que, si l’on applique au parc et aux espaces habités de la Villeneuve les propos généraux de Nicolas Tixier, directeur du Cresson (Centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain), qui concluait les journées du CFDU, l’enjeu sera aussi de “penser l’hospitalité au projet, en laissant de la place à l’imprévu”. Un équilibre délicat à trouver, entre normalisation et chemins de traverses…■

Virginie Bathellier

1) Cf. Article “Grenoble-Alpes-Métropoles : l’IBEST ou le bien-être sur mesure”, Diagonal N°214, mars 2022.

2) Plaidoyer pour Villeneuve, Pouvoir d’agir et planification démocratique face à la rénovation urbaine de l’Arlequin, Seb Breynat, Morgane Cohen, David Gabriel, Éditions du Puca., décembre 2015

3) l’objectif de la démolition – adapté selon les sites- est inscrit dans le règlement général de l’Anru.

La parole aux élus : l’hospitalité des territoires et le changement climatique

La 26e Université d’été du CFDU a été l’occasion de recueillir la parole des élus sur les enjeux de l’hospitalité des territoires, aujourd’hui et dans la perspective des bouleversements liés aux changements climatiques. Margot Belair, adjointe à l’urbanisme de la Ville de Grenoble, Ludovic Bustos, vice-président de Grenoble-Alpes Métropole en charge du foncier et du PLUi, Florent Cholat, maire de Champagnier, Stéphane Gusméroli, maire de Saint-Pierre de Chartreuse, Agnès Thouvenot, 1re adjointe au maire de Villeurbanne déléguée à la transition écologique et Damien Carême, député européen et ancien maire de Grande-Synthe, répondaient aux questions de Vanessa Delevoye, rédactrice en chef d’Urbislemag.fr.

Vanessa Delevoye : Qu’est-ce que l’hospitalité pour vous et sur votre territoire ?

Margot Belair : L’hospitalité à Grenoble est un objectif très transversal décliné dans tous les projets urbains pour viser une ville désirable et résiliente aux enjeux climatiques. Cela suppose un travail sur les logements, l’espace public et le cadre de vie, mais aussi sur les services et les commerces. Cela impose aussi de travailler sur l’inclusion de tous les publics : les précaires, les personnes en situation de handicap, les femmes, les mères de famille…

Ludovic Bustos : J’ajouterais que Grenoble et sa métropole ont toujours été un territoire hospitalier, avec une ville centre attractive et accueillante dont le défi est de le rester ! Grenoble-Alpes-Métropole essaie de porter le message essentiel de la solidarité entre les 49 communes qui la constituent. Les enjeux autour de la ruralité, de la montagne et de la densité doivent être traités conjointement sur un grand territoire.

Florent Cholat : Pour notre commune périurbaine de moins de 2 000 habitants, dont la population a augmenté de 30 % en 2 ans, l’hospitalité revient à maintenir le niveau de services publics pour les habitants. Nous avons expérimenté avec succès un commerce ambulant pour faire vivre le village. Il va être converti en installation pérenne. Par ailleurs, une zone d’activité va s’implanter avec 1 000 emplois à horizon 2025 ! Un gros travail est en cours pour relier cette future zone et ses salariés à la vie diurne du village.

Stéphane Gusméroli : Notre village de 2 000 habitants jouit d’une forte attractivité touristique. L’hospitalité pour nous, c’est donc d’abord l’accueil des touristes et des nouveaux résidents que le territoire a séduits. Il y a aussi une dimension participative et citoyenne de l’hospitalité, avec une habitude ancrée d’entraide entre les habitants face aux rudesses du quotidien en territoire de montagne. 

Agnès Thouvenot :  Avec ses 153 000 habitants, Villeurbanne constitue une banlieue industrielle de la ville de Lyon et s’est développée d’emblée comme une ville d’accueil. Son slogan en témoigne : “venu d’ailleurs, devenu d’ici”. Pour nous, l’accueil est un droit et non une forme de compassion. Notre politique est volontariste en termes de lutte contre le sans-abrisme, aucune évacuation n’est possible sans relogement. Plus largement, nous voulons reconstituer des polarités de lien social à partir des enjeux d’équipements publics. Les services au public comptent plus que les polarités commerciales. L’hospitalité pose la question du logement mais aussi celle de l’emploi en cœur de ville. Enfin, l’enjeu de la propriété des sols est une clé, car de nombreuses aménités de la ville en dépendent – comme ses bancs par exemple.  Nous réfléchissons à des mécanismes de réappropriation foncière pour contrer les fonds d’investissement. Sans outils fonciers, les discours sur l’hospitalité relèvent du vent politique…

Damien Carême : L’hospitalité commence par le bien-être des habitants en place, puis en l’accueil, dans les mêmes conditions, de tout “étranger” : on est tous l’étranger d’un autre. À Grande-Synthe, une carte de résident permet l’accès aux services publics et aux processus de concertation pour tout nouvel arrivant. Pour moi, l’attractivité n’est plus un objectif à poursuivre : elle suppose une compétition entre communes et territoires quand la solidarité et la complémentarité sont plus que jamais nécessaires. Le guide de l’Association nationale des villes et territoires accueillants paru en mai dernier est une aide précieuse pour les élus et professionnels qui veulent avancer dans l’accueil des migrants.

V.D. : Comment les urbanistes peuvent-ils vous aider à réunir les conditions de l’hospitalité ?

A.T. : L’urbanisme souffre parfois de sa technicité : un COPIL de Zac manque terriblement de sensible et de poésie. Il faut prêter attention aux récits, à l’esthétique, et inscrire davantage le métier dans la sociologie, la philosophie, l’anthropologie… Une Zac, c’est aussi des gens et des liens. L’urbaniste doit nous aider à faire les projets avec l’ensemble des parties prenantes : les habitants, les usagers, mais aussi les salariés, les syndicats…

F.C. : Si le passé de nos villes importe, comment y voir aussi les traces de la ville future ? Les urbanistes peuvent nous aider à projeter la ville de demain par une lecture fine de la ville d’hier et d’aujourd’hui, par exemple dans son rapport à l’eau. À Champagnier, nous avons connu trois crues décennales en 2 ans, signe que le climat alpin du territoire évolue rapidement vers un climat provençal.

L.B. : L’aménagement de demain passe par une réparation de la ville. Nous avons besoin d’être challengés sur les documents d’urbanisme pour déployer un aménagement équilibré et solidaire sur un grand territoire. Une OAP paysage et biodiversité a été actée lors du dernier mandat dans le PLUi. Chaque projet doit désormais s’inscrire dans son environnement et l’améliorer, c’est une petite révolution. Les urbanistes apportent aussi un savoir-faire pédagogique pour tisser le lien avec les habitants et réformer les schémas de pensée, notamment sur les formes urbaines désirables.

M.B. : Les urbanistes sont indispensables pour traduire le discours des élus dans le concret et les mettre en rapport avec les imaginaires, les besoins et les attentes des habitants. Ils doivent aussi se faire lobbyistes auprès de tous les élus qui ne sont pas encore convaincus du besoin d’hospitalité ! La stabilité de son poste, plus grande que celle de l’élu, permet de porter des messages et des ambitions dans la durée d’un projet urbain.

V.D. : À quoi pourrait ressembler l’hospitalité en 2050 dans le contexte du changement climatique ?

S.G. : Il ne s’agira pas d’accueillir plus, mais mieux. Nous commençons déjà à fermer des sites et des routes d’accès pour cause de surfréquentation, ou encore à interdire le bivouac en raison de son impact sur la faune…

D.C. : Les réfugiés climatiques ne viendront pas nécessairement chez nous. En revanche, il faut s’attendre à des flux migratoires massifs liés aux conflits militaires ou aux crises économiques. Les élus sont aux commandes et doivent anticiper et préparer nos villes à l’accueil dans de bonnes conditions, par exemple en réservant une partie de leurs parcs de logements. Il faut rappeler ici que l’immigration, très modérée actuellement, est une aubaine pour l’Europe vieillissante : si elle n’avait pas ouvert ses frontières en 2021, elle aurait perdu 500 000 habitants !

A.T. : Il est difficile de répondre. Une approche technique ne sera pas suffisante. Comment passer à l’action et éviter la tétanie face aux risques climatiques ? Il faut choisir la protection et limiter nos peurs, se redonner du souffle pour une ville belle et désirable. Personnellement, les conséquences de la crise énergétique à venir sur l’économie locale m’inquiètent : certaines populations modestes éloignées de leur lieu de travail n’auront peut-être pas d’autres choix que d’abandonner leur emploi.

L.B. : Je partage ces inquiétudes. Face à la vitesse des évolutions en cours, la Métropole s’est donnée un cap et une feuille de route politique en 5 axes : le climat, l’attractivité, la transition, la solidarité et la proximité.

M.B. : En tant que militante pour le climat depuis 10 ans, je constate que nous n’allons pas assez vite pour ajuster nos actions aux projections climatiques de 2050. La technologie ne nous sauvera pas. L’innovation peut nous aider, mais l’enjeu principal pour diminuer notre impact carbone impose le collectif, le partage, le lowtech. Face à cette urgence, les collectivités ont besoin de l’État et de l’Union européenne pour mettre en place des politiques efficaces au bon niveau.

■ Florent Chappel

“Fabriquer l’hospitalité tout contre la ville hostile”

Au cours de l’atelier “Reconsidérer l’urbanisme en toute hospitalité”, organisé dans le cadre de la 26e Université d’été du CFDU à Grenoble (lire l’article consacré), l’architecte Sébastien Thiéry a présenté l’activité engagée et innovante du Pôle d’exploration des ressources urbaines (PEROU). Il a répondu aux questions de l’architecte et urbaniste François Nowakowski (enseignant chercheur à l’Ensa de Strasbourg) comme de la quarantaine de participants à l’atelier. Diagonal en reprend ici les principaux échanges.

François Nowakowski : Comment votre démarche fabrique-t-elle de l’hospitalité ?

Nous avons créé le PEROU en 2012 avec Gilles Clément pour tenter de neutraliser la violence des politiques d’exclusion et de déplacements forcés. Comme l’affirme notre manifeste fondateur, “le PEROU se veut un outil au service de la multitude d’indésirables, communément comptabilisés comme cas sociaux voire ethniques, mais jamais considérés comme habitants à part entière. Avec ceux-ci, le PEROU souhaite expérimenter de nouvelles tactiques urbaines nécessitant le renouvellement des techniques comme des imaginaires, afin de fabriquer l’hospitalité tout contre la ville hostile”.

F.N. : Pouvez-vous nous donner un exemple d’intervention du PEROU ?

Notre première action a porté sur les bidonvilles de Ris-Orangis et de Grigny, peuplés par des familles Roms. Nous avons construit une ambassade, une place des fêtes, une chapelle, des toilettes sèches, des bacs à compost, un module sanitaire comprenant douches et lavoirs, une résidence de travail, un cinéma, ou encore des aménagements fleuris. Nous sommes également intervenus sur la scène publique, organisant de multiples événements, faisant se mobiliser nombre d’acteurs locaux, créant les conditions de nouvelles négociations, provoquant la mise en œuvre d’un projet d’insertion, premier du nom en Essonne. Sur les 140 personnes rencontrées à Ris-Orangis, plus de la moitié est aujourd’hui locataire d’un logement.

Une participante : En quoi vos méthodes renouvellent-elles l’urbanisme ?

Nous mettons en avant le triptyque décrire (observation), écrire (conception) et inscrire (réalisation). Ce dernier terme ne se limite pas aux objets bâtis stricto sensu mais inclut toute action qui porte un message dans le débat public et tente de changer les imaginaires. C’était par exemple la vocation de notre guide “Faire l’hospitalité. Le Guide pratique que n’a pas écrit Christian Estrosi”. Nous avons envoyé ce fascicule de 12 pages à 3 500 maires, miroir inversé du guide publié par le maire de Nice pour démultiplier les opérations de démolition. De même, nous avions rédigé un faux magazine municipal “Réinventer Calais” en 2016, largement distribué, pour poser la question : comment accueillir les nombreuses jungles à venir autrement que par la violence ? Pour résumer notre méthode et notre philosophie de l’urbanisme, nous voulons renverser le triptyque habituel : aménager, construire, habiter. C’est en partant de l’habitat que nous pouvons construire et que des actions d’aménagement peuvent et doivent être pensées. Enfin, il ne faut jamais oublier qu’ “une ville est un bidonville qui a réussi, comme l’a si bien formulé Patrick Braouezec en 2015.

Un participant : Comment parvenez-vous à financer vos interventions ?

Nous avons construit notre modèle économique en nous appuyant sur la recherche et sur l’art contemporain. La contractualisation avec le Puca a, par exemple, fourni le cadre et le budget de notre première expérimentation à Ris-Orangis. Et ce sans prévenir la préfecture à l’époque, qui ne nous aurait jamais laissé faire. Nous nous efforçons d’écarter le fétichisme du droit et des normes, adossées à des impératifs d’industrialisation, pour trouver des solutions adaptées aux situations les plus précaires. Nous regardons notre pratique de la ville et sa conception comme un artisanat, voire comme un art. Nous tâchons d’accueillir et d’accompagner ce qui s’invente et se construit, par une sorte d’architecture en marchant. Si norme il doit y avoir, c’est simplement pour permettre de créer les conditions de possibilité du projet qui est une aventure de vie. Pour en revenir à l’hospitalité, nous menons actuellement un projet singulier : la construction d’un navire de sauvetage comme extension du musée du Centre-Pompidou Metz. Ce projet phare s’intègre dans la démarche en cours portée par le PEROU auprès de l’Unesco, pour inscrire les gestes d’amitié et de sauvetage au patrimoine mondial culturel immatériel de l’humanité. Le catamaran “Avenir” devrait être inauguré en 2024 et sera confié aux organisations sauvant des vies en mer Méditerranée. Il constituera à la fois un haut lieu du patrimoine culturel et le symbole d’une hospitalité en acte.■

Propos recueillis par Florent Chappel

Le Conseil français des urbanistes met à l’honneur l’hospitalité

Que faut-il entendre par la notion d’hospitalité appliquée à la ville ? Comment les urbanistes peuvent apporter leur concours au projet d’une cité hospitalière ? Convivialité, accueil, désirabilité, autant de dimensions de l’hospitalité qui ont été abordées et débattues durant les trois jours de sa dernière Université d’été

Le Conseil français des urbanistes (CFDU) a fait un choix audacieux en mettant l’hospitalité au cœur de son rituel de pré-rentrée qui s’est déroulé à Grenoble à la fin du mois d’août. Alors que la pandémie de Covid-19 sévit encore, au beau milieu d’une guerre russo-ukrainienne qui génère un flux de réfugiés partout en Europe, quand la France annonce un hiver très rude et une inflation record, le geste d’accueillir et de secourir n’a rien d’une évidence. Michel Agier, anthropologue et auteur de l’essai “L’étranger qui vient” (éditions du Seuil, 2018), estimait avant ce contexte de crises majeures que nous traversions déjà une crise de l’hospitalité (cf. Quand l’accueil est en crise, Diagonal n° 214). Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’en sera-t-il demain avec les bouleversements liés au changement climatique ?

Durant sa 26e Université d’été, le CFDU s’est attaché à mettre à jour différentes facettes de l’hospitalité d’un territoire et les outils et moyens dont dispose l’urbaniste pour y contribuer.

Margot Belair, adjointe à l’urbanisme de Grenoble, ville hôte de l’évènement, a insisté sur l’importance – d’ailleurs historique – de l’accueil. “L’hospitalité est pour nous une notion transversale placée au cœur de nos politiques publiques. Elle s’exprime pleinement, en solidarité avec les migrants, à travers la cofondation en 2018 de l’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita). Elle inclut aussi le bien-être des habitants, car la ville doit rester agréable à vivre pour les grenoblois”.

Un point de vue que partage Magali Talandier, Professeure à l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine, pour qui l’hospitalité d’une ville suppose à la fois un rapport à l’en-dehors (attirer de nouveaux venus) et à l’en-dedans (retenir ses habitants). “Devenu un thème transversal au programme Popsu, la métropole hospitalière est une nouvelle exigence renforcée par l’impératif de prendre soin. Depuis le rayonnement international jusqu’à l’accueil des migrants, la notion réinterroge les fonctions premières d’une métropole. L’hospitalité impose de penser l’attractivité autrement”.

Appliquée aux touristes comme aux usagers et habitants, l’attractivité peut guider l’aménagement spatial. L’Institut Paris-Région a ainsi présenté divers moyens pour renforcer l’attractivité d’un lieu – marche sensible, objets de convivialité, méthodes pour “réenchanter un site”… Le Cerema a par ailleurs expertisé les moyens dont dispose la puissance publique pour améliorer l’attractivité des métropoles et territoires au bénéfice des entreprises productives.

Mais réduire l’hospitalité à l’attractivité est une erreur, prévient François Nowakowski, enseignant-chercheur à l’école d’architecture de Strasbourg. “L’attractivité suppose souvent une invisibilisation de certains publics : les vieux, les immigrés, les personnes en situation de handicap ou encore les migrants figurent rarement dans les dépliants ou visuels de marketing territorial”. Et une participante urbaniste roubaisienne de citer en exemple l’adaptation du mobilier urbain pour gêner l’installation des sans-abri, ou encore la quasi impossibilité d’installer un simple banc dans l’espace public, trésor trop convoité par tous les “indésirables” de la ville. Fanny Parise, socio-anthropologue et journaliste, pointe également les risques du marketing territorial. “Il produit souvent des images stéréotypées d’un espace pour attirer des populations désirables. Il confond hospitalité et attractivité du territoire et en donne une représentation falsifiée éloignée des réalités vécues. 

Éric Piolle, maire écologiste de Grenoble, enfonce le clou : “l’attractivité, ce n’est pas porteur. Nous ne voulons ni la croissance ni la décroissance, mais seulement assujettir l’économie à notre boussole : le bien commun, les sécurités et le sens.

Au-delà de l’attractivité, l’hospitalité suppose d’assurer la qualité de vie de tous les citoyens. En particulier des plus précaires, comme les habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Bénédicte Madelin, militante du réseau “Pas sans nous”, en appelle ainsi à restaurer l’hospitalité des quartiers (cf. “le Point Sur” consacré aux actions originales réalisées ou prévues sur le quartier de la Villeneuve à Grenoble). “Si les urbanistes veulent apporter une meilleure condition de vie aux habitants des quartiers, il faut d’abord les écouter, affirme-t-elle. Le logement –  le loyer, la salubrité, la mobilité, les centralités autour –  constitue la première de leur priorité.

Sur ce point, l’association Habitat et Humanisme apporte des solutions originales. Elle mène ainsi des opérations de construction de logements très sociaux au cœur de quartiers dynamiques des centres urbains. Pour son président Bernard Devert, “l’acte de construire est un acte de soin”. Ce qui passe par une attention aux espaces publics, à la qualité et la présence des services publics, et plus largement par le tissage de liens et de relations d’entraide – entre générations, entre voisins, entre les accompagnants bénévoles de l’association et les nouveaux habitants.

Autre approche pratique de l’hospitalité, celle des espaces de vie. Pour Nicolas Tixier, enseignant-chercheur à l’école d’architecture de Grenoble et directeur du Cresson (Centre de recherche sur l’espace sonore),l’ambiance conditionne l’hospitalité urbaine, elle lui confère son caractère concret et incarné. La question de l’hospitalité d’un lieu revient à se demander comment il participe d’une ambiance qui affecte positivement les corps”. Posant que l’ambiance est toujours enchâssée dans un cadre matériel et social construit, un espace-temps éprouvé en termes sensibles, il développe une approche socio-esthétique de l’hospitalité. À rebours de l’aseptisation de la ville, du mouvement de spectacularisation urbaine, de numérisation des usages et de la climatisation qui fabrique une “architecture capsulaire”, l’approche par l’ambiance invite selon lui à sortir des normes et oblige à recourir à l’interdisciplinarité.

L’esthétique d’un lieu, ses aménités et services, sont donc autant de dimensions de l’hospitalité. Jean-Marc Zulesi, président de la commission aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, abonde dans ce sens. “L’hospitalité d’une ville passe par une mobilité apaisée, la présence de nature en ville. Elle passe également par une ambitieuse rénovation énergétique du bâtiment, croisant ici l’enjeu de sobriété. Il en a d’ailleurs profité pour exhorter les urbanistes à porter plus haut leurs valeurs et expertises, auprès des parlementaires, pour faire contrepoids à tous les lobbys dont la qualité architecturale, urbaine, environnementale tout comme l’hospitalité, ne sont pas les premières priorités…

Au-delà de l’ambiance, Nicolas Tixier souligne aussi l’importance de conserver des espaces de réserve et d’évolution dans tout projet urbain. “Pour demeurer hospitalière au projet, la conception urbaine doit pouvoir accueillir l’imprévu temporel ou spatial. Il faut pouvoir penser l’incomplétude du projet.

Pour en venir enfin à l’hospitalité tournée vers l’en-dehors des villes, en particulier l’accueil des “étrangers” au sens large, l’université d’été a permis de présenter plusieurs expériences marquantes. Elles montrent que l’accueil de migrants par les communes se fait souvent dans une forme d’opposition politique. L’ancien maire de Grande-Synthe et député européen, Damien Carême, l’a rappelé lors d’une table ronde édifiante (cf. “paroles d’acteurs”). Sa ville s’est rendue célèbre par son engagement en faveur des migrants et la construction d’un camp de réfugiés sur son sol. De même, certains concepteurs, comme ceux du PEROU (cf. l’interview de Sébastien Thiéry) expérimentent des solutions in situ parfois aux limites de la légalité.

Ces initiatives font écho à l’essai de Michel Agier et replacent l’urbaniste au cœur du sujet. L’auteur note en effet que “les concepts de ville accueillante, maison de migrants, quartier d’accueil ont ainsi émergé dans les mondes de l’architecture et de l’urbanisme, parallèlement à une réflexion sur l’usage des squats et des friches industrielles, forgeant petit à petit un ensemble d’options techniques et soulevant autant de débats politiques” (ibid., p. 70). Au-delà des initiatives citoyennes et associatives qui portent assistance aux migrants, parfois sans l’aval de la loi, les collectivités et à leurs côtés les professionnels de l’urbain, jouent et joueront un rôle essentiel.

L’ensemble du colloque, par les nombreux concepts et la variété de situations concrètes abordés, invite à refonder l’hospitalité. Il s’agit d’en faire un nouveau point cardinal de la fabrique urbaine comme de l’aménagement du territoire. Laissons le mot de la fin à Bénédicte Madelin s’adressant aux urbanistes : “vous avez du boulot !.

■Florent Chappel

Bretagne : Pour aller au-delà du conflit

Marion Florez a préparé une thèse de géographie cofinancée par la Dreal Bretagne et le laboratoire ESO UMR de l’Université Rennes II sur les conflits d’usage dans quatre territoires littoraux. Ceux-ci sont en augmentation et ce dans tous les domaines. Elle nous en donne ici les principales caractéristiques et présente la démarche participative expérimentée en Baie de Saint-Brieuc pour dépasser les blocages et conduire une action publique plus pertinente.

L’article de Marion Florez en intégralité ici.

Le SCoT de Gascogne, vers un changement de modèle

Ce document de planification, qui touche 397 communes du Gers, entend maîtriser le développement du territoire en contenant l’éparpillement de l’urbanisation.

Le pays de D’Artagnan et des mousquetaires offre aux nombreux visiteurs en quête de calme et de verdure une variété de paysages enchanteurs et un riche patrimoine culturel et vernaculaire. Mais ses atouts ne s’arrêtent pas là. Dynamique, le département du Gers détient un bon ratio/habitat emploi et dispose également d’une assise agricole importante et diversifiée. A côté des vignes et céréales, il est aussi le premier producteur en tournesol et soja en France et le 2e département pour les canards …

Pourtant ce territoire de Gascogne n’est pas seulement rural, il est aussi périurbain dans sa partie Est, autour de Auch, le long des RN 124 et 21, où en 40 ans la surface urbanisée a quasiment doublé. Située à quelques encablures de la métropole Toulousaine, la petite préfecture de 22 000 habitants attire en effet depuis de nombreuses années des citadins désireux de s’installer dans ses alentours. L’attractivité résidentielle concerne d’ailleurs l’ensemble du département qui enregistrait 1560 habitants supplémentaires entre 2012 et 2017. Un phénomène que la crise sanitaire du Covid a sans doute renforcé, d’autant que le télétravail a ouvert des perspectives impensables jusqu’alors pour certains ménages. Aussi la problématique de l’étalement urbain est-elle particulièrement présente, que ce soit sous la forme d’un mitage de l’espace rural ou de lotissements.

Du reste, le porter à connaissance du SCoT de Gascogne réalisé par l’Etat en 2016 montre que si l’évolution de la tâche urbaine demeure modérée sur l’ensemble du territoire concerné (+ 20% entre 1990 et 2010), l’examen de Plu récents fait souvent apparaître une consommation d’espace par logement très élevée dans les communes rurales. L’Observatoire de l’artificialisation, dont les données sont plus récentes, indique que près de 2600 ha d’espaces naturels, agricoles et forestiers ont été « consommés » sur les 10 dernières années.

La fragmentation des espaces naturels et agricoles devient un problème que les acteurs locaux cherchent à limiter à travers le SCoT de Gascogne en cours d’élaboration, en réhabilitant et réinvestissant les centres-bourgs. Jusqu’alors, « la déprise des noyaux villageois et des petites villes s’expliquait par des coûts de restauration trop élevés, explique Olivier Salesses, en charge du SCoT de Gascogne à l’Agence d’urbanisme et d’aménagement Toulouse aire métropolitaine (AUAT). L’objectif partagé de revitaliser les centres par la résorption de la vacance -qui touche autant les commerces que les logements- marque une volonté forte de changer de modèle. Les élus ont aussi conscience que si les centres ne proposent pas de services, les populations ne viendront pas. » Les collectivités locales visent ainsi à faciliter l’émergence de projets adaptés aux besoins contemporains des ménages tout en préservant le caractère patrimonial des lieux. D’ores et déjà, de nombreuses communes s’engagent dans les programmes tels que Petites villes de demain ou sur la revitalisation des centres-bourgs pour apporter des réponses globales, articulées et cohérentes.

Pour autant, la cohérence des actions passe aussi par l’idée de complémentarité, y compris à l’échelle territoriale. L’AUAT invite les élus à développer des réflexions intercommunales que le SCoT aide à structurer. « Avec les réflexions issues de la Convention citoyenne et la loi Climat et résilience, les élus ont anticipé la limitation de la consommation d’espace et ils sont en phase de réflexion pour basculer en PLUI », explique Olivier Salesses.

Dans la perspective d’une évolution notable du modèle d’urbanisation et d’une territorialisation des besoins, les données issues de l’Observatoire de l’artificialisation des sols sont essentielles. L’AUAT est engagée depuis plusieurs années dans la construction de l’OCS GE. Elle va disposer pour le Gers, territoire pilote, de trois millésimes, 2013-2016-2019, fiables et homogènes, qui aideront à réaliser des portraits de territoire, et surtout à analyser finement la consommation d’espace. Pour Olivier Salesses, « il faut accepter qu’il y ait quelques écueils dans un premier temps. Mais ce sera l’outil le plus fiable et qui, à partir d’un même protocole de recueil de données, favorisera les comparaisons ». Un outil qui semble indispensable pour agir en toute connaissance de cause.

■ Virginie Bathellier

L’étalement urbain, entre demande sociale et impératifs écologiques

Concilier les objectifs du Zan et la qualité de vie dans des espaces densifiés constitue un véritable enjeu, qui se heurte encore aux aspirations des ménages.

Les sondages se succèdent et ne se démentent pas. Le rêve d’une maison individuelle, entourée d’un jardin et proche d’espaces de nature, est toujours plébiscité par 80 % de la population française, loin devant l’appartement dans un immeuble collectif, même agrémenté d’un balcon ou d’espaces paysagers (1). D’après une enquête Ipsos, ce désir est si puissant que le mode de déplacement intervient peu dans les souhaits de localisation et d’achat de ménages pourtant sensibles aux questions environnementales (2).

Ceci étant, le logement individuel, considéré comme un idéal indépassable, a son revers : l’étalement urbain. Certes, la réhabilitation du bâti existant tend à se développer depuis peu, mais ce mode d’urbanisation continue de s’imposer avec force dans le paysage rural ou périurbain, en dépit d’une volonté de le contrôler depuis la loi SRU en 2000.

Les chefs d’accusation à son encontre ne manquent pas. Comme le mettait en scène la FNAU en décembre 2021 lors de ses rencontres, l’étalement urbain serait ainsi responsable d’une désocialisation des citoyens, tournés vers l’entre-soi. Il serait un vecteur d’accroissement des inégalités. Territoire de l’automobile, il constituerait un frein puissant à la transition énergétique et écologique. Enfin, il abîmerait les paysages, un reproche déjà formulé par Télérama en 2010, qui s’interrogeait sur “la France moche”.

Bien sûr, les espaces périurbains ou ruraux produits par l’étalement urbain demeurent divers. Ils s’inscrivent en effet dans de multiples configurations, à commencer par les formes d’habitat, qui peuvent relever du diffus, hors de l’enveloppe urbaine existante, ou de zones aménagées destinées à de l’individuel groupé, à des lotissements … Contrairement aux idées reçues, une socialisation de proximité peut s’y développer, et la maison, quand elle ne conduit pas à un surendettement, donne aussi plus de liberté. Socialement, ces espaces ne sont d’ailleurs pas homogènes, avec l’archétype des lotissements à l’américaine qui bénéficient de vastes parcelles, conçus pour les classes moyennes aisées, ou le lotissement destiné aux populations plus modestes, aux qualités constructives laissant parfois à désirer.

Car l’étalement urbain n’offre pas à tous les mêmes atouts. Même si la fiscalité locale y est souvent plus faible qu’en ville dense, le reste à vivre dépend aussi de la facture énergétique qui représenterait a minima selon l’Insee 9 % du budget moyen des ménages résidant dans une maison de plus de 5 ans. Mais surtout, la dépendance automobile vient amplifier les dépenses. Une réalité qui n’a pas été anticipée, or la hausse du prix de l’énergie va constituer une variable incontournable à l’avenir.

Comme on le voit, il est difficile de parler d’un seul espace, d’autant qu’ils peuvent se greffer à des petites villes, se développer aux marges des métropoles, participer de l’urbanisation des communes littorales, relever d’une dynamique touristique. L’Observatoire national de l’artificialisation en brosse un portrait précis (3). Sur une période de 10 ans, l’habitat est bien le principal contributeur de la consommation d’espace (68%), mais les activités sont également représentées (26 %).  À l’échelle locale, “on constate que la consommation d’espaces est un phénomène polarisé et guidé par deux forces majeures, à savoir la métropolisation et l’attraction du littoral.” Autre constat fait par les auteurs du rapport, “la consommation d’espaces est à la fois la résultante de grands projets consommateurs et de l’accumulation de multiples projets peu consommateurs individuellement, mais dont l’impact cumulé est significatif “.

Du reste, l’impact environnemental de l’étalement urbain est largement connu et partagé. En faisant disparaître les terres agricoles, naturelles et forestières (28 000 ha/an selon le Cerema), il accélère la perte de biodiversité, imperméabilise les sols, favorise les inondations, participe au réchauffement climatique. C’est bien pour limiter, voire arrêter ce phénomène que le Plan biodiversité de 2018 a instauré le principe du zéro artificialisation nette (ZAN), renforcé par la loi Climat et résilience.

Néanmoins, avec une demande sociale qui ne faiblit pas, la tâche est complexe. D’autant que, “paradoxalement, la maison individuelle bénéficie toujours d’avantages procéduraux en matière d’urbanisme opérationnel que ne connait pas l’habitat collectif”, regrettaient Jean-Philippe Antoni, professeur à l’université de Bourgogne, et Jean Houssemand, urbaniste, dans un article récent (4). Des pays européens peuvent cependant servir d’exemple. Les Pays-Bas et l’Allemagne concilient les objectifs du Zan et la qualité de vie, comme la Suisse qui limite aussi l’urbanisation de la quasi-totalité des terres arables (5).

Aussi les politiques de planification constituent-elles un levier essentiel pour agir, en particulier dans “les territoires qui artificialisent moins dans l’absolu, mais pour lesquels l’étalement urbain est important, car de grandes surfaces sont artificialisées pour accueillir un faible nombre de ménages et d’emplois”, rappellent les auteurs de l’Observatoire. Et de recommander : “Sur ces territoires, la question de l’effet de l’urbanisation, et la bonne définition des besoins, sont fondamentales.” 

Il s’agit là d’un défi à relever. L’enquête réalisée sur le territoire rural du Diois dans le n°214 de Diagonal témoigne de la difficulté à maîtriser l’étalement urbain dans un PLUi qui doit composer avec des enjeux encore contradictoires (6). Les outils de connaissance qui se mettent en place aideront sans doute à définir des projets de territoire plus cohérents et vertueux.

■ Virginie Bathellier

  1. Géomètre, Propositions pour le pavillonnaire, janvier 2022
  2. Baromètre Qualitel, Logement : peut-on joindre l’utile à l’agréable ? Édition 2021
  3. https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/
  4. Urbanisme n° 423, Le paradoxe du permis d’aménager, 2022
  5. Géomètre, Objectif : la sobriété foncière, février 2022
  6. Un modèle de développement à définir, Diagonal N°214, mars 2022

Pour comprendre les performances inégales des communes “SRU”

Vingt ans après l’adoption de l’article 55 de la loi SRU, plusieurs institutions (l’USH, le Puca, le Défenseur des droits, la Caisse des Dépôts) ont souhaité comprendre les facteurs qui influencent l’atteinte ou non des objectifs voulus par le législateur. Thomas Kirszbaum, sociologue, chercheur associé à l’Institut des sciences sociales du politique, et auteur de cette recherche, analyse ce qui se joue dans les communes déficitaires.

Lire l’article de Thomas Kirszbaum

La controverse au service de la participation citoyenne

La démarche “Habiter la France de demain” s’est appuyée sur quatre controverses pour structurer sa participation citoyenne. Source d’inspiration potentielle, cette méthode innovante s’adapte bien à la fabrique de l’action publique et la recherche de l’intérêt général.

“Se loger : faut-il densifier ou faire de l’étalement urbain ? En noir et blanc, cette approche dichotomique illustre l’une des quatre controverses qui ont nourri la démarche “Habiter la France de demain”. Quatre questions ont ainsi été choisies pour introduire et structurer la consultation citoyenne lancée à cette occasion. Apportant des éclairages contrastés au débat, ce cadre a assis les termes de la délibération collective.

Ce qui est intéressant dans la délibération, c’est de confronter les points de vue, souligne Céline Pelletier, directrice de projet “démarches participatives à la DITP. Ici, le citoyen a été sollicité pour éclairer la fabrique de l’action publique en matière de logement. Dans quels lieux de vie désirons-nous habiter dans les prochaines décennies ? Terreau propice de participation citoyenne, la question parle à chacun d’entre nous. Néanmoins, structurer ce type de réflexion collective engage un travail préparatoire bien spécifique. “Il ne s’agit pas d’un processus pour améliorer la satisfaction de l’usager. Le volet individuel n’est pas concerné, analyse Céline Pelletier. Ici, on replace le citoyen dans une posture de recherche de l’intérêt général. Ce qui change fondamentalement la méthode.

La démarche n’est pas partie de zéro. En diverses occasions, les citoyens s’étaient déjà exprimés autour du sujet. Pour Céline Pelletier, “Reconnaître la valeur de toutes ces contributions existantes est essentiel. Pas moins de dix consultations spécifiques étaient disponibles, par exemple Bouygues Immobilier avec la question posée sur “mon quartier rêvé”, des sondages, les consultations lancées en pleine crise sanitaire sur le “monde d’après”, le grand débat national avec ses cahiers de doléances, ses réunions d’initiatives locales. “Nous avons analysé de l’ordre de 100 000 verbatim, précise Antoine Brachet, directeur associé de Bluenove. Le prestataire Bluenove a été choisi notamment pour sa capacité à analyser une masse de données importante. Ainsi, les évolutions dans l’avis et les représentations des Français avec la crise sanitaire ont été identifiées. Issues du grand débat, les valeurs partagées de citoyenneté, de proximité et de solidarité se retrouvent. Mais, trois autres valeurs montantes -la déconnexion, le ralentissement et le lien social- s’y ajoutent. “Bluenove nous a proposé un arbre de décision, se souvient Anaïs Bailly (1) en charge du suivi de cette participation du public au ministère de la Transition écologique. Ce qui a facilité le choix des quatre controverses structurantes.

Car, choisir où habiter demain ne se réduit pas à la seule question de logement. Dans la pratique, le rapport au quartier, le mode de vie au quotidien intervient tout autant. Se déplace-t-on facilement à pied, à vélo, en transport en commun ou en voiture ? Quels accès aux lieux d’activité et quelles manières de travailler  – en présentiel, en télétravail…-? Quels modes de consommation préférentiels et quel type de commerces aisément accessibles ? Au final, choisir où habiter nous parle de ces quatre facettes – et donc de quatre controverses -. Quatre facettes qui dialoguent les unes avec les autres au sein du tissu urbain et qui, à ce titre, méritent d’être examinées de concert. Puisqu’il s’agit de s’immerger dans la peau de l’habitant et de futurs vécus possibles.

En s’appuyant sur ce qui fait dissensus, plutôt que sur ce qui réunit tout le monde, la consultation peut effectivement enrichir l’existant, analyse Céline Pelletier. Autrement dit, partir des nœuds pour mieux sentir ce qui se joue. Dans le cadre de la démarche, pas moins de 70 citoyens se sont impliqués dans les différents ateliers. “Lors des ateliers délibératifs, on est passé d’une opinion individuelle – souvent spontanée – à des avis, des recommandations élaborés collectivement et surtout argumentés, explique Céline Pelletier. Au départ, l’opinion du citoyen peut rester assez peu informée. Et, même si elle l’est – par exemple pour des citoyens engagés -, elle reste de toute façon située. “Suite à l’atelier d’embarquement mi-juillet et pour préparer les ateliers de septembre, nous avons mis à la disposition des citoyens des carnets de vacances et des carnets de controverses, rappelle Anaïs Bailly. Dans ces carnets (2), des avis d’experts viennent éclairer chaque versant de controverses : densification versus étalement urbain, voiture versus mobilités alternatives, digitalisation et télétravail versus déconnexion et présentiel, e-commerce versus circuits courts et production locale. Chaque citoyen peut ainsi asseoir davantage son positionnement, relier son vécu, ses convictions à des dynamiques plus larges et donc commencer à argumenter. Mis en scène sous forme de tribunal avec un jury, des avocats, les ateliers délibératifs ont permis au groupe de se positionner collectivement par rapport à chaque controverse. Restait alors à se projeter dans l’action. Qu’est-ce que chaque citoyen était prêt à faire ou à changer pour s’engager dans cette transition ? Et qu’attendait-il des pouvoirs publics ?

Malgré les ateliers en distanciel liés à la crise sanitaire, l’ensemble des citoyens se sont investis du début jusqu’à la fin. “Plusieurs d’entre eux m’ont confié qu’ils se sont vraiment enrichis sur le sujet et que leur point de vue a évolué”, témoigne Anaïs Bailly. L’investissement a pu être vécu comme chronophage. Néanmoins, “plusieurs d’entre eux pensent garder le contact avec une partie du groupe”. Signe d’un intérêt certain pour le sujet voire peut-être même d’une envie d’aller plus loin. “Avec ce groupe de citoyens déjà mobilisés, nous prévoyons de travailler à la rédaction de propositions concrètes”, informe d’ores et déjà Magali Pinon-Leconte (3), pilote de la démarche au ministère de la transition écologique. Ce qui viendra enrichir le manifeste de la ville durable (4), autre pierre angulaire de “Habiter la France de Demain.”

■ Nathalie Garat

(1) Anaïs Bailly est cheffe de la mission projets, méthodes, outils à la Direction Générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature .

(2) Ces carnets de controverse ont été réalisés par le journal spécialisé Le Drenche.

(3) Magali Pinon-Leconte est adjointe au sous-directeur de l’aménagement durable à la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages.

4) Cf la newsletter n°8 Diagonal de juin 2021 “Un nouveau souffle pour les villes durables”

De nouveaux logements à vivre pour demain : un éventail de démarches pour les acteurs locaux

Produire un logement de qualité, apte à répondre aux enjeux de demain, ne va pas de soi. Le 14 octobre dernier, les deux ministères du Logement et de la Culture ont lancé un appel à manifestation d’intérêt dédié. Directeur général de l’Europe des projets architecturaux et urbains, Jean-Baptiste Marie nous en présente les grandes lignes.

Diagonal : L’appel à manifestation d’intérêt (Ami) “Engagés pour la qualité du logement de demain” vient d’être lancé. Que vise-t-il ?

Il constitue une des suites très concrète de la démarche “Habiter la France de demain” engagée par la ministre du Logement Emmanuelle Wargon. Placé sous le signe de l’inventivité, il invite les maîtres d’ouvrage associés à des architectes à expérimenter de nouvelles manières de fabriquer, de concevoir le logement.

Quelles évolutions dans les modes d’habiter poussent à renouveler les pratiques ?

Avec la crise de la Covid-19, les français réinterrogent profondément leur relation au logement. Ils souhaitent disposer d’espaces plus spacieux. Leur besoin de liens plus forts à la nature s’exprime. Il est aussi question de la place de la cour, des rez-de-chaussée, des terrasses, des balcons. Dans le sillage de la crise environnementale, la crise sanitaire renforce encore l’impérieuse nécessité d’adapter les villes au changement climatique, d’atténuer les pics de chaleur urbains. Par ailleurs, déjà mis en relief par le mouvement des gilets jaunes, le rapport du bâti aux centralités devient crucial.

La qualité d’usage revient donc au centre, et pour tout type de logement. Ceci intègre la maîtrise des coûts, l’accès à un logement abordable. En ce sens, notre programme s’inscrit dans la continuité des rapports sur la qualité des logements remis par Pierre-René Lemas le 19 janvier 2021 et par Laurent Girometti et François Leclercq, le 9 septembre 2021 (1). En fait, il s’agit de penser un logement qui offre une qualité architecturale, une qualité d’usage, et dans le même temps qui réponde aux enjeux de la transition écologique. Ces travaux visaient à définir de nouveaux modes de faire entre maîtres d’ouvrage et architectes, tout en prenant en compte l’insertion urbaine dans le dispositif ; c’est dans la veine de ces objectifs et des préconisations qui en résultent que le programme “Engagés pour la qualité du logement de demain” s’inscrit.

En quoi ce lancement conjoint de l’Ami par Roselyne Bachelot et Emmanuelle Wargon apporte-t-il une dimension nouvelle ?

Cette alliance du ministère de la Culture et de celui de la Transition écologique en charge du Logement est assez inédite. L’ordre national des architectes et la profession l’ont souligné. Aujourd’hui, arriver à instaurer un vrai dialogue entre qualité architecturale et transition écologique au cœur des projets devient une nécessité. Désormais, la qualité architecturale passe par l’inscription de la transition écologique dans nos lieux de vie. Et réciproquement, la transition écologique ne peut s’incarner que dans l’expression d’une architecture de qualité restant compatible avec des coûts maîtrisés.

Fort d’un large éventail de situations locales, on en appelle aux talents et à l’engagement des professionnels, des maîtres d’ouvrage, des collectivités pour expérimenter de nouveaux modes de faire sur les territoires.

Quelles sont les conditions pour remettre sa candidature ?

Portant sur des projets concrets, les candidatures sont à remettre avant le 18 février 2022. Il peut s’agir d’une équipe solidaire, constituée d’un maître d’ouvrage – public ou privé -, d’une collectivité et d’un architecte. Ou d’un maître d’ouvrage et d’une collectivité avant que l’architecte ne soit choisi (2).

Trois sujets fondateurs préside à cet Ami. Axe fort, il s’agit déjà de travailler à la qualité d’usages du logement. Plus globalement, la transformation des modes de vie et les nouveaux enjeux sociétaux en appelle à la créativité. Etre créatif en interrogeant les types d’habitation. Être créatif aussi en revisitant les processus et la chaîne de production du logement. Pierre-René Lemas l’explique très bien. La place de l’architecte notamment est questionnée depuis les phases les plus amont – dès les études d’opportunité – jusqu’aux phases de maintenance et de cycles de vie du logement.

Comment les équipes lauréates seront-elles choisies ? Et de quel accompagnement bénéficieront-elles ?

En mars prochain, un jury pluridisciplinaire sélectionnera 100 équipes lauréates. Elles porteront le sceau d’excellence “Engagés pour la qualité du logement de demain”. Valorisées lors d’évènements, d’une exposition à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, il s’agit de diffuser massivement des outils, méthodes et processus ayant fait leurs preuves. Vingt projets bénéficieront d’un accompagnement spécifique par l’intermédiaire d’un incubateur qui sera lancé en juin 2022. Ces projets pourront aussi profiter d’un soutien financier de la Caisse des Dépôts – partenaire de l’Ami – ainsi que d’un programme de recherche architecturale. Les écoles nationales supérieures d’architectures, leurs unités de recherche et les chaires partenariales du ministère de la Culture seront mobilisées.

L’engagement de la profession est inédit et les architectes s’en emparent massivement. Faisons donc place à l’inventivité pour qu’émerge ce vivier d’opérations, au service d’un logement de demain pour tous !

Propos recueillis par Nathalie Garat.

(1) Rapport de la mission sur la qualité du logement Référentiel du logement de qualité” de Laurent Girometti et de François Leclercq (Septembre 2021)

https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport%20Mission%20Logement%20210904.pdf

Rapport “sur la qualité des logements sociaux” Pierre-René Lemas (janvier 2021)
https://www.ecologie.gouv.fr/remise-du-rapport-lemas-sur-qualite-des-logements-sociaux

(2)  Pour en savoir plus sur les conditions détaillées, rendez-vous sur le site de l’Epau

https://epau.archi.fr/home/programme, et prochainement sur le site internet dédié au programme : www.engages-pour-la-qualite-du-logement-de-demain.archi.fr

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