Une ingénierie sur mesure pour régénérer les tissus anciens dégradés

Le constat d’une dévitalisation des centres-villes n’est pas nouveau. La difficulté d’intervenir dans les tissus anciens a conduit à créer l’ANAH dès 1975 et l’outil des opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) en 1977. Mais avec les usages modernes et les injonctions liées aux objectifs de transition écologique, leur abandon serait inéluctable sans une politique forte de la puissance publique. Dans la dynamique des programmes nationaux Action cœur de ville et Petites villes de demain, la DGALN a expérimenté sur les îlots anciens dégradés son offre de service des Ateliers Flashs. Retour sur les apprentissages et innovations à mettre au compte de cette modalité originale de l’ingénierie territoriale mise à disposition des collectivités locales.

La mort des centres-villes n’est pas une fatalité. Vitrines fermées, façades dégradées, logements vacants, sont parmi les plaies connues que partagent nombre de villes moyennes françaises ¹ . Dans les centres anciens, aux ruelles étroites, au bâti d’un autre âge, c’est la double peine. Les usages d’aujourd’hui n’y sont tout simplement pas possibles. Comment sauver le tissu ancien dégradé, concilier patrimoine et modernité, préservation et développement ? Le lancement de la deuxième session du programme national action cœur de ville ² est l’occasion de se saisir d’urgence de cette question et des réponses qui ici et là ont pu être apportées.

Les communes de Saint-Gaudens (Haute-Garonne, 11 664 hab), Saverdun (Ariège, 4 815 habitants), Blois (Loir et Cher, 46 660 habitants), Vitré (Ille-et-Vilaine, 18 603) et Mende (Lozère, 12 336) ont ainsi pu expérimenter une démarche innovante d’ateliers fin 2021, intitulés “ateliers flashs” (cf. encadré) organisés et financés par l’État.

Les cinq collectivités ont fait l’objet d’une sélection rigoureuse : la qualité de la note problématique préalable, la capacité d’évolution de l’îlot retenu pour devenir le démonstrateur d’une intervention en profondeur, la stratégie urbaine de revitalisation du centre-ville, la mobilisation des élus, de la DDT et leur intention d’associer étroitement l’architecte des bâtiments de France – les ABF sont des partenaires essentiels pour accompagner l’évolution dynamique du patrimoine et améliorer sa valeur d’usage – comme les opérateurs d’acquisition-réhabilitation du territoire, sont autant de critères qui ont présidé au choix des sites.

Avec l’aide de concepteurs, architectes et urbanistes, chacune de ces communes a pu bâtir une feuille de route de rénovation sur un îlot ancien démonstrateur. Si cette contribution peut paraître modeste face aux puissantes dynamiques de dévitalisation urbaine, les élus et acteurs réunis autour de ces ateliers décrivent tous des prises de conscience majeures et saluent les idées et pistes d’actions innovantes qui sont ressorties.

Le plan guide de Saint-Gaudens

Dans la commune de Saint-Gaudens, c’est l’entrée de ville rue Victor Hugo avec 44 parcelles qui était ciblée. Cette ancienne artère commerçante souffre d’une vacance de 60 % des commerces et 40 % des logements. L’atelier a proposé un “diagnostic en marchant” avec tous les acteurs concernés³ pour partager les problématiques de l’îlot. Cécile Castelle, directrice du développement territorial à la Communauté de communes Cœur et Coteaux du Comminges salue “le travail de scénarisation réalisé pour formaliser un projet de transformation de l’îlot Victor Hugo sous la forme d’un plan guide”.

Le Plan Guide s’inscrit en parfaite continuité avec les actions déjà entreprises par la collectivité pour la reconquête de son centre-ville, comme le lancement d’une OPAH sur le Pays Comminges Pyrénées, le Contrat “Bourgs-Centres” signé avec la région Occitanie en 2019 ou encore l’opération de revitalisation du territoire lancée en juillet 2020. Il constitue aussi la première réflexion d’intervention à l’échelle d’un îlot entier et une matière utile pour le lancement en cours de l’OPAH renouvellement urbain (OPAH-RU) actée par l’opération de revitalisation de territoire (ORT). “Le recrutement du bureau d’étude en charge de l’OPAH-RU est fait depuis la fin d’octobre 2022 et les études pré-opérationnelles sont en cours, précise Amandine Montréjeau, chargée de mission ORT à la communauté de communes. L’îlot Victor Hugo est inclus dans le périmètre de l’OPAH-RU et pourra bénéficier des aides additionnelles de la collectivité ⁴. D’après le bureau d’étude, les propriétaires se pressent au portillon”.

Rêver pour mieux passer à l’action opérationnelle

À Saverdun, petite ville de près de 5 000 habitants située dans le piémont ariégeois, la réflexion a porté sur l’un des trois îlots dégradés en entrée sud du centre ancien, l’îlot Barry. Le diagnostic réalisé par l’atelier de l’Ourcq a mis en évidence leur surdensité, la dégradation et l’insalubrité de l’habitat, la forte vacance des logements et des commerces, la faible connaissance des outils à disposition pour intervenir et enfin l’insuffisante maîtrise foncière par la collectivité. Pour Philippe Calleja, maire de la commune depuis 2021, l’atelier flash fut “un véritable détonateur pour passer à l’acte”.

Le site est pourtant déjà identifié dans le périmètre prioritaire d’une OPAH-RU signée en 2019 ⁵. Tout comme Saint-Gaudens, Saverdun est engagée dans le dispositif “Bourgs-Centres” financé par la région Occitanie. Il est enfin concerné par une ORT multisites portant sur la ville-centre de Pamiers et les deux pôles d’équilibre de Saverdun et Mazères, depuis 2020. L’ambition de l’atelier flash était justement d’accélérer la mise en œuvre opérationnelle du projet de reconquête du centre ancien par une action de démonstration à l’îlot.

Là encore, la méthodologie de l’atelier a permis d’affiner considérablement la connaissance de l’intérieur des îlots.  “Nous avons fait l’analyse des typologies de bâtiments et l’inventaire des interventions possibles, résume Charly Crochu, architecte urbaniste à l’Atelier de l’Ourcq. Par exemple relier et agrandir les vides pour ménager des espaces verts de proximité, remembrer les jardins pour que chaque logement puisse en avoir un petit, réunir des immeubles pour augmenter les surfaces habitables, démolir en cœur d’îlot pour faire entrer la lumière ou encore inventer de nouveaux usages pour les rez-de-chaussée inactifs”. Le concepteur a par ailleurs salué les efforts déjà entrepris par la ville pour rénover ses espaces publics. Car c’est parfois le déclencheur d’une transformation de l’habitat privé. “On habite un logement, une rue et un village”, rappelle Charly Crochu. Les interventions publiques sur l’allée du Balouard et la création d’une place-jardin devant l’école du quartier ont ainsi provoqué la rénovation des maisons de particuliers attenantes.

Selon la DDT de l’Ariège, l’atelier flash constitue un outil très efficace pour accompagner les collectivités et faire émerger des dispositifs d’ingénierie territoriale. “C’est une excellente étape de sensibilisation qui donne à rêver, estime Olivier Monségu, chef de service aménagement à la DDT. L’atelier flash permet de mettre tous les acteurs du projet autour de la table sans souci des prérogatives”. Dans le cas de Saverdun, il a notamment permis de former la toute récente équipe municipale aux enjeux des îlots anciens dégradés. “Les élus ont réalisé la nécessité d’utiliser les outils coercitifs “habitat” sur le centre ancien, poursuit Olivier Montségu. Ils ont accepté de lancer une étude d’opportunité RHI-THIRORI qui a été réalisée en 2022. L’étude a finalement écarté ce montage, mais la collectivité s’est mise en ordre de bataille pour trouver les financements de son renouvellement urbain”. Une dynamique est donc lancée. L’élaboration en cours d’une convention unique petite ville de demain qui intègre aussi la convention Action cœur de ville et l’ORT valant OPAH-RU en témoigne.

Du plan guide à l’îlot en passant par le drone…

La même équipe de concepteurs est intervenue sur le centre ancien de Vitré, remarquable par sa qualité architecturale et ses maisons à colombages. Mais l’atelier de l’Ourcq a pointé d’emblée les tares associées à ce bâti patrimonial : “très peu de lumière, imbrication des logements – avec par exemple une chambre qui appartient à l’immeuble d’à côté, vétusté des bâtiments dont certains sont en ruine”, détaille Charly Crochu. À cela s’ajoute l’absence de maîtrise foncière par la collectivité sur l’îlot Poterie retenu par l’atelier flash.

Comment intervenir concrètement alors que les études s’amoncellent à toutes les échelles mais que l’action publique peine à se structurer ?

“Il faut partir du potentiel de transformation du tissu urbain pour donner de la qualité générale au quartier, répond l’architecte urbaniste. Avancer par le projet, plutôt que d’attendre les problèmes et les actions correctrices associées”.

L’atelier de l’Ourcq s’est donc attelé à cibler les points noirs du centre-ville afin de construire une stratégie d’ensemble et d’identifier les îlots prioritaires d’intervention. Des fiches réalisées par îlot, ainsi que des études de faisabilité, permettent d’alimenter in fine un plan guide.

Mais pour en arriver là, un diagnostic fin est nécessaire. “Une belle façade peut cacher un bouge, résume Charly Crochu, alors que dans le tissu pavillonnaire, tout est facile à observer”. Sur Vitré, le recours à des drones a été essentiel pour obtenir des vues aériennes et compléter le diagnostic sans entrer dans les îlots : un gain de temps considérable pour un coût abordable, d’après l’agence.

Pour planifier l’action à l’échelle des îlots, une approche stratégique à 3 niveaux a été proposée par le concepteur : à l’échelle de plusieurs unités foncières (ce qui suppose un remembrement et donc le pilotage par la collectivité), de l’unité foncière à enjeux (avec un triptyque achat, réhabilitation et revente qui implique la collectivité ou des particuliers) et de l’unité foncière secondaire (la collectivité jouant là un rôle incitatif et de suivi).

Sur l’îlot Poterie, l’agence de l’Ourcq pose deux principes fondamentaux pour intervenir : d’abord “faire du vide”, pour redonner de l’air, de la lumière, un extérieur – un principe valable pour l’intervention en tissu ancien en général. Ensuite, adopter une méthode de phasage des interventions à plusieurs entrées, pour que le projet évolue au gré des opportunités foncières et des débouchés des négociations avec les propriétaires privés.

La municipalité a montré un vif intérêt pour ce travail qui permet d’“identifier les interventions à l’îlot susceptibles d’avoir un effet de levier sur le reste du tissu ancien”, se souvient Charly Crochu.

Une maquette au 200^e pour imaginer l’avenir

L’agence de l’Ourcq, également choisie pour animer l’atelier flash de Mende, a conduit une démarche similaire mais centrée sur un îlot de 400 m², l’îlot Chaptal. Avec une demande très précise de la mairie : imaginer de grands logements familiaux aux normes d’accessibilité, de grands commerces et un grand espace de jeux intérieur en rez-de-chaussée.

Le choix de cet îlot ne doit rien au hasard. Retenue au programme Action cœur de ville en 2018, signataire d’une ORT en 2019 et engagée dans un atelier national des territoires sur le thème des “Villes patrimoniales” sur la période 2018-2019, la collectivité dispose d’une stratégie robuste de revitalisation de son centre ancien. Une étude sur le foncier a notamment été produite en 2020 – bureau d’études Patriarche – sur proposition de l’atelier national, afin d’identifier des îlots prioritaires pour requalifier le centre, parmi lesquels l’îlot “place Chaptal”.

Pour autant, les besoins exprimés par la mairie sur cet îlot se sont avérés difficilement compatibles avec la capacité d’architecture. Ce que résume d’une formule Charly Crochu : “c’est la morphologie du bâtiment qui commande l’usage, pas l’inverse”. Or, cet îlot de 7 parcelles est constitué de maisons à échelles de 3 étages et de seulement 20 m² d’emprise au sol.

Pour imaginer la recomposition du bâti, l’agence a réalisé une maquette au 1/200^e à partir des plans de géomètre et de l’altimétrie des planchers. Un outil collaboratif qui permet de travailler en volume l’architecture et de composer ou décomposer l’ensemble pour tester des scénarios d’évolution.

L’avis d’un ABF aura été déterminant pour avancer : il a permis de détecter une maison en ruine et un commerce en rez-de-chaussée, tous deux voués à la démolition. L’ouverture du cœur d’îlot a donc été proposée, occasion parfaite pour y implanter un jardin. Mais aussi pour envisager le remembrement du parcellaire (passant de 7 à 3 parcelles), la reprise des accès aux rez-de-chaussée et pour repenser les typologies de logement ou encore les façades. Une nouvelle construction devant ensuite permettre le raccordement avec les niveaux des constructions existantes.

Sur toutes ces propositions, l’agence de l’Ourcq n’a pas eu de retours par la suite. Un cas de figure classique après un atelier flash, d’autant plus compréhensible que l’aménagement opérationnel relève du temps long.

Mais il arrive parfois que l’atelier flash, au-delà d’idées neuves et de pistes d’actions concrètes, parvienne à enclencher une dynamique pérenne. C’est le cas de celui qui s’est tenu dans la ville de Blois.

Une “pièce nature” pour un îlot démonstrateur de la ville durable

Dans cette cité royale des bords de Loire, l’habitat ancien est chargé d’histoire et soulève d’emblée des enjeux de patrimoine. Le choix du POLAU – Pole Arts et urbanisme – comme mandataire pour y animer un atelier flash n’est donc pas étonnant, fort de son approche spécifique de l’urbanisme culturel. Entouré de plusieurs partenaires – Pratiques Urbaines, Zefco, le POLAU a développé une approche et des propositions très originales pour imaginer l’évolution du centre ancien (c.f. “l’intelligence collective au service des îlots anciens dégradés”).

La plus étonnante est celle de la “pièce-nature” : puisque la compacité du tissu ancien ne permet pas d’offrir un espace extérieur à chaque logement en son sein, le POLAU a proposé de l’imaginer en dehors. Une parcelle de 30 m² au moins serait mise à disposition de chaque famille du centre ancien volontaire, sous la forme d’une location longue durée, dans un espace naturel maîtrisé par la collectivité ou une toiture, accessible en moins de 20 min à vélo.

Ces travaux ont été accueillis avec enthousiasme par les élus. Ils ont par ailleurs permis de saisir l’opportunité de l’AMI “Démonstrateurs de la ville durable”. Et ce n’est pas le seul effet direct de l’atelier flash : son modèle a été le début d’un essaimage à l’échelle du département (c.f. encadré).■

Florent CHAPPEL

1. Olivier Razemon, Comment la France a tué ses villes, Paris, Rue de l’échiquier, “l’écopoche”, 2019, 214p [↩]
2. C.f. le dossier de presse de son lancement le 21 novembre 2022 [↩]
3. CAUE, notaires, propriétaires, agences immobilières, ABF, association des commerçants, bureau d’études en charge de l’ORT, entreprise de travaux… [↩]
4. elles représentent un montant total de 5 M€ et flèchent des items précis comme la réalisation d’accès indépendants aux étages, la démolition d’annexes pour faire entrer la lumière ou réaliser un jardin, la création d’espaces extérieurs ou le changement d’usage d’un local vacant depuis plus de 5 ans [↩]
5. C.f. la fiche technique du CEREMA “Réhabiliter le parc immobilier bâti – L’opération programmée d’amélioration de l’habitat (OPAH)“, juin 2021. [↩]

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