Rénovation : quand un bailleur social génère de nouvelles centralités en pied d’immeuble

La tour Réservoir de Caucriauville est le symbole de tout un quartier. Moderne quand elle fut conçue dans les années 60, fierté de ses premiers habitants, elle était devenue comme nombre de ses consœurs un lieu paupérisé et dégradé, de squat, un lieu à fuir. Le bailleur Logeo Seine entreprend aujourd’hui sa réhabilitation et va développer dans son socle un véritable tiers-lieu.

Inscrit au programme national de rénovation urbaine (PNRU) lancé en 2003 et avec l’arrivée du tramway, le quartier connaît une nouvelle dynamique. Le sort de la tour était alors entre les mains du bailleur Logeo Seine avec ce dilemme classique : démolir ou réhabiliter. Mais c’est une troisième voie qu’a choisie l’entreprise sociale de l’habitat. “Nous avons voulu sortir de cette alternative et nous avons proposé une régénération, se réjouit Jérôme Jacq, directeur de la stratégie et des offres chez Logeo Seine. Nous opérons une métamorphose de la tour pour en faire un catalyseur du renouveau du quartier”.

Pour restaurer l’attractivité de la tour, au-delà de sa réhabilitation, Logeo Seine mise sur l’innovation sociale avec le développement d’activités dans le socle du bâtiment. Un pari qui cherche à inverser la spirale bien connue des quartiers dont le défaut d’animation conduit à faire des morceaux de ville dortoir et dévitalise le commerce local. C’est ainsi que l’ensemble du rez-de-chaussée et l’entresol, sur une superficie de 1 000 m² environ, sera transformé en un vaste tiers-lieu. “Nous recherchons à optimiser le facteur de collision, c’est-à-dire la chance que deux usagers ou habitants se croisent, précise le bailleur. Avec le café en place, nous offrons un lieu où les gens peuvent s’arrêter et se rencontrer”.

Des services et activités diverses

Un tiers-lieu donc, mais aux multiples fonctions, imaginées à la suite d’un travail approfondi de concertation lancé en 2019 auprès des habitants du quartier

Le café, de type Starbucks, proposera une offre de petite restauration à base de produits locaux. Le barman quant à lui sera aussi facilitateur pour les locataires : au comptoir, ils pourront tout autant régler leur café, payer leur loyer en carte bancaire ou solliciter l’intervention d’une entreprise pour gérer une fuite d’eau dans leur logement…

Autour du café, des espaces de coworking gratuits et très équipés (box, imprimantes, connectiques, travail …) seront proposés à tous. D’autres services seront adressés à tous les usagers du lieu, comme le dépôt de colis.

Le tiers-lieu accueillera également des espaces de création pour répondre aux appétences culturelles des habitants. Des studios de podcast seront ainsi conçus en associant les podcasters connus du quartier.

Certains espaces “flex” pourront changer d’usages au fil de la journée.“On peut imaginer qu’un lieu accueille des cours de yoga le mardi matin, de chinois le mercredi, d’improvisation ou encore sa mise à disposition pour un regroupement d’assistantes maternelles du quartier sur d’autres jours, développe Jérôme Jacq. Puis de le consacrer au coworking l’après-midi et à des évènements publics ou privés le soir”.

Le modèle de ce tiers-lieu présente un autre avantage de taille d’après Logeo Seine : il assure son propre équilibre économique, sans aucune subvention. Comment ?

“Le facilitateur de tiers-lieu qui tient le café remplace le gardien et sa loge. Les espaces investis étaient sans usages et n’ajoutent donc pas de loyers. Par ailleurs, certains de nos services sont payants et nous permettons la privatisation de certains espaces. Pour donner un exemple, nous louons 150 € par mois 4 bureaux équipés avec accès à une salle de réunion. Les ressources auto-générées permettront d’employer 2 facilitateurs et 2 à 3 personnes en cuisine, dont 2 alternants d’un lycée hôtelier de proximité”.

Un modèle économique prometteur

L’existence d’un premier lieu prototype nommé “Axès”, en fonction depuis un an dans un autre quartier du Havre, rue Aimé Césaire, a de quoi donner confiance. Implanté dans le rez-de-chaussée d’un grand bâtiment neuf, il accueille chaque jour près d’une centaine d’usagers. “Près de 3 000 personnes se sont inscrites au coworking et ont utilisé au moins une fois l’un des 31 postes en place. Notre premier espace Axès génère 100 k€ de chiffre d’affaires annuel”, se réjouit Jérôme Jacq.

”Le nouvel espace Axès va diversifier et augmenter encore les services aux locataires et aux usagers. Et nul doute qu’il rencontrera les faveurs des habitants. “Si le lieu est chaleureux sans être m’as-tu-vu, il attire les gens, analyse Logeo Seine. Nous travaillons avec un architecte d’intérieur pour aller le plus loin possible dans la qualité de nos espaces. Nous assurons le confort acoustique, nous sélectionnons tous les tissus et leurs couleurs, nous faisons des showrooms pour choisir le mobilier…”.

Le tiers-lieu sera livré en 2025 en même temps que l’ensemble du bâtiment rénové. Et avec la diversification considérable des typologies d’habitats (cf. encadré), il modifiera profondément le rapport de la tour Réservoir à son quartier et à l’ensemble de la ville. Et d’autres innovations, techniques cette fois, sont prévues. Si les offres d’entreprises parviennent à répondre aux cahiers des charges de la maîtrise d’œuvre retenue, – l’agence d’architecture Babin Renaud, les nouveaux logements seront préfabriqués en usine. “La tour Réservoir est structurée par des croisillons intérieurs en béton, comme ceux d’un carton de bouteille d’évian. L’idée des architectes est de venir glisser dans ces ouvertures des éléments préfabriqués avec les baies vitrées, les murs…”.

Reste à souhaiter que l’opération ira à son terme pour inspirer de nombreuses réhabilitations et offrir un second souffle aux bâtiments des quartiers en politique de la ville. ■

Florent Chappel

---

---