L’expérimentation réunionnaise “Écoles durables” tempère l’été austral

À La Réunion, plusieurs communes se mobilisent face aux pics de chaleur dans les écoles. Une occasion pour le Caue d’accompagner leur adaptation aux effets du changement climatique.

“L’été 2019 a été extrêmement chaud. Plusieurs enfants ont eu des malaises dans nos écoles”, se souvient Patricia Arnoux, adjointe au maire en charge des affaires scolaires. Nous sommes dans la commune de Petite-Île¹ sur la côte sud de La Réunion. À deux pas de l’océan indien, l’école “Fleur de canne” est concernée. Mais elle n’est pas la seule. D’autres communes réunionnaises connaissent la même problématique. “38°C dans les classes, les parents réclament la climatisation !”, peut-on lire dans la presse.

Le confort thermique, une problématique à part entière

Néanmoins, “sous le climat tropical tempéré de La Réunion, il reste possible d’assurer le confort thermique dans les bâtiments par une ventilation naturelle traversante”, observe Stéphanie Girardot, architecte-conseil du Caue de La Réunion. Pour autant, les malaises d’élèves dans les écoles primaires interpellent. “Il fallait vraiment trouver une solution, précise Patricia Arnoux. À Petite-Île, notre municipalité a alors sollicité les conseils du Caue”.

“Sur l’île de La Réunion, quand on conçoit bien le bâti, on arrive à récupérer la brise de nuit, la brise de jour et à se passer de la climatisation”, explique l’architecte-conseil. Effet induit de la topographie, l’île montagneuse est traversée par les alizés qui viennent “tempérer” son climat tropical. Sur d’autres îles des environs dans l’océan indien, le climat peut être différent. “À Mayotte, je ne dirais pas la même chose. Par endroit, l’humidité est telle que, sans climatisation, le confort thermique devient difficile à atteindre”, précise-t-elle.

Reste que sous le climat chaud et parfois humide de La Réunion, la “saison chaude”² est bien plus longue qu’en métropole. Le climat réunionnais partage l’année en deux grandes saisons. Durant six mois ‒ de novembre à avril ‒, la “saison chaude” s’étend sur plus de la moitié du temps scolaire. La “saison fraîche”³ très tempérée intègre, quant à elle, les vacances de juillet à août. À La Réunion, “le calendrier scolaire suit aujourd’hui le calendrier national. Mais, il y a 20 ans, en début d’année, les élèves reprenaient l’école fin février voire début mars, rappelle Stéphanie Girardot. Car ici, au cœur de la “saison chaude”, c’est de la fin janvier à courant mars que les températures et l’humidité de l’air atteignent les niveaux les plus élevés. “C’est aussi la période des cyclones. Adapté à l’époque, le calendrier scolaire l’évitait en partie”. Toujours est-il qu’en saison chaude dans les écoles réunionnaises, le confort thermique constitue une problématique à part entière. Or, la majorité du bâti scolaire se concentre sur le littoral et dans les mi-pentes. Autrement dit sous les 400 m d’altitude, là où il fait précisément le plus chaud.

“Durant la journée scolaire, climatiser en même temps les plus de 500 écoles primaires de La Réunion ne serait pas imaginable, ajoute Stéphanie Girardot. La production énergétique de l’île n’y suffirait pas !” En outre, à l’heure où les coûts de l’énergie s’envolent, les considérations budgétaires renverraient tout autant les collectivités dans l’impasse. Ne serait-ce qu’en matière de fonctionnement, il s’agit de factures électriques mais aussi de l’entretien des équipements. Pour une climatisation adaptée au bâti scolaire, l’entretien régulier est estimé en l’occurrence à plusieurs milliers d’euros par école et par an. Or, dans le primaire, l’entretien courant des établissements scolaires pèse déjà lourd dans les budgets communaux. Aussi pour le Caue, il importe de travailler à des solutions économes en énergie. L’opportunité se présente alors avec l’appel à programme inter outre-mer OMBREE. Le Caue de La Réunion y développe une approche expérimentale du confort thermique scolaire. Lauréat en 2020, son projet couvre ainsi un large panel de solutions. Outre les volets liés au bâti, l’aménagement de la cour d’école y trouve également sa place. Des écoles-pilotes sont choisies, par exemple dans les communes de Petite-Île et de Saint-Paul qui s’associent à la démarche.

“En 2020, le conseil municipal de Petite-Île a délibéré pour que le Caue intervienne”, évoque Patricia Arnoux. La consultation du maître d’œuvre et la concertation sont lancées. “Ici, la concertation alimente vraiment la conception, précise l’élue. Dès le début, les familles, les équipes pédagogiques, la direction et les élèves sont associés. Durant plus d’un an, ils réfléchissent au projet, se l’approprient, se projettent dans les usages futurs. Ceci permet d’expliquer, d’être plus proches des besoins qui s’expriment. Les relations avec l’ensemble des acteurs en deviennent bien plus apaisées”.

Des cours-jardin pour rafraîchir

Outre le sujet du confort thermique, d’autres questions émergent. “Le préau, c’est infernal ! C’est vraiment trop bruyant, il fait caisse de résonance”, évoquent plusieurs familles dans l’école-pilote des Alpinias. Sorte de grand cube de béton, l’acoustique très minérale y réverbère. Agacés, les enfants en deviennent plus turbulents et on déplore des actes d’incivilités durant la pause méridienne. Les jeux manquent. Alors, il s’en crée parfois avec les moyens du bord. Lancer sur les murs des tubes vides de compote que l’on remplit d’eau, comme c’est amusant ! Même si ce n’est bien sûr pas du goût des équipes pédagogiques et d’entretien des lieux… Les tubes de compotes sont désormais interdits à l’école. Mais surtout, sous le pilotage du Caue, des idées de jeux plus adaptés ont émergé des réflexions des élèves pour aménager la cour.

“Aujourd’hui, nos grands préaux, nos cours bétonnées carrées ne paraissent pas très propices au bien-être. Quelques décennies auparavant, nous avons connu les mêmes cours de récréation avec du gazon et de la terre”, remarque Patricia Arnoux. Mais, les parents disaient alors : “La terre, ce n’est pas très moderne. Nos écoles ne sont pas propres. La modernisation passerait par le béton !”, se souvient l’élue. Porteur d’avancées en son temps, l’hygiénisme en vient à révéler ses limites. Certes, les questions de santé et d’hygiène restent d’actualité. Mais, ici, les expériences vécues par les uns et les autres infléchissent les regards ; les enjeux actuels ‒ notamment de changement climatique ‒ apportent d’autres éclairages sur le projet. Quand il fait 30°C dehors à la pause méridienne, les 65°C et plus mesurés au niveau de l’enrobé de la cour rayonnent tout autour, la transformant en un redoutable chauffage par le sol d’une puissance colossale. La cour d’école minérale s’adapte de plus en plus mal aux chaleurs estivales réunionnaises qui, selon les derniers scénarios d’évolution climatique, devraient se renforcer. En 2100, les 13 jours moyens annuels de canicule (constatés de 1981 à 2010) devraient passer ici à 70 jours minimum voire peut-être même atteindre les 185 jours⁴.

“Même si nous avons l’habitude d’avoir chaud à La Réunion, les chaleurs estivales se font davantage ressentir”, ajoute Stéphanie Girardot. Plus minérale sous l’expansion démographique des dernières décennies, la ville s’est étendue, embarquant avec elle ses nombreux îlots de chaleur. “Dorénavant sur le littoral, les villes se touchent dans un continuum urbain avec une densité minérale et bâtie importante. La végétation a vraiment perdu du terrain bien qu’elle pousse ici très facilement”. Pourtant, elle pourrait constituer une source de rafraîchissement appréciable. Le rayonnement réduit à l’ombre des arbres mais aussi l’évapotranspiration au niveau des feuilles procurent cette sensation de fraîcheur que nous avons tous ressentie à l’approche d’un bosquet arboré. Des leviers dont il est possible de se saisir pour adapter le tissu urbain aux canicules à venir sans en rajouter à la facture énergétique.

“Des cours-jardin pour rafraîchir et améliorer les écoles des Bas de La Réunion”, ainsi se nomme le guide que le Caue vient de sortir à l’attention des collectivités. Nourri des démarches menées dans les écoles-pilotes de Petite-Île, de La Possession, de Saint-André, de Saint-Paul, il traite de l’amélioration du confort thermique. Une place de choix est accordée à la végétation dans les cours de récréation et aux abords des bâtiments. Comment la choisir ? Où l’implanter ? Quels points de vigilance intégrer pour éviter divers désagréments, comme un entretien trop coûteux ou celui de devoir tout couper quelques années plus tard ? “Pas de bâti performant sans environnement performant !”, résume le guide. Il devient tout simplement inutile de travailler au bio-climatisme d’un bâtiment, si on occulte la problématique d’un environnement qui le dessert. La performance du bâti passe précisément par cette capacité à rester économe en énergie tout en offrant des espaces agréables à vivre pour l’usager, notamment sur le plan thermique. Ce qui suppose vraiment de jouer sur tous les plans. Dans la commune de Petite-Île, la cour-jardin de l’école des Platanes sud va même expérimenter une classe de cours extérieure.

Le bâti, un point incontournable

Or, pour vraiment améliorer le confort thermique dans chaque école, le projet de cour-jardin suppose d’être couplé au diagnostic du bâti scolaire. Construits dans les décennies 1970-1980, les bâtiments d’origine des écoles sont ici le plus souvent en béton avec des toitures terrasses. Au fil du temps, les agrandissements s’y sont adjoints. Ils reprennent parfois l’esprit du bâtiment initial. Mais il arrive aussi que le bâti modulaire ‒ ajouté provisoirement pour quelques temps ‒ soit encore là bien des années plus tard ! Bien sûr, “le modulaire, c’est le pire en termes de confort thermique”, observe Stéphanie Girardot. Les bâtiments d’origine en béton sont, quant à eux, plutôt bien conçus. “Solides, ils résistent aux cyclones et servent souvent au plan ORSEC pour évacuer les gens, constate l’architecte-conseil. Par contre, à l’époque, ils n’ont pas été pensés pour le confort thermique”. Certes, selon l’exposition, les ouvrants peuvent bénéficier d’un peu de protection solaire, mais jamais suffisamment pour empêcher l’ensoleillement. Et, autre point encore plus dommageable sur le plan thermique, les toitures ne sont pas isolées. Bien sûr, isoler le bâtiment constitue un point incontournable. Pour autant, travailler l’efficacité de l’ombrage ‒ notamment au niveau des ouvrants ‒ se révèle tout aussi utile. Le projet d’adaptation des bâtiments doit alors se coupler avec celui de cour-jardin. À quelle distance du bâti planter ? Quel choix d’essences pour concevoir un ombrage de qualité ? Dans les salles de classe, il convient notamment de veiller à maintenir un éclairement naturel suffisant. Et mieux vaut anticiper la croissance des plantes. Sans quoi, des années plus tard, des désordres pourraient apparaître aux abords des constructions. Aussi il est utile de coupler les compétences du paysage avec celles du bâtiment.

Enfin, la question de la ventilation se révèle fondamentale. Non seulement, elle constitue un facteur-clé du confort thermique mais il s’agit même d’une question de santé, tout particulièrement pour les enfants. “Optimiser la ventilation naturelle du bâti s’avère indispensable“, résume Stéphanie Girardot. “Nous avons sollicité le docteur Suzanne Déoux. Ses recherches, ses analyses, l’instrumentation des salles de classes menée dans les écoles-pilotes, le démontrent”.

Le projet OMBREE du Caue de la Réunion s’achève. Mais, en matière de confort thermique estival, les écoles-pilotes vont nourrir les pratiques. “Un portail a été créé”, précise Stéphanie Girardot. Outre les enseignements de la démarche “écoles durables”, on y retrouve les repères utiles de différentes publications et guides. Par ailleurs, pour les professionnels, le portail intègre un espace de travail spécifique. Dès lors, pour les collectivités qui le souhaitent, il devient possible d’intégrer un réseau de partage d’expériences de témoigner, d’approfondir. “Pour les écoles primaires, chaque commune pourrait se trouver assez isolée, explique Stéphanie Girardot. Par ce portail, le Caue entend faciliter la mutualisation d’expériences“. Autrement dit capitaliser à partir d’opérations communales variées, comme le font plus aisément le département, la région à l’échelle de La Réunion pour les collèges ou les lycées.

Dans les sept écoles-pilotes, les équipes de maîtrise d’œuvre ‒ choisies par les communes ‒ achèvent leur conception. Nourries des besoins exprimés par les usagers sous le pilotage du Caue, elles intègrent les axes, les exigences du projet partagé. D’ici la fin 2023, les travaux vont démarrer. Les professionnels, les usagers, les élèves et leurs parents, chacun est impatient de découvrir sa nouvelle cour d’école, d’apprécier les effets du projet sur le confort dans les salles de classes, d’examiner les résultats ‒ par exemple en matière de consommations énergétiques ‒. Voilà qui devrait enrichir encore les échanges d’expérience. “Nous venons d’organiser en février dernier une rencontre autour de ces écoles durables”, précise Stéphanie Girardot. Une occasion de témoigner ‒ comme pour la commune de Petite-Île ‒ mais aussi d’inspirer d’autres écoles, d’autres communes. À La Réunion bien sûr, en premier lieu, mais aussi à l’Outre-mer ou même au-delà. À mesure que s’étendent les expériences, cette première rencontre réunionnaise pourrait en amorcer d’autres. Pourquoi pas sous la forme d’une biennale des écoles durables ? Une occasion de venir nourrir une dynamique, d’enrichir la communauté des sachants au fil du temps. Toujours est-il que depuis ces expériences renouvelées du confort thermique, les compétences commencent ici à germer.■

Nathalie GARAT

1. Au sud de l’île de La Réunion, la commune de Petite-Île affirme, avec ses 12 401 habitants, sa devise de “ville à la campagne”. Sur cette côte encore verdoyante de l’océan indien ‒ appelée le “sud sauvage ” ‒, les sept écoles primaires de la ville s’étagent du littoral jusqu’aux “Hauts.” [↩]
2. De novembre à avril, durant la “saison chaude”, les températures sur le littoral oscillent entre des minima moyens autour de 21 à 24°C et des maxima autour de 28 à 31°C. [↩]
3. De mai à octobre, durant la “saison fraîche”, les températures sur le littoral oscillent entre des minima moyens de 17 à 20°C et des maxima moyens de 26 à 28°C. [↩]
4. Il s’agit des données de Météo France. Elles mesurent le nombre de jours où les températures atteignent plus de 31°C. [↩]

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