Avec l’agence INterland, une boussole des valeurs pour mieux aménager les sols vivants

Imaginé et porté par la DGALN, l’Atelier des territoires accompagne les collectivités dans la construction d’un projet d’aménagement ou de renouvellement urbain. À Cap Excellence en Guadeloupe, la session “Mieux aménager avec les sols vivants” a fait atterrir l’objectif ZAN à l’échelle locale. Retour d’expérience avec Alizée Moreux et Franck Hulliard, co-directeurs d’INterland, agence d’urbanisme qui a collaboré avec les acteurs locaux.

Un territoire fortement artificialisé

Les Abymes, Baie-Mahault, Pointe-à-Pitre : à elles trois, ces villes forment la communauté d’agglomération Cap Excellence. Abritant le quart de la population guadeloupéenne, ce territoire concentre une grande part de l’activité économique de l’archipel : 18 ZAE pour plus de 60 000 emplois (soit 50 % des emplois de Guadeloupe). “Cette activité a conduit à une artificialisation exponentielle du territoire, qui répondait à une logique de modernisation des infrastructures, sans se soustraire aux contraintes liées aux lieux, aux milieux et aux risques. Mais ce modèle arrive aujourd’hui à saturation, et il est télescopé par l’amplification des aléas climatiques”, analyse d’emblée Franck Hulliard, fondateur de l’agence INterland.

À ces risques s’ajoute une politique locale de gestion foncière peu acculturée à la reconversion du patrimoine existant, induisant une logique d’extension. L’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN) confronte donc les élus locaux et la DEAL de Guadeloupe à la raréfaction des sols. “Or, la principale préoccupation de la collectivité concernait la valeur foncière. Cette entrée nous semblait restrictive et nous l’avons élargi à l’ensemble des fonctions du sol”, souligne ainsi Alizée Moreux, co-directrice de l’agence. Pour ne pas réduire le sol à un support foncier, l’agence a pu apporter une pluralité de points de vue experts. “Architectes, urbanistes, écologues, économistes et anthropologues ont contribué à ouvrir les horizons. C’est de cette prise de recul qu’a émergé la boussole des valeurs des sols”, poursuit-elle.

La boussole des valeurs du sol, un guide pour penser les sols vivants

Élaborée lors des ateliers, la boussole propose aux participants de passer chaque site au crible de cinq valeurs attribuées au sol. Valeur écologique, résiliente, anthropologique, d’usages et foncière : sur une échelle de 1 à 5, les acteurs de l’aménagement attribuent à chaque terrain des qualités qui permettent d’en mesurer les capacités de transformation. La directrice de l’agence témoigne : “La boussole permet de hiérarchiser les enjeux pour chaque site. Grâce à elle, les participants peuvent collectivement reconsidérer les projets en cours”.

L’Atelier des territoires, une autre façon de sensibiliser les acteurs locaux à l’aménagement des sols

Sur certains projets, la valeur écologique autrefois pensée comme marge d’ajustement a pu devenir un élément déterminant pour relocaliser, voire renaturer des sols anthropisés. C’est le cas notamment de la ZAE Jarry à Baie-Mahault qui s’est développée sur la mangrove. Plus d’un tiers de la zone est aujourd’hui soumis à un risque avéré de submersion marine. “La zone risque d’être isolée du reste de l’archipel et de devenir inaccessible, ce qui la rend économiquement vulnérable. La mangrove est une ressource vitale et protectrice face aux aléas. Sur un territoire si singulier, la valorisation écologique est un argument qui mérite d’être mis en avant”, souligne Franck Hulliard. Aux Abymes, la haute valeur résiliente et anthropologique du site des Grands Fonds a redirigé l’ambition vers la préservation de l’identité séculaire du site et l’ancrage de pratiques culturales.

Si les participants ont semble-t-il apprécié les propositions, ils ne sont pas tenus de suivre la feuille de route élaborée. Pour concrétiser le “renversement des valeurs” qu’a suscité la boussole, l’agence INterland invite l’État à mener une évaluation des programmes d’action engagés par les Ateliers des territoires, voire à imposer la mise en œuvre de tout ou partie de la feuille de route.“Sans un cadre de loi qui vienne porter l’application du ZAN et une reconnaissance des sols, les acteurs peineront à résoudre les conséquences liées à l’artificialisation du territoire guadeloupéen”, regrette l’agence. Au même titre que l’air ou l’eau, l’objectif du ZAN pourrait favoriser une reconnaissance juridique du sol au-delà de sa seule valeur foncière, en accord avec le projet de directive européenne relative à la surveillance et à la résilience des sols. Quoiqu’il en soit,  “il y a urgence à agir”, concluent les directeurs de l’agence.■

Cyprien Machtalere

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