Vitoria-Gasteiz, ville pionnière en matière d’action climatique et infrastructures vertes

Face aux vagues de chaleur récurrentes, les villes sont contraintes de définir de nouvelles stratégies pour protéger leurs habitants. Tel est le cas de Vitoria dont l’expérience de trois décennies en matière d’infrastructures vertes la place à la pointe des villes européennes.

Capitale administrative du pays basque espagnol, Vitoria-Gasteiz s’est développée autour d’un noyau ancien fortifié, au sommet d’une colline au milieu de terres basses drainées par la rivière Zadorra, affluente de l’Èbre. Elle s’est agrandie par une série d’anneaux successifs : des modèles d’îlots compacts jusqu’à la moitié du XX^e siècle ; des systèmes plus disparates entre les années 1950 et les années 1980 où la ville connaît un fort développement industriel qui entraîne une multiplication par quatre de sa population. Pendant cette dernière période, de vastes zones naturelles périphériques sont artificialisées afin d’être investies par l’habitat, l’agriculture ou les activités. Le coup de frein de la croissance, de même que la volonté d’agir contre ses effets nuisibles suivant les recommandations du Sommet de la Terre de Rio de 1992, vont marquer un point d’inflexion à ce mode de développement.

L’anneau vert : un modèle de renaturation pionnière

Première capitale de province espagnole à élaborer un Agenda 21, Vitoria amorce dès 1992 un projet-clé pour traiter la transition entre la zone agglomérée et son arrière-pays rural à partir de critères de durabilité. Il s’agit de la création d’un anneau vert dont l’objectif est la régénération des territoires dégradés de sa couronne naturelle, tout en les reliant entre eux pour agencer des corridors écologiques ouverts à des nouvelles pratiques citoyennes.

Ce changement de cap permet notamment d’arrêter des projets en cours très pénalisants vis-à-vis du maintien de l’équilibre écologique, tel la canalisation de la rivière Zadorra, ou de procéder à des actions novatrices de réparation environnementale dont la plus spectaculaire a lieu dans l’ancien marais de Salburua. Revenant sur la décision de le dessécher pour promouvoir de nouveaux usages agricoles, le système de drainage mis en place est enlevé afin qu’il puisse retrouver son caractère inondable. L’ancien marais a donc retrouvé son rôle de bassin d’équilibre en période de crue, mais aussi sa vocation d’accueil pour la faune et la flore. Il sera ainsi reconnu comme zone humide Ramsar, et tout comme le corridor écologique de la rivière Zadorra, il deviendra également zone Natura 2000.

De l’anneau vert aux infrastructures vertes urbaines

Cette infrastructure verte présente également l’avantage d’une gestion légère confiée aux services publics. “Le coût de gestion de l’anneau vert (à l’exception du jardin botanique), n’est pas élevé du fait de sa condition de système naturel régénéré qui par essence s’autorégule et n’a pas besoin d’un dispositif d’arrosage particulier, précise Ana Oregi Bastarrika, Présidente du Centre d’études sur l’environnement et ancienne maire adjointe en charge de l’urbanisme à Vitoria. Son entretien, ainsi que celui de l’ensemble des infrastructures vertes intramuros, est principalement assuré par les services municipaux”.

Récompensée par la Commission Européenne qui lui accorde le prix de la Capitale Verte en 2012 et plébiscitée par ses habitants suite aux actions de sensibilisation (expositions au centre d’interprétation installé dans le marais de Salburua, excursions pour connaître des espèces protégées…), Vitoria poursuit et amplifie sa politique environnementale. “Forte de cette reconnaissance, ajoute Ana Oregi Bastarrika, la ville décide d’aller plus loin, l’anneau vert constituant une charnière pour se lancer dans des projets aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la zone agglomérée. À l’intérieur, une stratégie d’infrastructure verte urbaine est approuvée en 2014 dans le but d’améliorer la biodiversité et la connectivité écologique entre les espaces verts des différents quartiers, revenir sur des critères artificialisants dans la gestion de l’eau, verdir des bâtiments et des espaces publics et aller plus loin dans la politique de rapprochement des habitants à la nature”.

Une centaine d’actions de taille variable sont mises en œuvre pour y parvenir : des axes de circulation plantés généreusement afin qu’ils deviennent de véritables corridors écologiques ; des espaces publics réaménagés utilisant des matériaux biosourcés  et des espèces végétales régénératrices du milieu naturel ; des systèmes lacunaires installés dans des parcs publics pour prévenir des inondations ; des ruisseaux enterrés qui sont rouverts pour contribuer, de même que certains axes viaires déminéralisés, à l’écoulement naturel des eaux.

Améliorer le confort environnemental en associant les habitants

Pour compléter les infrastructures vertes réalisées par les services municipaux, la population est invitée à y participer par le biais de deux actions pilotes : la plantation de 250 000 arbres dans l’anneau vert et la création de jardins potagers dans le quartier de Lakua. “Cette dernière action, poursuit Ana Oregi Bastarrika, consista à investir une série de terrains municipaux vacants réservés pour construire des équipements. Des parcelles ont été attribuées par tirage au sort aux habitants du quartier, la municipalité apportant des installations de base ainsi que des moniteurs pour former les adjudicataires à les cultiver de manière écologique”.

Ces jardins sont devenus des espaces très animés de rencontres intergénérationnelles accueillant régulièrement des évènements tels des fêtes liées aux cycles de l’agriculture. Leur succès a amené la ville à les reproduire dans d’autres quartiers et même à instaurer une démarche de co-conception dans les cours d’écoles. Devenues au fil du temps des terrains de football, une démarche inclusive y a été initiée associant des techniciens municipaux, des enseignants et des parents d’élèves afin de pouvoir aménager chaque année dans les cours des écoles quatre à cinq jardins potagers ou espaces naturels divers.

Suite à des études entamées il y a un an, 449 refuges climatiques ont été définis.

En complément du système d’infrastructures vertes, conçu pour améliorer le confort climatique et augmenter la captation de CO2, l’apparition récurrente de pics de chaleur amena la ville à définir un protocole à activer en cas d’urgence. Suite à des études entamées il y a un an, 449 refuges climatiques ont été définis. Parmi eux, 211 correspondent à des parcs et jardins disposant d’une couverture végétale suffisante, d’un accès à l’eau potable, d’aires de repos, et de modalités d’accessibilité faciles. Les 238 restants, portant sur des lieux fermés, ont été divisés en trois catégories : les équipements publics disposant d’un bon système de réfrigération et d’eau potable ; les bâtiments à usage privatif comme les centres commerciaux ; les églises qui bénéficient de températures fraiches l’été mais qui sont la plupart du temps fermées au public.

Vers de nouveaux projets et partenariats à grande échelle

Actuellement Vitoria s’est lancée dans la conception d’une infrastructure territoriale reliant l’anneau vert aux parcs naturels de son hinterland grâce à des parcours publics qui investissent des routes anciennes tels le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, la voie romaine, des routes de postes et des chemins de transhumance. Complétant cette volonté de promouvoir la connaissance citoyenne du milieu rural, des dispositifs ont été également adoptés dans les documents d’urbanisme afin que les terrains agricoles puissent devenir des sites de captation de CO2.

Des actions pour une mobilité de proximité En parallèle de la conception d’infrastructures vertes, un plan de mobilité soutenable et de création d’espaces publics fut adopté en 2007. Il s’est appuyé sur une consultation de la population et vise à réduire l’usage de la voiture qui constituait 37 % des déplacements. Projet phare de ce plan, le “super îlot” – figure carrée qui englobe un ensemble de neuf îlots au minimum – fut adopté comme l’unité de base pour réorganiser la mobilité. Les véhicules de transit et les transports en commun sont autorisés à circuler uniquement dans les rues qui en font le tour de manière à transformer les rues intérieures en espaces pacifiés. Suivant le concept de super manzana, conçu à Barcelone, ce modèle de réorganisation de la voirie des quartiers d’extension autour des vieux centres est testé actuellement par plusieurs villes en Espagne.

En avril 2022, Vitoria a été retenue parmi les cent villes participant à la Mission des villes climatiquement neutres et intelligentes de l’Union Européenne. Son objectif est de mettre en place des actions d’expérimentation et d’innovation pour viser la neutralité carbone en 2030 et permettre à toutes les villes européennes de suivre à terme leur exemple. Chaque ville retenue a proposé une feuille de route sur le climat et l’énergie à partir de laquelle sont établis des accords financiers avec l’UE. “Dans le cas de Vitoria, reprend Ana Oregi Bastarrika, l’accord défini avec l’UE n’a pas été conçu comme un document qui concerne uniquement la municipalité mais aussi des acteurs divers, du monde privé (des entreprises liées à la fabrication automobile) comme institutionnel, de manière à générer un accord social plus large sur l’engagement de la neutralité carbone pour 2030″. Les adhérents à cet accord reçoivent en contrepartie un label de l’UE sur chaque action mise en œuvre conformément à leur engagement. Faisant partie des sept villes espagnoles retenues par l’UE (les six villes les plus peuplées du pays plus Vitoria), cette démarche couronne trente années d’initiatives en matière d’action responsable vis-à-vis de l’environnement naturel.■

Carlos Gotlieb, professeur à l’ENSAP Bordeaux

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