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Anna Chavepayre, architecte : “Nous sommes des équilibristes de l’air”

La qualité du logement n’est pas qu’une question urbaine. En milieu rural, elle peut même bénéficier d’atouts que les métropoles ne peuvent pas offrir. A Navarrenx, petite commune touristique du Béarn sur le chemin de Compostelle, associée au programme national Petite Ville de Demain, un projet inédit de rénovation et transformation d’une ancienne minoterie va voir le jour. Des logements, un tiers-lieu, des espaces partagés… La maîtrise d’œuvre du projet est assurée par Anna Chavepayre, membre du collectif Encore. Adepte d’une “nouvelle écologie de la construction”, proche de l’école de Lacaton & Vassal, elle nous donne sa vision de la qualité architecturale.

Vue sud-ouest du site de la minoterie de Navarrenx ©Collectif Encore

Diagonal : Avant d’évoquer un exemple concret, quels sont pour vous les principes fondamentaux qui font la qualité d’un projet d’architecture ?

Anna Chavepayre : Je ne crois pas à une pensée de l’architecture qui s’appliquerait partout. Chaque projet est spécifique. Il faut d’abord savoir écouter le bâtiment et son environnement. L’environnement pour moi compte autant que le bâti. Dans le département du Béarn, dans lequel l’agence Encore travaille depuis 10 ans, c’est la vue sur les Pyrénées, sur le gave1 au sud ; c’est l’ombre et la fraîcheur au nord. Il faut utiliser ces éléments. Et le vent. Notre matière première dans l’architecture, c’est l’air. Le vide. Indispensable pour respirer, se parler, pour se rencontrer, pour accueillir la lumière…

Cette approche autorise-t-elle l’innovation ?

Bien sûr, mais il faut la concevoir comme une adaptation juste à la situation. Nous essayons de faire un projet adapté au lieu précis et avec les ressources que nous avons sous la main. C’est aussi un critère : notre territoire est assez pauvre. Il faut pouvoir proposer des projets compatibles avec les moyens de ses habitants. Et il faut laisser le projet s’inventer lui-même. C’est une attitude, celle que décrit Simone Weil quand elle écrit que “l’attention est la forme la plus pure et la plus rare de la générosité”2. Pour faire la générosité d’un projet, d’un bâtiment, il faut prêter, porter attention. C’est une vraie méthode de travail.

Pour en venir au projet de Navarrenx, comment s’est-il peu à peu inventé ?

Notre maître d’ouvrage, un couple constitué en SCI, souhaitait faire construire un bâtiment neuf pour un projet d’habitat participatif avec son potager, ses toilettes sèches… Beaucoup de gens de ce territoire en rêvent, mais peu ont les moyens de se lancer. Leur idée était donc de louer des logements à des prix abordables pour rendre ce rêve possible et le partager. Quand ils nous ont sollicité, nous les avons plutôt invités à réhabiliter un bâtiment qu’à construire. Et nous leur avons suggéré cette ancienne minoterie de Navarrenx, alors en vente depuis 10 ans.

Schéma axonométrique du site ©Collectif Encore

Comment avez-vous abordé ce site atypique ?

Nous avons observé attentivement ses 3 bâtiments : la minoterie à proprement parler, un grand silo et d’anciennes écuries. L’ancienne minoterie était pressentie pour accueillir les logements. Mais ses magnifiques boiseries intérieures auraient été entièrement occultées par les portes coupe-feu, le plâtre et autres traitements que des logements auraient imposés. Par ailleurs, ses planchers sont conçus pour porter une charge de 500 kg/m², bien plus que nécessaire pour des logements. L’idée nous est donc venue d’en faire autre chose, à savoir la maison du projet. Un espace de rencontre, de coworking, en laissant les grandes machines industrielles sur place pour raconter l’histoire du bâtiment. Nous avons donc reporté le logement dans les deux autres bâtiments.

Il est donc possible de construire des logements dans un ancien silo ?

Tout à fait. Le bâtiment présentait de curieuses trames, régulières, de 5 m par 5 m. Des dimensions idéales pour un salon-cuisine… Nous sommes d’abord allés interroger un maçon pour savoir s’il pouvait couper le bâtiment sur toute sa hauteur afin de réaliser des ouvertures. Le dernier plancher étant à 12 m, ce n’était pas évident… Puis nous avons pris l’avis d’un ingénieur pour s’assurer que notre projet était techniquement réalisable. Enfin, nous avons fait établir des devis pour valider sa faisabilité. Une fois terminée cette phase de pré-diagnostic et de pré-projet, nous avons véritablement lancé le travail. Nous avons déposé une demande de permis de construire au mois d’août, avec l’avant-projet définitif, et nous attendons sa validation définitive avec épuisement des recours possibles. Mais l’ABF [architecte des bâtiments de France] est déjà à nos côtés et nous sommes confiants.

Façade sud du projet de rénovation du bâtiment silo ©Collectif Encore

Quel est le programme définitif du projet ?

La minoterie accueillera un petit café associatif, un espace de coworking qui pourrait compter jusqu’à 50 postes et des toilettes publiques. L’ancien silo abritera 13 logements (3 T1, 10 T2, 1 T4) mais également un hall partagé et d’autres espaces communs. Quant au bâtiment des écuries, il offrira 4 logements dont 2 duplex. Au total, 17 nouveaux logements dont 9 logements sociaux et 8 logements abordables, vont permettre de ré-habiter l’ancien site de la minoterie.

Plan masse du rez-de-chaussée ©Collectif Encore

Quels éléments de qualité du logement avez-vous pu promouvoir dans ce projet ?

Nous avons fait des ouvertures aussi grandes que possible, pour la vue et la lumière, côté ombre et côté soleil. Les logements sont traversants pour assurer une ventilation naturelle. J’en profite pour signaler qu’en Suède, c’est interdit de faire autrement : tous les logements doivent être traversants ! Nous avons pu éviter l’installation de VMC et leurs nuisances sonores et privilégier le son de l’eau et des oiseaux… Autre qualité, les bâtiments ont une inertie naturelle que nous avons préservé : ils vont garder la fraîcheur. C’est essentiel dans un département où il fait très chaud l’été : contre le froid, on peut mettre un pull, mais pour se prémunir de la chaleur, on ne peut pas enlever sa peau… Enfin, nous avons beaucoup travaillé sur la générosité et les différences de niveaux d’intimité des espaces : très privé, un peu privé, jusqu’à tout à fait public. On laisse ainsi le choix aux locataires de se rencontrer ou pas.

Projection du projet sur une photo du site ©Collectif Encore

Navarrenx est une petite commune touristique mais rurale. Le contexte de la ruralité est-il favorable ou pénalisant pour la qualité du logement ?

Les espaces ruraux disposent de qualités inouïes qui n’existent pas en ville. D’abord avec ses immenses bâtiments à réhabiliter qui constituent un trésor. Comme les budgets et les coûts sont bien moindres qu’en métropole, on n’a pas obligation de rentabiliser chaque m². On peut être généreux. Ensuite, on dispose de temps pour les projets. Le foncier n’y est pas cher et on peut donc prendre le temps de chercher, de se tromper, d’errer… c’est le bon endroit pour expérimenter. Enfin, la ruralité, c’est la relation à la terre. Tout ce que tu manges pousse devant ta porte ! Dans la culture basque, qui rejoint en cela la culture suédoise, la maison appartient à la terre et la famille à la maison. C’est donc souvent la maison qui donne son nom aux familles. ■

Propos recueillis par Florent Chappel

  1. Le gave est un mot issu du gascon et un terme générique pour désigner les cours d’eau dans le sud-ouest de la France, en particulier dans le Béarn []
  2. Citation de Simone Weil dans le livre Correspondance (Le Bruit du temps), Ed. L’Age d’Homme, 1982. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Revue d'urbanisme Diagonal (17 octobre 2023). Anna Chavepayre, architecte : “Nous sommes des équilibristes de l’air”. Revue Diagonal. Consulté le 21 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/nlth


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