Avant d’être l’un des lieux les plus médiatiques des Jeux Olympiques et Paralympiques, le Village des athlètes des JO de Paris 2024 est un immense projet d’aménagement. À cheval sur 3 communes franciliennes, il a fait l’objet d’une organisation de chantier exemplaire, notamment par la place dédiée à la logistique fluviale. Vincent Lucas, aujourd’hui consultant au ministère de la Transition écologique, témoigne de son expérience au sein de la Solideo alors qu’il était directeur de la planification et de la coordination des chantiers.
Diagonal : Le Village des athlètes sera livré fin décembre. Vous avez été aux premières loges de son chantier jusqu’en mars 2022. Pouvez-vous nous en rappeler les enjeux ?
Vincent Lucas : Le Village des athlètes est l’un des 64 ouvrages olympiques sous maîtrise d’ouvrage de la Solideo [Société de livraison des ouvrages olympiques]. Avec 51 hectares, ce n’est pas le plus gros chantier d’aménagement des JO, mais c’est son projet phare. Le “vaisseau amiral”, comme on l’appelait à la Solideo. C’est aussi un vrai projet d’aménagement qui rouvre le quartier sur la Seine. L’ensemble des perspectives dessinées concrétisent ce parti d’aménagement, en particulier le mail Finot. Avec Henri Specht, directeur du projet de Village Olympique et Paralympique, nous en avons fait un mantra de la logistique : “réconcilier la ville avec son fleuve”.
Et vous avez-même atteint le taux francilien record de 80 % de recours à la logistique fluviale. Comment y êtes-vous parvenu ?
Nous nous sommes appuyés sur un partenariat avec HAROPA PORT et VNF. HAROPA disposait de deux petits ports à moins d’un kilomètre à l’amont et à l’aval de notre chantier. Quant à VNF, il avait à préparer la réouverture du bras secondaire de la Seine pour les JO, puisque le bras principal sera réservé à la compétition durant les Jeux. Nous avons donc signé avec VNF et HAROPA une convention d’engagement réciproque pour favoriser le fluvial. Avec succès, puisque nous avons évacué près de 500 000 tonnes de déblais par voie fluviale. La Seine permet tous les débouchés, depuis le stockage de gravats pour une réutilisation en tranchées jusqu’à la mise en décharge de déchets ultimes… Nous savions aussi qu’en termes d’acceptabilité du chantier, le fleuve avait un rôle à jouer. Pour les populations, cela évite les trains de camions qui par ailleurs viennent de loin et font de longues distances pour décharger ensuite. C’est aussi bien meilleur pour le bilan carbone du chantier !
Avez-vous pu utiliser le mode fluvial sur toute la durée du chantier ?
Tout à fait. Devant le succès de la phase de terrassement, nous avions envie, mes collègues d’HARAPA, de VNF et moi, de poursuivre la logique pour approvisionner le chantier en second œuvre. Lorsque Point P de Saint-Gobain s’est dit intéressé pour développer la logistique, nous avons saisi l’occasion. Après un an de travail entre HAROPA, la Solideo avec le groupe Saint-Gobain, en février 2022, une agence Point-P ouvrait ses portes sur le Port de Saint-Denis-l’Étoile que la Solideo avait réservé pour les JOP. Il faut comprendre que le coût du foncier est souvent rédhibitoire pour ce genre d’initiative. Le loyer étant raisonnable, leur modèle économique était tenable. Et le bilan carbone de cette phase du chantier, qui est aussi un objectif des promoteurs et des constructeurs, a été considérablement amélioré.
Le bilan carbone est d’ailleurs plus largement un objectif de l’ensemble des JOP 2024…
En effet, nous devions viser l’objectif ambitieux de baisser de 50 % nos émissions par rapport aux JOP de Londres. Les équipes d’Antoine Du Souich, directeur de la stratégie et de l’innovation à la Solideo, assurait le suivi du bilan carbone de tous les chantiers des JOP.
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Pour la partie du Village des Athlètes, la mise en place de la logistique fluviale et d’une régulation fine des circulations sur le chantier a contribué à hauteur d’environ 2 % de cet objectif.
La logistique fluviale n’évacue pas la question routière… Comment avez-vous organisé le chantier dans ce contexte très contraint ?
Tout autour du chantier du Village des Athlètes, sur une superficie de 12 km², 50 autres chantiers d’ampleur étaient en cours. Il fallait se coordonner pour éviter le moindre grain de sable étant donnée la forte visibilité de notre ouvrage olympique. La première chose à faire, c’était de programmer et sécuriser des itinéraires pour nos camions. Car tout est un problème d’échelle : quelques poids-lourds peuvent se fondre dans la circulation. Mais je devais organiser les choses pour un flux maximal de 400 camions ! Il fallait donc construire, avec le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et Plaine Commune, une vision sur les grands axes de livraison et anticiper d’éventuels travaux et leurs impacts sur la circulation globale. Nous avons alors consulté l’ensemble des concessionnaires de réseaux et des 700 km de voiries sur une superficie de 12 km².
Vous avez dû collecter une somme d’informations… Comment les traiter et les projeter dans le temps ?
J’ai sollicité un prestataire spécialisé dans les études de trafic. Et je lui ai demandé d’adapter ses outils à notre situation : produire un “à plat” des chantiers du trimestre à venir. À partir des données fournies par l’ensemble des acteurs du périmètre du projet, le bureau d’études a pu modéliser les interactions réciproques des travaux de chaque chantier environnant les uns sur les autres. Nous soumettions cette modélisation aux services de police, à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et à la RATP. L’arbitrage final est toujours resté aux élus et au Préfet, même si nous avons toujours trouvé des solutions consensuelles pour ne pas y avoir recours. Ce qui permettait de dire au maire : “vous pouvez signer cet arrêté entre telle date et telle date, parce que cela correspond à un moment où il a été vu et les conséquences sont maîtrisées”. Pour en arriver à ce résultat, il a fallu 6 mois de travail. J’en profite pour préciser que je me suis beaucoup inspiré d’une expérimentation réalisée dans le quartier Part-Dieu à Lyon.
| Phase Chantier | Pendant les JO | L’héritage |
| 37 grues mobilisées 94 % des matériaux de déconstruction valorisés 494 061 tonnes de terres évacués par voie fluviale, soit 24 703 camions de 20 tonnes évités. | 14 250 athlètes et accompagnants 6 000 para-athlètes | 6 000 habitants et 600 salariés accueillis 2 807 logements 1 passerelle mobilités douces 4,6 ha d’espaces verts supplémentaires |
En quoi consiste cette expérience lyonnaise ?
Il s’agit du grand projet de réaménagement de la gare Part-Dieu à Lyon, lancé en 2018. Il présentait exactement la même taille de chantier et les mêmes flux à gérer. Seule différence, il n’y avait pas un seul maître d’ouvrage aménageur mais un ensemble de chantiers différents. Mais ils ont réussi à réguler l’ensemble des arrivées de camions aux pieds des grues. Les livraisons étaient donc programmées pour les 40 grues du périmètre du projet ! Un unique opérateur gérait l’ensemble de la logistique des chantiers autour de la gare. Ils ont mis deux ans à mettre leur organisation en place. Donc, je suis allé les rencontrer pour comprendre leur système précurseur et je l’ai adapté pour les JO. À partir du point de départ de notre flux logistique, à Gennevilliers, je pouvais ainsi garantir le temps d’accès à la grue et dire “vous avez rendez-vous à 15h24 grue N°13” !
Pourquoi avoir choisi Gennevilliers ?
Parce que le port fluvial de Gennevilliers, géré par HAROPA, est situé à un quart d’heure du chantier et qu’il est dimensionné pour accueillir des milliers de poids lourds. Par ailleurs, il fallait trouver du foncier pour constituer une zone de temporisation. Mais le foncier privé est rare et mes premières recherches de location de parcelles affichaient un coût de plusieurs centaines de milliers d’euros… Le foncier public du port fluvial était donc idéal. Même s’il a fallu dépolluer la parcelle que j’ai trouvée, un délaissé avec de l’amiante, des huiles, des déchets… S’est ajoutée à cela l’aubaine de l’A86, qui dessert à la fois le port de Gennevilliers et la zone du chantier. Comme notre flux de camions était déjà sur une autoroute, l’impact sur l’acceptabilité du chantier a été optimal.
Merci pour votre témoignage. La préparation des JOP n’est décidément pas qu’une affaire sportive…
Nous sommes bien d’accord. Nicolas Ferrand, le directeur général de la Solideo, aimait à dire qu’organiser les Jeux, c’était gérer la plus grande opération logistique en temps de paix !■
Propos recueillis par Florent CHAPPEL
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Revue d'urbanisme Diagonal (16 octobre 2023). Premier record au village des athlètes : la logistique fluviale. Revue Diagonal. Consulté le 18 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/nltg