UrbanSimul, un logiciel pour élaborer les stratégies de sobriété foncière

Co-développé par le Cerema et l’Inrae, UrbanSimul est une plateforme en ligne d’aide à la décision destinée aux acteurs publics de l’aménagement et du foncier. En croisant les données foncières d’un territoire jusqu’à l’échelle de l’unité foncière, la cartographie d’UrbanSimul rend visible les dynamiques immobilières et les gisements exploitables. L’objectif : simplifier l’analyse du foncier pour mieux orienter les politiques de sobriété foncière. Un outil qui se présente comme un atout décisif pour mettre en œuvre l’objectif de Zéro artificialisation nette (ZAN). Explications avec Bertrand Leroux, directeur de projet responsable d’activité en observation, stratégies foncières et marchés immobiliers au Cerema.

Un outil pour renforcer la politique foncière des acteurs publics

Besoins de logements abordables, attrait d’activités économiques, préservation des espaces naturels et agricoles… Lorsqu’en 2011, la région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur (avec l’EPF PACA et la préfecture de la région) décide de financer le développement d’UrbanSimul, elle fait face à des conflits d’usages du foncier difficiles à résoudre. À cette situation s’ajoute une forte attractivité et une augmentation des prix du foncier. Le tout “limitait fortement la capacité des collectivités à donner le tempo face au marché, et pouvait induire une urbanisation plus subie que maîtrisée et des politiques foncières trop souvent construites de manière opportuniste”, analyse Bertrand Leroux. Le développement d’UrbanSimul répondait ainsi au besoin des collectivités d’anticiper et de “renforcer leur politique foncière”. Et ce à deux niveaux : d’abord au moment de la planification de l’aménagement (PLU, PLUi, SCoT, programme local de l’habitat) et des grands arbitrages, et plus directement en appui à l’acquisition foncière par les acteurs publics (acquisition amiable, négociation, secteur de veille, préemption, expropriation…).

“Pour résumer, le parti d’UrbanSimul est d’offrir une capacité d’analyse rapide, pour mettre en œuvre une stratégie foncière plus efficace, objectivée et apaisée, qui tende vers une adéquation entre les besoins fonciers et l’offre existante”.

À l’heure où l’objectif du ZAN rend beaucoup plus prégnante la logique d’anticipation foncière, UrbanSimul allait devenir un outil voué à se développer au-delà de sa région d’origine. Intercommunalités, Établissements publics fonciers (EPF), syndicat mixte de SCoT, agences d’urbanisme, conseils départementaux, services déconcentrés de l’État… Nombre d’acteurs publics français exploitent aujourd’hui l’outil dans l’objectif d’assurer une maîtrise publique du foncier.

Avec l’appui de France Relance, du fonds vert et du ministère en charge de la transition écologique, l’outil s’est déployé depuis 2021 à l’échelle nationale et s’est étendu à une grande variété d’acteurs publics : plus de 4 000 comptes ont été créés, pour plus d’un millier de structures utilisatrices. Et la dynamique se poursuit. “Entre 200 et 250 nouveaux comptes sont créés chaque mois. UrbanSimul couvre désormais plus de 60 % des intercommunalités, la quasi-totalité des métropoles, et 80 % des communautés d’agglomération”, se félicite Bertrand Leroux.

Concentrer et rendre visible les données foncières 

Pour muscler la politique foncière des acteurs publics, l’outil se propose d’accélérer la phase de repérage et d’analyse des gisements fonciers potentiels, notamment en regroupant des informations issues de nombreuses bases de données. “La force de ce système d’information géographique, est de concentrer des données qui étaient éparpillées sur plusieurs services d’une collectivité. Les rendre accessibles via un simple navigateur sur un portail unique crée une facilité d’accès à l’information inédite” pour bon nombre de collectivités, poursuit Bertrand Leroux.

La cartographie proposée par UrbanSimul a ceci de pertinent qu’elle rend visible – et donc lisible – deux types d’informations à l’échelle fine de l’unité foncière. D’une part, des informations administratives et juridiques, comme la vacance fiscale, le type et la nature détaillée des propriétaires (État, région, commune, Établissements publics fonciers, personne physique, personne morale privée…), l’année d’acquisition, le zonage d’urbanisme ou encore des éléments d’enjeux d’aménagement ou de préservation, comme les arrêtés de protection de biotope, les espaces boisés classés, les zones à risque d’inondation… D’autre part, des informations physiques : relief, pentes, bâtis, locaux, m² habitables, routes, terrains de sport… En croisant ces deux types de données, l’outil révèle des gisements potentiels “dents creuses” (gisements nus entourés de parcelles bâties), et les espaces sous-densifiés voire vacants qui pourront être confrontés à une analyse de terrain. UrbanSimul peut retracer la dynamique de l’urbanisation dans le temps, établir rapidement une densité (un coefficient d’emprise au sol d’un bâti par exemple), ou encore évaluer le pourcentage de vacance à l’échelle de l’unité foncière tout en facilitant sa qualification : vacance frictionnelle (i.e. entre deux locations et donc transitoire) ou vacance structurelle problématique ?

Dans la Communauté de communes de Sèvre et Loire, où le Cerema réalise une étude de stratégie foncière en appui de l’élaboration d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), le diagnostic réalisé à partir d’UrbanSimul a par exemple permis de recenser les “gisements orphelins”, qui ne font pas encore l’objet d’orientations d’aménagement et de programmation (OAP). “Or, ce type de grand gisement composé de plusieurs unités foncières gagne à être encadré réglementairement pour éviter des divisions multiples et anarchiques, qui in fine sous-optimisent le foncier”. 

“En bref, l’outil permet de mieux cibler les terrains qui contribueront au développement urbain, ceux qui peuvent être fermés à l’urbanisation ou devraient l’être, ceux d’intérêt à accompagner pour l’acteur public”. À la charge de ce dernier, ensuite, d’élaborer une stratégie foncière cohérente au regard des données acquises, et d’imaginer des scenarii d’urbanisation. “Si UrbanSimul révèle un cumul de vacances à l’échelle d’un immeuble en proximité d’autres disponibilités foncières, l’utilisateur pensera à se tourner vers une logique d’aménagement, et pourra envisager une déconstruction-reconstruction, développe Bertrand Leroux. Ce qui n’est pas envisageable dans le cas d’un logement vacant isolé”.

Un outil de prospection foncière pour contribuer à la mise en œuvre du ZAN

L’objectif de zéro artificialisation nette impose de penser la manière dont des espaces artificialisés peuvent être densifiés pour limiter l’étalement urbain. Conséquence : là où le foncier agricole peu coûteux jouait le rôle de variable d’ajustement du développement, il faut désormais (re)composer avec des terrains morcelés et de natures très différentes. En identifiant les zones sous-optimisées dans l’enveloppe urbaine et en analysant la propriété, UrbanSimul offre donc une aide précieuse. “Rendre visible les gisements dans l’enveloppe urbaine a vocation à éviter la suroffre foncière et à relativiser les besoins d’extension du foncier urbain. Cela permet de se projeter sur une stratégie de moyen-long terme”, poursuit Bertrand Leroux. Face à la hausse possible des prix du foncier, UrbanSimul propose de visualiser et de suivre l’évolution des prix du marché grâce à une rétrospective des transactions foncières et immobilières depuis 2010. Un moyen pour les collectivités et les EPF d’acheter “au plus juste”, le cas échéant de préempter avec révision de prix, et in fine de ponctuellement réguler les prix.

“L’erreur serait de considérer que le logiciel se suffit à lui-même”.

Si, en tant que système d’information géographique, UrbanSimul tient sa force de sa capacité d’analyse, il ne saurait cependant assumer le rôle de l’acteur public. Arbitrer une situation, prendre parti pour la fermeture ou la valorisation d’une zone relèvent de la compétence de l’urbaniste et de choix politiques, là où le logiciel n’est qu’une base de travail agnostique.

“Contrairement à d’autres outils numériques à valeur opposable, comme le Géoportail de l’Urbanisme, UrbanSimul reste un outil d’aide à la décision par et pour les acteurs publics. S’il met en visibilité certains secteurs, l’erreur serait de considérer que le logiciel se suffit à lui-même. On en appelle beaucoup à l’expertise et au regard critique de l’utilisateur”, tempère ainsi Bertrand Leroux.

Par ailleurs, le logiciel ne permet pas d’identifier si un territoire est en suroffre ou en sous-offre. “L’usage de l’outil doit s’accompagner d’une analyse de terrain, ne serait-ce que pour juger de sa constructibilité. D’autres éléments, qui relèvent de la dureté foncière, comme l’attachement personnel ou patrimonial à un bien, ne peuvent pas être captés par le logiciel”, conclut Bertrand Leroux.

C’est dans cette perspective que le Cerema a fait évoluer l’outil vers une ergonomie plus dynamique et modulaire. Les utilisateurs peuvent ainsi filtrer leur recherche et déterminer des critères et des seuils d’analyse adaptés à leur territoire. À côté de la version standard du logiciel, le Cerema projette également de concevoir une version expérimentale avancée, pour accompagner les collectivités sur des thématiques plus poussées.

Enfin, UrbanSimul a récemment mis à disposition des espaces collaboratifs fermés, qui autorisent l’utilisateur à ajouter ses propres données locales. “Gisements, contraintes, enjeux, documents d’urbanisme en cours d’élaboration : il est désormais possible de se servir d’UrbanSimul comme d’un observatoire du foncier ou d’un carnet de terrain pour faire remonter les informations locales. Cela permet d’actualiser l’information et de la consolider”. Une ressource de poids pour faire vivre les études foncières dans le temps.■

Cyprien Machtalere

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